Cher Bernard-Henri Lévy,
Je vous écris, cette nuit, par rapport à votre livre, L’Empire les cinq rois, que je trouve, vraiment sans flatterie aucune, exceptionnel d’intelligence, d’érudition, de clarté, d’efficacité, de justesse ; et très admirable, particulièrement du point de vue de son rythme et de sa construction.
Votre livre, c’est la théorie, l’avant, les racines du mal, le pourquoi (entre autres, bien sûr).
Mais aujourd’hui, l’on voit sous nos yeux se dérouler, à un stade très avancé, comme on le dit pour les maladies graves, la « mise en pratique », le comment de vos analyses, qui se manifeste d’une manière extrêmement féroce, spectaculaire, complexe, multiple et, peut-être, jamais vue dans l’Histoire à ce point.
J’ai essayé de transposer vos analyses à l’aune de la situation actuelle. Or, n’étant pas spécialiste de la géopolitique, je voudrais vous exposer ce que je crois savoir, et crois avoir compris des faits et des mécanismes à l’œuvre actuellement. Cela dans le seul souci d’y voir un peu plus clair ; de ne pas sombrer dans la bêtise, ou l’à-peu-près, ce qui revient au même ; et de refermer comme il se doit ma lecture de L’Empire et les cinq rois.
Mon problème est que je n’arrive pas à saisir précisément la ligne du bloc-Est « autocratique », ni celle du bloc-Ouest « démocratique » (pour simplifier). Et je n’arrive pas bien à lire la situation générale. (Quels sont les moyens et leviers de pression de part et d’autre, par exemple ? Cela je l’ignore. Il y a tant de facteurs, du gaz aux armes en passant par la cyber-propagande, l’uranium ou les semi-conducteurs – les « terres rares », et les sanctions diverses… C’est un peu confus dans mon esprit, mais ça devrait aller mieux, en vous écrivant.
Premièrement, nous avons plusieurs conflits, graves, en simultané. L’Ukraine plus ou moins livrée à elle-même, où le gel du cynisme s’installe, et qui risque bien de voir les promesses d’Europe et d’OTAN lui passer sous le nez ; Israël-Palestine qui menace d’un instant à l’autre de tourner au conflit régional (d’ailleurs c’est déjà presque le cas : frontière Sud-Liban, Yémen, front du Golan en Syrie), et puis, il y a le Détroit d’Ormuz, son immense gisement de gaz, à la frontière des Émirats arabes et de l’Iran…
Croyez-vous que l’embrasement soit inévitable à l’échelle régionale, voire pire ? Y’a-t-il quoi que ce soit que l’on puisse faire pour l’éviter, et si oui, comment ? Et sinon, quoi ?
Et puis, il y a Taiwan qui, à lire la presse, menace d’exploser à tout moment ; et ce malgré son statut de leader international sur les semi-conducteurs, qui lui garantit, croit-on, un « bouclier militaire ». Tant que la Chine en reste dépendante… Mais pour combien de temps ? Xi Jinping vient de déclarer que Taïwan serait, en 2024, enfin « sous contrôle » …
La Chine, ses désirs d’expansion vers l’Asie centrale (Xinjiang), son accaparement agricole en l’Afrique, (qu’elle considère comme son garde-manger), son « rachat de la France », de ses entreprises (par exemple), son projet d’une nouvelle route de la soie et son axe commercial, le fameux grand projet eurasien avec la Russie… son succès foudroyant quand il s’agit de détruire le cerveau de la jeunesse occidentale (TikTok), à mesure qu’elle dope leur propre système éducatif (je pense particulièrement aux mathématiques, mais pas seulement)… et le modèle démocratique avec. Son ingérence (espionnage) dans la politique Occidentale, très active.
Et puis sa tentative de dévaluation du dollar… d’ériger une nouvelle monnaie de référence pour leurs échanges à l’Est… le rachat en masse d’or depuis plusieurs années, sur lequel indexer leur nouvelle monnaie… les BRICS…
(Je sais que si la Chine ne bouge pas autant qu’elle le voudrait, c’est parce qu’étant le plus gros importateur et exportateur au monde, elle est pieds et poings liées – pour l’instant – par son hyper-dépendance au reste de la planète. Mais, avec force espionnage industriel, entre autres, elle essaie par tous les moyens de rattraper ce retard, et de palier à ses dépendances. Et quelle serait la raison d’être du projet eurasien de Xi et Poutine, sinon l’antidote à cette dépendance handicapante et limitante sur les plans économiques, industriels, stratégiques, militaires ?)
Si ce n’est pas cela, tenter de renverser l’Occident pour asseoir une domination mondiale, je ne sais ce que c’est…
On observe, et ce sont vos termes, en 2018 : « l’occasion d’un vaste rééquilibrage des prestiges et des dissuasions où l’on voyait l’Amérique, comme dévitalisée, perdre son ascendant – et des puissances adverses, enhardies, pousser leur avantage et improviser (je souligne) une redistribution, sans précédent(idem) des régimes d’autorité. » Et vous citez les pays concernés : Iran, Turquie, les États sunnites, Russie, Chine.
Vous ajoutez : « Je sais qu’il y a, dans la relation que les démocraties entretiennent avec la guerre, la source d’une faiblesse suicidaire et que nous avons pour premier réflexe (je souligne), quand sonne le tocsin et que des adversaires bien armés, fortement déterminés, foulent nos valeurs aux pieds, de ne surtout pas bouger. » Et vous rappelez le Front Populaire espagnol, Berlin en 1953, Budapest en 1956, Prague en 1968, Varsovie en 1981, Sarajevo en 1992-1995. Non intervention que vous qualifiez, à juste titre, de « terrifiante énigme ».
S’il n’y a pas d’alliances (comme c’était le cas, autrefois), seulement des intérêts (comme c’est le cas dans le chaos de l’opportunisme, du cynisme et du court-termisme contemporains), il se pourrait que, bientôt, les intérêts se cristallisent en Orient. La riposte occidentale qui consiste à hâter la légalisation d’ETF en crypto-monnaies me semble bien maigre. Et l’appel d’Emmanuel Macron en faveur d’une réforme de la gouvernance financière mondiale « afin de mieux associer les pays en développement » (vous savez, ceux des BRICS) me laisse penser que presque rien n’a été fait.
Je me demande simplement comment les banques centrales, la BIS, le FMI, comptent s’y prendre pour contrecarrer la stratégie des BRICS. Le quotidien de nos magiciens de la haute-finance ne doit pas être de tout repos, en ce moment.
Dans L’Empire et les cinq rois, vous écrivez : « Il (un ami de la liberté aujourd’hui) protège ce fort que fut l’Occident contre les faibles que sont encore – mais pour combien de temps ? (je souligne) la Chine, l’Iran, l’empire néo-ottoman, les nostalgiques du Califat, la Russie. Comme dans le Traité des Pères, il prie pour l’Empire ».
Aujourd’hui, le bloc-Est est-il faible ? Ou bien menace-t-il de se réveiller et de nous engloutir ?
Le problème étant, selon moi, que l’on connait très peu le détail et la nature des accords entre les cinq puissances citées. Il en va de même pour le détail et la nature de leur stratégie. Mais l’on voit bien que leurs rencontres se multiplient, et que leurs collaborations, dans tous les domaines, se renforcent, s’intensifient, à vitesse grand V.
Et le principe des BRICS, qu’ils vantent fièrement, est que « personne n’exerce de contrainte sur personne, et que chacun agit en fonction de ses intérêts propres »… Mais ces intérêts propres me semblent n’en être qu’un : le renversement du rapport de forces international.
Je me demande s’il ne s’agit pas là, clairement, outrancièrement même, d’une stratégie coordonnée de l’axe Iran-Russie-Chine (Turquie ? Qatar ? E.A.U. ? aidez-moi), un plan concerté visant à frapper, affaiblir le plus durement, exténuer, laminer, détruire l’Occident en le noyant militairement, stratégiquement, économiquement, financièrement, technologiquement (IA), politiquement et idéologiquement, et possiblement, à moyen ou long terme, espérer retourner le rapport de forces mondial et prendre LE leadership, notre leadership, sur fond, donc, de BRICS, de démonétisation et de démoralisation ultra agressive de la démocratie… leur travail de sape me semble déjà tellement avancé… c’est même à se demander s’il n’est pas trop tard.
Peut-on, désormais, parler de deux nouveaux ordres mondiaux en devenir, qui s’affrontent ? Si oui, n’est-ce pas forcément synonyme de guerre globale ? Et encore si oui, sous quelles modalités ? Car on n’aura jamais vu cela, une guerre mondialisée, à ce point. Et une telle friction idéologique entre régimes ouverts et régimes fermés, ces derniers ayant fait cause commune contre l’occident (1ère couche), l’humanisme (2nde couche), les juifs (3ème couche).
Deuxièmement, Poutine qui tente d’annexer l’Ukraine (grâce à Téhéran et aussi à la Chine qui le soutient économiquement autant que possible sans risquer de trop froisser les Américains, notamment en lui achetant, entre autres, du gaz), et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin (Suède, Finlande, Moldavie ou Lituanie : vous avez vu les déclarations de notre roi des trolls préféré !). L’ignoble double horizon du gel du conflit et d’un embrasement dans le Caucase. Poutine qui a retourné vingt-cinq pays d’Afrique dans son camp en une seule année (armé de ses trolls et de ses milices). Et nous a évincés, humiliés, et mis en danger, du même coup.
Son alliée, la République islamofasciste d’Iran, et ses indispensables proxies qui cherchent à exterminer Israël et prendre le contrôle de toute la région. (Construisant une sorte de mini empire, proxy à son tour, des trois géants Russe, Turc et Chinois ?)
Puis la Chine et Taïwan, donc. Une guerre, sur ce front-ci, est-elle imminente ? Je sais que les Chinois observent avec attention le front russe (les réactions ou l’absence de réactions occidentales) ainsi que le Proche-Orient, et se demandent s’ils peuvent y aller ou non. Vous semblez penser que la Chine cherche à retourner le régime démocratique en place en finançant et en soutenant massivement l’opposition qui, arrivée au pouvoir, l’offrirait à Pékin sur un plateau d’argent. Ce serait une défaite majeure pour notre influence en Asie du Sud-Est. Une de plus.
En résumé, si j’ai bien compris ce qu’il se passe dans le monde : « quand papa n’est pas là, les souris dansent » ; et que ce soit en Afrique, aux frontières de la Russie ou de la Chine, que l’on vassalise ou bien que l’on annexe, l’important est de continuer de grignoter un maximum de terrain (idéologique, géographique, stratégique, économique, etc.).
Selon moi, il y a là tous les ingrédients pour une guerre « totale », c’est-à-dire globalisée, entre les deux « blocs » (même si c’est plus complexe, disons cela) oriental et occidental, autocratique et démocratique. C’est une véritable poudrière. Comment jouer les puissances conciliatrices dans un tel contexte ? C’est très inquiétant. Me trompé-je ? La question que je me pose du point de vue de l’Occident c’est : que faire ? Je ne vois vraiment aucune issue réaliste, dans le temps qui nous est imparti, pour espérer atteindre la fameuse homéostasie promise par le monde globalisé. En voyez-vous ?
De l’autre côté, la guerre provoquée par l’attaque du 7 octobre (la question de la responsabilité de Netanyahou est vertigineuse… son opposition acharnée contre les accords de paix, n’était-ce pas là un suicide pour Israël ? Ou bien est-ce le contraire ? Et quid des élections, de la Cisjordanie, de la suite ?), visant donc à l’embrasement régional. Où chaque pays proxy de Téhéran fait cause commune, et tend purement et simplement à l’extermination d’Israël (quelles sont leurs chances ?) ; avec, en plus, des velléités de conquête et de domination régionale par la République islamofasciste et ses proxies et alliés : Liban, Yémen, Syrie, Libye, Pakistan, Algérie. Faudra-t-il ajouter un jour à la liste les E. A. U. et l’Arabie Saoudite, l’Égypte (ils viennent de recevoir un chef du Hamas…) ? Le Qatar ? L’Irak ? L’Afghanistan ? Et plus indirectement, quoique, les pays du Sahel ? Quel rôle jouent chacun de ces pays sur ce théâtre ?). Est-ce que j’exagère cette coalition ? Est-ce moins bien organisé que je ne le projette ?
Une autre question que je voudrais vous poser c’est : à quoi joue le Qatar ? Centcom est basé là-bas (ce n’est pas rien, quand même !), nous aussi il me semble (?), nos liens depuis le Koweït ne valent pas rien non plus ; et les chefs du Hamas y sont aussi hébergés comme des sultans. Je ne comprends pas. Il est impossible que le Qatar joue sur les deux fronts. Soit ils sont nos alliés, soit ils sont alliés de l’Iran. Et donc des Russes. Et donc de la Turquie et de la Chine. Non ? Je suppose que le Qatar craint pour sa survie… et doit probablement, au moment où l’on parle, baisser la tête ?
Le plus important : l’axe Russie-Iran. Vous avez vu les nouveaux accords (leur « coopération bilatérale » ou « accords interétatiques ») passés tout récemment. Vous savez qu’en échange de livraison d’armes, de drones, de la part de l’Iran, en direction de l’Ukraine, la Russie va aider notamment le développement du programme nucléaire iranien, mais envoie aussi des chars et des missiles, si je ne me trompe. Et une aide logistique (cyber ? autre ?) Mais ça va bien plus loin que ça, il y a des accords entre la principale compagnie pétrolière iranienne et Gazprom. Ils songent même à créer une crypto monnaie. Entre autres. Bref, c’est le grand amour…
Ce grand axe m’en rappelle un autre… vous savez de quoi je veux parler…
Le Qatar, donc, en fait-il partie ? La Chine y est-elle complètement étrangère ? (Je sais qu’elle soutient le Pakistan…)
L’Iran et la Russie ont en commun de mener depuis des années des attaques indirectes contre Israël pour l’un, et contre l’Occident pour l’autre (attentats terroristes, conflits militarisés de faible intensité, démonétisation, démoralisation, etc.). Et l’on voit bien comment Téhéran use et abuse de ses proxies en ce moment. Je sais que ni les Russes ni les Iraniens n’ont les moyens financiers et logistiques de se payer une guerre à grande échelle, mais est-ce bien sûr ? Et si c’était un leurre ? Avec le soutien de leurs alliés… (et de la Chine, de façon insidieuse ?) Et si cela se passait de manière graduelle, et inédite, à l’usure ? Je me demande ce qu’il en est.
De plus, il est évident que l’attaque du Hamas était un piège de Téhéran. Que le Hamas (financé par le Qatar-écran, formé par l’autre écran de fumée grossier du Hezbollah) a pris les Palestiniens en otage, autant que l’opinion internationale (il suffit de voir comment les journalistes occidentaux reprennent, sans nuance aucune, les chiffres du Hamas qui, on l’a vu, mentent comme ils respirent). Puis les ayatollahs jouent les victimes : « nous sommes fiers d’être un peuple martyr ! » (sic)
Un piège. Pour quel objectif ? Embrasement régional ? Manipulation de l’opinion internationale ? Avec à la clé la création d’une coalition au sein de laquelle la République islamique d’Iran s’imposerait en maître dans la région (avec l’Arabie Saoudite en 2ème position, les Émirats arabes unis en 3ème et le Qatar en 4ème ? Aidez-moi) et détruirait enfin Israël, avec l’aide de ladite coalition islamofasciste ? Est-ce cela ?
Quid d’Israël ? Sa destruction me semble impossible… avec un allié tel que les États-Unis… Et pourtant, il n’est plus un seul juif qui soit en sécurité en ce monde…
Si Israël est encerclé, que va-t-il se passer ? Les Israéliens sont-ils gravement menacés ? Comment vont-ils s’en sortir ? Avec Netanyahou (et les chemises noires qu’il porte, si chères à son grand-père, adorateur de Mussolini) ? Quel avenir pour Israël ?
Quid des Kurdes (à qui l’on doit tant, comme vous nous le rappelez au début de L’Empire et les cinq rois) ? Ces Kurdes qui sont, écrivez-vous, les fiers représentants de « l’islam des docteurs face à l’islam des assassins, où l’on croit à la démocratie et au droit à l’égalité entre femmes et hommes jusque sur le champ de bataille, à la laïcité, à la pluralité des croyances et à l’obligation sacrée de protéger les chrétiens, les yézidis, les musulmans chiites, et les juifs ».
Et quid de tous les opposants, aussi nombreux que silencieux, aux moudjahidines, à Erdogan, Poutine, Xi, MBS, etc., de ceux qui aspirent à la liberté, des femmes ?
Car si les États-Unis ont tant retardé leur aide à l’Ukraine, comme je l’ai lu, c’est parce qu’ils concentrent toutes leurs forces militaires sur Taïwan (faute de moyens suffisants ? Vraiment ? N’est-ce pas plutôt un prétexte visant à signifier à l’Europe qu’elle doit apprendre à se débrouiller toute seule, autrement dit, être davantage souveraine, c’est à dire autonome militairement – et repasser en économie de guerre ? Aussi, qu’elle se doit de réanimer, illico, une diplomatie-zombie ? Et reprendre, au passage, du muscle idéologique et politique, en s’obligeant à une impérieuse rééducation), et comptent sur l’Europe pour s’occuper du front ukrainien, et qui sait, demain, caucasien.
(Exactement comme pendant la seconde guerre mondiale… comptent-ils, encore, nous faire le coup du débarquement au dernier moment ? Et sinon, rien ?)
Le problème c’est qu’on n’a pas de Churchill à disposition… Biden est acculé au Congrès. Je ne vois pas d’issue pour apaiser, concilier ce chaos. En voyez-vous ? Si oui, laquelle ?
Au fait, que font les Anglais ? Leur silence est assourdissant.
Quid de l’Europe ? De sa souveraineté sur tous les plans, alimentaire, énergétique, sécuritaire ? Nous ne cochons aucune de ces trois cases. (Et, à voir notre parlement, gangrené par l’extrême-droite et les populistes, ça ne risque pas de s’arranger. Un beau cadeau pour la jeunesse européenne et son avenir…)
Ne sommes-nous pas en passe d’une marginalisation, d’un affaiblissement et d’un rétrécissement inéluctables, faute de réaction puissante sur tous les plans ?
L’Europe doit se ressaisir, pas demain, maintenant. Se responsabiliser, et cesser de compter sur la tutelle américaine, comme elle l’a fait depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il serait peut-être temps d’arrêter de scroller sur Instagram ou TikTok, de se br*nler sur OnlyFans, pour regarder ce qu’il se passe autour de nous (pardonnez ma vulgarité, mais c’est vrai).
À mes potentiels détracteurs : je n’ai jamais été une grande adoratrice de nos technocraties, ni de leurs méthodes, ni de leur cynisme, ni des conséquences désastreuses du libéralisme sur le tissu social… mais enfin, étant donnée la tempête despotique qui s’avance à toute allure dans notre direction, nous n’avons pas les moyens de finasser – pas pour l’instant.
C’est notre intelligence du cœur, contenue dans les valeurs démocratiques, humanistes et universalistes qui faisait notre supériorité sur les régimes autoritaires, ou pire. Si nous cédons sur ce principe, cette intelligence du cœur, nous perdrons tout. Car ils ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Et ce n’est que le début… (Je ne parle même pas de l’état de notre démographie, sinon je vais faire un malaise.)
Pardonnez mon emphase, mais je n’ai vraiment pas envie que le monde se transforme en camp de concentration géant, et que la phrase de George Orwell « If you want a picture of the future, imagine a boot stamping on a human face – forever. », s’avère être une prophétie.
(On est déjà bien contents de ne pas être américains, sous de nombreux rapports… Attendez de voir la suite : IA, GAFAM, médias, etc.)
L’Europe peut et doit briller à nouveau. Cette crise politique en est, je crois, l’impeccable occasion.
L’Occident souffre du « syndrome de Hume » : c’est-à-dire qu’une égratignure sur sa main est plus importante que la fin du monde. Cette égratignure repose, je crois, sur son cynisme électoraliste. Et le laisser-aller idéologique, politique, social, moral, éthique et spirituel (l’empire du « Rien » que vous sténographiez très bien) qui en découle. C’est sur ce « syndrome de Hume » que comptent les « Cinq rois ».
La « lutte » contre l’immigration comme unique et dernière idéologie française et européenne, vraiment ? J’ai déjà froid.
(Alors que nous sommes le pays qui accueille le moins d’immigration au monde.) Et j’ai mal, très mal à mon Europe qui, pourtant, nous a si bien protégés, durant ses longues années… Je me demande ce que diraient nos aînés, nos sacrifiés, en voyant l’état de l’Europe actuelle, la direction qu’elle prend.
Va-t-on, de nouveau, avoir droit à l’inepte inaction occidentale que l’on a vu pour les Ouïgours, la Crimée, le Donbass, la Syrie, le Kurdistan, le Mali, le Nigeria, le Haut-Karabagh, etc. ?
Alors que l’on sait que nos « concurrents » (sic) comptent justement sur cette paresse et cette passivité occidentales, et cette illusion que nos acquis sont éternels ?
Sun Tzu écrivait que « les opportunités se multiplient, à mesure qu’on les saisit. » Il serait peut-être temps de fermer boutique. Peut-même, soyons fous, de réagir. (La Chine, La Russie, l’Iran nous testent. Et que leur sert-on ? Des feux verts, trop de feux verts…)
Puisqu’il est clair qui s’agit d’un règlement de comptes, à échelle mondiale. D’une affaire personnelle, de vengeance et de mise à mort, où le bloc-Est, si vous me passez l’expression, veut la chute de l’Occident, et est prêt à user de toutes les méthodes les plus mafieuses et sournoises possibles pour y parvenir. Je ne parle même pas de l’espionnage, chinois par exemple, terriblement efficace chez nous. Je pense notamment à l’ingérence au parlement européen mais aussi au Congrès américain.
Enfin si, il faut en parler.
Et des Russes aussi, évidemment !
J’ai peu d’éléments de preuve, car leur sabotage relève de l’immanence, c’est-à-dire du cyber, sur lequel nous nous montrons apparemment, dangereusement passifs et faibles. C’est peut-être sur ce terrain-là que nous essuyons nos plus lourdes défaites, avec des conséquences très concrètes à la clé (en France : Le Pen, Bardella, Chatillon, Lousteau, Péninque, Vardon, Du Gay, Alliot, Philippot, Marion Maréchal, Bay, Rachline, Crochet, Djian, Klein, Cotelec, Jalkh, Le Priol et tout le consortium, que dis-je, la famille des Gudards, de la mouvance « nationale révolutionnaire » (sic) qui forme la garde rapprochée, quoique très savamment occultée, de MLP, et qui s’exclament tous en cœur que « le parapluie américain ne vaut plus rien », pour mieux se ruer sous le parapluie russe (re-sic)… mais aussi l’Afrique où nous avons tant perdu, et les régimes démocratiques avec…).
Il nous faudrait, à échelle européenne, concevoir une solide résistance contre-propagandiste sur les réseaux… des « fermes de fées républicaines et démocrates » en quelque sorte – je plaisante, mais c’est très sérieux – pour contrer leurs si puissantes, si effectives « fermes de trolls » russes, mais aussi chinoises et iraniennes).
Est-ce que je me trompe ?
Si je ne me trompe pas. Comment concéder quoi que ce soit à un ennemi qui veut notre destruction totale ?
Je crois savoir qu’on appelle cela la guerre de cinquième génération. Militaire, idéologique, morale, sociale, économique, énergétique, technologique (IA, cyber), spatiale, etc., bref, guerre totale, mais passée par le fleuve héraclitéen ?
Avec cet éternel retour du différent que vous exemplifiez « à merveille », si vous me passez encore l’expression, en rappelant, ce que j’ignorais totalement (et je comprends mieux pourquoi l’expression des ayatollahs et de leur vassaux, « l’entité sioniste », me met si profondément mal à l’aise), l’existence historique d’un « nazisme arabe » qui, et je vous citerai, ici, aussi longuement que nécessaire, s’il est « réputé n’avoir pas existé, n’a pas à être historicisé, documenté, pensé ; aucun travail de mémoire, de deuil, pour ne pas dire de repentance, n’a à être entrepris ; en sorte que cette partie du monde, Irak et Syrie en tête, mais aussi Palestine, Arabie saoudite et Égypte, est la seule où l’on soit dispensé de la grande opération de dénazification qui, tant bien que mal, du Japon à l’Allemagne, à la France et au reste de l’Europe, a fini par être menée (…) ce nazisme non dénazifié, cette part arabe d’une révolution nazie dont il ne faut pas se lasser de rappeler qu’elle fut mondiale et, donc, aussi arabe (…) dans cette partie du monde où, plus encore qu’en Amérique latine, les anciens nazis ont connu une seconde vie. De là Nasser qui avait été proche, avant-guerre, du parti Jeune Égypte façonné sur le modèle du NSDAP hitlérien et qui, parvenu au pouvoir, ne manque pas de recruter d’anciens officiers SS, experts en police politique, en gestion pénitentiaire et, naturellement, en propagande “antisioniste”. De là le Hamas et sa charte qui, dans son article 32, cite explicitement Les Protocoles des Sages de Sion – et, avant même le Hamas, le grand nombre de camps d’entraînement palestiniens anti-Fatah où officiaient, dans les années 1960 et 1970, d’anciens commandants SS. Et de là, le djihadisme d’aujourd’hui dont la dimension religieuse, le lien attaché et vivant avec l’islam, ne doivent pas cacher cette autre dimension, bel et bien politique, qui s’ancre dans la mauvaise mémoire de l’Europe et révèle, chez ceux qui ne l’ont pas mise à distance, l’inquiétante familiarité du national-socialisme » Enfin, cet autre rappel salutaire… Je vous cite encore, car je ne pense pas être la seule à l’avoir ignoré jusqu’à présent : « il faut se mettre dans la tête d’un diplomate en poste à Téhéran, puis d’un responsable d’une grande chancellerie, recevant, en ce jour de 1935, la nouvelle qu’il est devenu interdit de dire “Perse” et que seul “Iran” sera, désormais, recevable. (…) Il faut savoir enfin que cette brillante idée était venue de la légation iranienne à Berlin qui se l’était vu, elle-même, suggérer par les autorités allemandes – et en douterait-on que Radio Zeesen, l’antenne en persan de la radio nazie, ce média de propagande qui ne cesse de prêcher, à Téhéran, l’alliance entre “les Aryens du nord” et “la nation de Zoroastre” et qui présente Hitler comme le douzième imam qu’attendent les chiites depuis huit siècles, ne manque pas une occasion de le rappeler. »
Plus loin : « En sorte que, si l’on croit, tant soit peu, à l’inconscient des langues, à l’inconscient des langues et à la puissance de leurs noms, il faut bien conclure qu’un spectre hante l’Iran et que c’est celui, encore, de ce que le XXème siècle européen a produit de plus désastreux. »
New nazi bottles for old nazi wine… Je comprends mieux.
Et quelle fut ma surprise de découvrir, toujours dans L’Empire et les cinq rois, que le philosophe ayant le plus influencé la république islamique, à ses débuts, soit Heidegger, « parce qu’Heidegger est le philosophe occidental le plus critique de l’Occident ; parce qu’il est le penseur qui, en Occident, dit que l’Occident s’est perdu en se perdant dans la technique ; et parce qu’il propose une solution de rupture avec les valeurs libérales qui n’avaient peut-être pas marché en Allemagne mais dont il n’était pas interdit de penser qu’elle se rattraperait à Téhéran. »
Décidément, je comprends vraiment mieux (par exemple, cette exposition négationniste à Téhéran en 1994, où la « crème de la crème » des négationnistes, révisionnistes et fascistes occidentaux fut reçue en grande pompe).
Il existe un biais cognitif ultra-péjoratif quant au mot « Empire » (qui se trouve être le titre de mon prochain roman – c’est peut-être la raison pour laquelle j’ai lu votre livre, et vous écris aujourd’hui – empire, mot que j’ausculte, sous tous les angles, et en tous sens possibles), biais cognitif qu’il s’agit maintenant de dépasser. Notre ami Kojève serait, je crois, d’accord sur ce point.
« Empire phénix » écrivez-vous, « dont le tombeau est toujours un berceau, le berceau toujours un tombeau » : où « l’Edom abrahamique » est « funèbre et glorieux », « solaire et antisolaire », et dont, c’est d’ailleurs son « principe », dites-vous, la chute est « une chute interminable, elle-même entrecoupée de renaissances innombrables »… Ou pour le dire autrement : l’Empire est mort, vive l’Empire ! Et si, comme vous l’écrivez encore, avec Hegel, « L’Amérique est la continuation de l’Europe », alors, il va de soi qu’il faut aussi, et à rebours de la conjecture actuelle, s’écrier « vive l’Europe ! ».
Alors, s’agit-il d’une guerre de l’Occident contre la « République » islamofasciste soutenue par les super-dictatures néo-impérialistes ?
Ou bien, s’agit-il plutôt d’une véritable coalition Russie-Iran (et toute la région à sa botte) – Turquie-Chine ?
Pourrait-on résumer l’affaire ainsi : c’est l’Occident immature (plutôt que sénile) ; indolent ; narcissique ; nihiliste ; court-termiste ; cynique ; endormi ; complaisant ; décadent (vraiment ? Je refuse de le croire), gangrené par les extrémismes et le populisme, passif, trop passif, face aux attaques de toutes parts et avec une agressivité folle par les hyper-tyrans, les despotes (Poutine, Xi, Erdogan, Khamenei, MBS, etc.), les théocratures sanguinaires et nostalgiques de leurs empires feu-glorieux ?
Vous pointez leurs faiblesses, leurs « handicaps majeurs » : économique et politique (Erdogan depuis le coup d’État manqué de juillet 2016, les mollahs iraniens confrontés à « la jeunesse, les classes moyennes, la population en général, brisées par les sanctions occidentales, désespérées par la pauvreté et qui échangeraient toutes les aventures syriennes ou irakiennes du monde contre un train de réformes anti-corruption » – j’ajoute que l’on sait qu’il n’y a pas de profonde hostilité entre les populations iranienne et israéliennes – ; les Saoudiens comme les Qataris, absolument pas prêts pour l’après-pétrole ; la Russie, son « industrie en ruines », sa « démographie en chute libre, une espérance de vie, pour les hommes, inférieure à celle de l’Irak et du Guatemala, un PIB par habitant quatre fois plus faible que celui du Danemark et à peine supérieur à celui du Gabon ou de la Libye », et la Chine, « cet empire qui avait si peur de son propre désir qu’on y déclara, en 1500, passible de la peine de mort quiconque aurait l’audace de construire un navire de plus de deux mâts » – je vous cite).
Mais si « les cinq rois » étaient justement en train de s’entraider en vue de palier à ces faiblesses notoires… s’ils réussissaient, que se passerait-il ?
Et vous le dites vous-même, au chapitre intitulé le piège d’Hérodote, qui est, « avant Thucydide, l’inventeur de l’Histoire (…) Et si le récit d’Hérodote trouvait, deux mille cinq cent ans plus tard, un autre dénouement ? Et si les vaincus de Salamine, de Suse et de Marathon, mais aussi ceux de Grenade, de Lépante, du sac du palais d’Été et même de la guerre froide étaient en train de prendre leur revanche ? »
Et vous posez, enfin, la question : « Où est leur projet de civilisation ? » ; « où sont les colonnades, les esplanades sacrées ou laïques, les propositions esthétiques et morales, les fables capables je ne dis même pas de concurrencer, mais de faire écho, ici, à ce qui s’est dit sur les fresques de Persépolis ? » ; car « une civilisation et, donc, un empire n’existent que si l’on y trouve la force de produire des poètes, des saints, des illuminés, des métavivants (je souligne), des savants. »
Vous ne croyez pas en leurs chances de succès. J’aimerais être aussi sûre de leur impuissance que vous.
Too big, or not too big (to fail), that is the question.
D’une rivalité politico-militaire, doublée d’une interdépendance extrême, pourrait-on donc aboutir à un véritable conflit globalisé, diamétralement polarisé sur ses modèles de gouvernance et ses idéologies ? Serions-nous en mesure de riposter en cas de menace sérieuse ? Et comment ? Par les sanctions économiques ? internationales ? Par les armes ? Comment ? Ne sont-ils pas en train de parvenir, à pas de loup, et à la faveur de notre indolence, à leurs fins ? Et surtout, si l’on continue de s’autodétruire (comme le dit un ex-agent du FSB dans une interview : « l’occident se fait ça à lui-même »), par les replis nationalistes et autoritaires auxquels ils nous poussent, depuis longtemps déjà (Trump, Le Pen, Orban, Meloni, Duda en Pologne…)
Si l’on continue de laisser le chaos s’installer, ce sera le triomphe du sabotage en règle des régimes démocratiques partout sur la planète. Piège dans lequel nous tombons aveuglément. Il s’agirait de se réveiller, en somme. En actes.
De sortir, aussi, du nombrilisme « intellectuel » et culturel français, en ce qui nous concerne (et je ne parle pas de ceux, nombreux, qui se sont laissé lobotomiser par les Russes)… Car l’autocratisation du monde (le mot, si laid, colle impeccablement à la chose) est en marche. Et qui, pour l’empêcher, sinon le pays créateur des Lumières, des Droits de l’Homme et du Citoyen (avec son allié allemand, qui se réarme, justement), et son navire Europe ?
Car, qu’est-ce qui fait, dans le monde, la grandeur de la France, sinon, comme vous l’écrivez, avec Hegel, « l’universel majuscule de l’Esprit » ?
(Et cet autre grand Français, Gandhi, n’écrivait-il pas que « tous les hommes sont frères » ?)
« Nous devons aussi prendre des risques en matière de gouvernance internationale », écrit Emmanuel Macron dans une tribune parue l’automne dernier (sic) dans la revue Politique Internationale. L’injonction n’est pas sans rappeler cette autre, célèbre, de Kofi Annan : « l’avenir de l’humanité, c’est la gouvernance mondiale ».
Et je tiens à citer, ici, ces extraits de vos pages sur le De Monarchia de Dante, « l’auteur de La Divine Comédie dont on oublie trop qu’il fut aussi philosophe, lecteur rigoureux de saint Thomas d’Aquin et, justement, d’Aristote, (qui) répond ceci : dans la nature, le tout est ontologiquement supérieur à la partie ; dans cette autre nature qu’est la nature sociale, les hommes ont plus de chances de développer leur éthos civique au sein de leur village qu’au sein de leur famille, ou au sein d’une cité qu’au sein de leur village ; eh bien ils augmentent encore cette chance quand ils passent à l’étage supérieur et subordonnent chacune de ces appartenances à leur intégration dans un empire. (…) Mais l’esprit de la cité seule, la multiplicité des petites cités juxtaposées et vivant de leur vie propre, c’est aussi – et ça, c’est lui, Dante, qui l’a découvert, au moment de son exil – la possibilité multipliée, autant de fois qu’il y a de cités, de voir surgir un tyran. (…) Tout se passe, en d’autres termes, comme si l’esprit d’empire augmentait les chances : 1. De refroidir la pression du tout sur la partie et 2. De réchauffer la petite flamme de la liberté civique et citadine qui est ce à quoi Dante tient, somme toute, le plus. (…) Allez, en avant l’empire qui est, avec ses vices, ses défauts, sûrement ses monstruosités, ce qui se rapproche le plus de ce que, cinq siècles avant Kant, Dante appelle la société universelle du genre humain ! »
Le président français écrit aussi, toujours dans la même tribune, qu’il faut « préserver notre souveraineté sans esprit de conflictualité », par le recours notamment à des « partenariats ouverts », des « changements d’objectifs, de méthodes (je souligne) et d’interlocuteurs » ; d’une « coalition internationale au Levant » ; et plus particulièrement, pour, je cite, « encadrer les activités de déstabilisation de l’Iran dans la région », avec « un soutien de l’Irak et de sa souveraineté » car, ajoute-t-il, « il y a une demande de la part d’États souverains que nous venions les aider ».
Et je cite encore le Président de la République : « Sans doute plus qu’ailleurs, en Afrique il faut parler, renforcer le lien avec la société civile, les oppositions et toutes les expressions des forces vives. C’est absolument indispensable. Si nous avons été pris à revers sur le continent africain, c’est que nous avions un dispositif incomplet, démesurément appuyé sur celle et ceux qui étaient au pouvoir. Plus qu’une aide militaire, c’est une aide politique qu’il faut apporter en Afrique. » Et de là, les opérations Serval et Barkhane.
D’accord. Ce n’est pas tout à fait rien. Mais, au-delà de tout ça, comment éviter, je vous pose très sérieusement la question, une perte de leadership majeure, si ce n’est un renversement de celui-ci, et un conflit mondialisé, face à ces (je vous cite) « cinq puissances révisionnistes de l’ordre international qui sont en train, chacune à son pas, d’abattre leur jeu et de défier les États-Unis et l’Europe, (et qui) ont la particularité d’être dépositaires, dans le genre empire, de ce qu’il y eut de plus légendaire et d’être, aujourd’hui encore, passionnément habités par cette mémoire » ? et qui sont, je vous cite encore, « moins fascinés par ce que l’histoire de cet Occident haï et envié recèle de beautés que par ce qu’elle a eu de moins glorieux et, souvent, de plus infâme » ?
Ne sommes-nous pas acculés, obligés de nous défendre avec la plus grande force (diplomatique, politique, militaire, mais pas que, inutile, ici, de se mentir) ? Qu’en pensez-vous ?
Je ne peux concevoir que l’on se laisse (dé)faire si facilement… avec pour excuse que « nous avons d’autres chats à fouetter » … Sérieusement ?
Que se passe-t-il ? Que va-t-il se passer ? Et surtout, je le répète encore : que faire ?
Quant à nos « anti-lumières » locales, je n’aurais qu’une chose à leur dire : vous voulez empêcher le fondamentalisme islamiste de forcer les portes de l’Europe ? Empêcher l’Islamisme radical de proliférer en France ? Soi-disant sauver la démocratie (Mélenchon, pour qui j’ai voté trois fois, et qui m’a tant déçue, comme tant d’autres, à trop tirer du côté révolutionnaire et pas assez du côté réformiste – et à soutenir, encore, et encore, l’insoutenable) ? Alors, vous êtes forcément pro-européens, pro-démocratie, pro-occidentaux, et donc pour l’Empire ; vous faites la part des choses, et vous luttez, forcément, le plus activement possible et par les armes qui sont celles de l’Occident (idéologique, politique, économique, stratégique, cyber, militaire), contre nos ennemis, qui sont vos presqu’alliés actuels… Et vous tendez, aussi, à la maîtrise et à la mise hors d’état de nuire des forces ennemies aux Proche et Moyen-Orient, en Russie… Il n’existe pas d’autre option !
Si vous ne l’êtes pas, vous êtes des traîtres, des pantins, des collabos. Et c’est vous, qui accélérez le déclin de l’Occident, qu’il vous plait tant de brandir en étendard afin de vous positionner en sauveurs. Votre lâcheté et votre corruption d’âme en sont pourtant la cause (j’enfoncerai ce clou-là dans un article à venir sur la galaxie RN).
Il n’est pas trop tard pour ouvrir les yeux, et changer de camp. (Il est presque trop tard, en fait.)
Il faut encore dire à ces gens ceci.
Vos idées et positionnements, d’une veulerie et d’une médiocrité politiques insondables, offrent à nos ennemis un boulevard idéologique, économique, stratégique, militaire…
Vous incarnez, validez, jour après jour, année après année, corruption après corruption, le programme de Daech, de la Russie, de l’Iran, de la Chine, de la Turquie, à vous seuls !
Si vous (Le Pen, Bardella, Zemmour, Mélenchon, et leurs sbires décérébrés) vouliez vraiment sauver la France, il n’y aurait qu’une chose à faire : se battre contre les ennemis de l’Empire d’Occident. Et soutenir l’Empire, de toutes vos forces. Notre survie ne dépend que de ce combat. (Un enfant de huit ans le comprendrait !)
Si, comme vous le répétez à tort et à travers, vous voulez des remparts contre l’islamisme radical… Vous êtes donc d’accord avec M. Bernard-Henri Lévy.
Moi qui pensais contribuer, à ma microscopique mesure, à réveiller Alexandria par la voie des textes, en parlant de tout ce qui me passionne, Jamblique, Damascius, Pic de la Mirandole, Averroès, Rûmî, etc. et créer des alliances intellectuelles avec la Chine (arts, philosophie, sciences…), l’Iran, la Russie (Soljenitsyne, Fiodorov par exemple, mais la littérature, mais la musique) …tout cela m’a l’air un peu compromis pour l’instant. Mon idée me semble aujourd’hui bien naïve, bien vaine… Qu’en pensez-vous ?
Il sera plus efficace, d’abord, et le plus puissamment possible, de servir de porte-voix et de soutien actif, voire hyperactif, aux opposants pro-démocratie de part et d’autre (Proche et Moyen-Orient, Afrique, Russie, Chine, même) et aux mouvements populaires, tels que Femme ! Vie ! Liberté ! – non ?
Aussi, bien sûr, renforcer notre aide humanitaire (sic), et surtout notre aide politique à l’internationale (et tout particulièrement en Afrique : ici aussi, les biais cognitifs post-colonialistes doivent impérativement sauter).
(Mais, dans un second temps, tenter de rebâtir Alexandria par les arcanes de l’art, de l’humanisme, de l’universalisme et de la raison, me semble un horizon bien désirable…)
Et imaginez que cette capitale de « l’Islam des Lumières », comme vous dites, existe réellement. Imaginez qu’on ait su lever le rideau de fer d’incompréhension mutuelle entre Orient et Occident. Imaginez une sorte d’anti-Silicon Valley orientale, capitale des Sciences, des Arts, de la philosophie, avec des universités, des écoles d’administration, de commerce, d’ingénierie, d’innovation… Ne devrions-nous pas (hors logique colonisatrice, mais forts d’une volonté émancipatrice, conciliatrice et solidaire, au contraire), œuvrer à un tel projet, en collaboration avec tous, je dis bien tous les pays du Levant ?
« Kill them with kindness », comme dit Selena Gomez (une chanteuse pop).
Mains tendues, construire des ponts, soutenir la résistance où qu’elle soit, raconter, porter ses combats comme vous l’avez toujours fait, et non pas dit (et c’est pourquoi je vous admire tant), réparer (par la fraternité, la culture, l’art, l’intellect…) J’ai, du plus loin que je me souvienne, toujours pensé cela.
Mais contre des ennemis si mortels ? Des valeurs si contraires à ce qui nous est le plus cher (ai-je vraiment besoin de dire quoi) ? Pour rétablir notre leadership perdu en Orient et en Afrique, ne vaudrait-il pas mieux envoyer la cavalerie souterraine, si vous voyez ce que je veux dire ? (Créer une sorte d’Orient démocratique underground ?)
Ou bien il faut les deux.
Mais, puisque « la population mondiale dirigée par des gouvernements autocratiques est passée de 49% en 2011 à 70% en 2021 – soit 5,4 milliards d’âmes : plus d’un quart de la planète est sous le joug d’un régime fermé » (je cite un autre article de la revue Politique Internationale), il faut à tout prix agir, et très, très fort, et de façon coordonnée, pour renverser cette funeste conjoncture, dont les chances de succès sont, à la mesure de notre inaction, de plus en plus grandes, pour ne pas dire, quasi-certaines.
La seule manœuvre souhaitable de la part des Occidentaux me paraît consister en le retournement des régimes ennemis et le renforcement des oppositions dans chacun de ces pays… Comme nous avons si bien su le faire dans le passé. Mais nous ne faisons rien. Je me trompe ?
Quant à nous. De quoi sommes-nous, occidentaux, le nom ? Qu’est-ce que cet « Empire de l’Œil et du Rien » dont vous parlez dans L’Empire et les cinq rois ? Parlez-vous de la CIA, de la NSA ? Des GAFAM ? et du MOSSAD, MI5/6, DGSE ? d’INTERPOL… Ou bien de l’œil de la Providence, de la colombe, de la raison et de la paix universelle… c’est-à-dire, l’œil de l’Esprit, le troisième ? Ou bien, est-ce tout cela à la fois ?
Cet empire d’Occident qui « est à la fois tout et rien », qui « est tout parce qu’il n’est rien (…) n’est rien parce qu’il est tout », mais néanmoins qui « ne saurait se résumer à ses seuls GAFA, des États dans l’État », dites-vous.
Pour finir, je voudrais passer, rapidement, sur vos pages, si justes, si belles, sur la toile, le « panoptique Benthamien » de l’Empire qui, s’étant rendu invisible, écrivez-vous avec H. G. Wells, est parvenu au faîte de sa puissance.
Ce « royaume des panarchistes du silicium » selon votre formule, a valeur de pharmakôn. C’est-à-dire que c’est un poison potentiellement mortel, autant qu’un remède potentiellement miraculeux.
Je citerai simplement cette phrase de votre ami Jean-Baptiste Descroix-Vernier, car elle dit tout, en effet : « Je sais l’outil maléfique que serait, pour un nouvel Hitler, un Staline ou un dictateur ordinaire, cette batterie d’humains répartis comme des animaux, calibrés comme des petits pois et formatés comme des choses ». Puis vous citer vous, nuançant que « ce panoptique, tel qu’il est mis en œuvre par les GAFA, peut, à tout moment, se renverser (…) Discipline et plaisir… Ivresse du contrôle et souci du bien-être… Un œil qui ne se ferme jamais, qui surveille les corps et pénètre les âmes, qui viole leur intériorité – mais tout cela sans astreinte, au nom de la félicité universelle et avec l’assentiment des sujets qui y trouvent aussi leur compte. »
Et dire que cet « Empire de l’Œil et du Rien », « qui ne connait plus ni frontière ni territoire, ni palais ni châteaux, ni temples, ni juges », ce « nouveau contrat social Benthamien planétaire », « sans chef d’orchestre clandestin » ni « comploteur central », et dont les sujets ne sont « ni coupables ni innocents », est, aujourd’hui, encore le moindre mal…
Et vous nous alertez, à propos de ce Rien par lequel règne le Pouvoir, cette « force pour rien, sans dessein ni valeurs, qu’il exerce sur les derniers des hommes »… ce Rien « délié de toute prescription et réglementation politique », qui nous unit autant qu’il nous désunit, où, « dans le hérissement de leurs hashtags, il devient difficile de ne pas voir les haches de la délation et les stalags où seront demain parqués les peuples abandonnés (…) Et tout se passe comme si l’énergie déployée pour (…) tendre les cordes du panoptique mondialisé ne lui avait plus laissé ni le goût, ni le génie de soutenir la cause des peuples »…
« Cet Occident qui ne sait plus ni qui il est ni ce qu’il veut mais qui, à force de ne rien savoir, a fini par démoraliser (je souligne) ceux qui, en son sein, croyaient encore »
Cet Occident qui, écrivez-vous, n’est ni « le plus riche (il ne l’est plus !), (ni) le plus fort (on y a si peu de force qu’on en est affreusement économe) mais parce que c’est le seul lieu du monde où l’on se souvienne que, lorsqu’on frappe un homme, c’est l’humanité entière qu’on jette à terre (je souligne) » doit tenir, face aux Bal des spectres (titre de votre dernier chapitre).
Et vous ajoutez : « D’abord, ne pas céder au découragement ».
Comme l’écrit Marguerite Yourcenar, dans Feux : « On ne tue pas la Lumière, on ne peut que la suffoquer ».
En fait, je ne comprenais pas comment ce techno-monde qui est, bon gré, mal gré, le nôtre, fonctionne. Ce grand chaos terrestre et digital me dépasse, et je marche à tâtons dans le noir. Un peu moins après cette lecture de L’Empire et les cinq rois.
Entre la crise climatique et environnementale, la famine, l’effondrement du système éducatif à échelle mondiale, le Rien qui nous gouverne, et le moins que rien proposé par les cinq puissances défiant l’ordre international, difficile de ne pas se sentir dépassé. Sans une véritable planification, et sans un grand sursaut, à échelle européenne et transatlantique, je ne vois vraiment pas comment on peut avoir une chance de s’en sortir.
J’espère que vous travaillez bien. J’espère ne pas avoir dit trop de bêtises. Et je vous remercie de m’avoir suivie, jusqu’ici.
À vous,
Raphaëlle Milone
Paris, le 5 janvier 2023.