Il existe des biographes à ce point sous l’emprise de leur sujet, qu’ils finissent par parler dans sa langue, rapportent pieusement ses moindres dires, lui prêtent post mortem un vécu, une pensée, des états d’âme. Le contraire de Jean Paulhan recommandant « de ne pas entrer dans les jardins de la littérature les fleurs à la main »

Tels sont le charme mais aussi les limites des Derniers jours d’André Malraux, de Philippe Langenieux-Villard, ex-député gaulliste, à l’occasion littérateur, qui, épris de dramaturgie à l’égal de son illustre modèle, se fait ici plus malrucien que Malraux qui était pourtant peu avare lui-même de sa propre légende.

L’auteur dresse semaine après semaine l’éphéméride de l’année 1976 du reclus de Verrières-le-Buisson, une banlieue cossue au sud de Paris, recevant ses admirateurs dans le grand salon bleu du château des Vilmorin sous le regard d’un Braque, d’un Poliakov et de ses Fautrier, mettant la main finale à son Musée imaginaire dans son bureau au fond du parc, veillé en permanence par ses chats et sa dernière compagne, Sophie de Vilmorin, nièce de Louise de Vilmorin. Celle-ci, femme de lettres et d’esprit autant que femme du monde, auteure du célèbre Madame de, avait précédé sa nièce comme vestale d’André Malraux des années auparavant.

L’ex-ministre de la Culture cher à De Gaulle a soixante-quinze ans. L’agité du bocal que brocardaient les journaux satiriques ne boit presque plus ni ne fume, se drogue encore moins, est parvenu, à force de traitements, à juguler ses tics, dus au syndrome dit de Gilles de la Tourette. Passées une alerte en mars 1976, dont il se remet vite, puis une opération en août de la prostate à la clinique Hartmann, la mort donnant de plus en plus signe de vie, l’écrivain des Voix du silence, en pleine maîtrise de ses moyens intellectuels, s’emploie d’arrache-pied à boucler son œuvre, publie coup sur coup chez Gallimard Le Miroir des Limbes dans la Pléiade et L’Intemporel (Le Surnaturel sera posthume).

De même, il reçoit beaucoup, cette dernière année, dans son antre de Verrière : son amie « Gogo » de chez Hermès, l’écrivain Jules Roy, l’acariâtre ermite de Vézelay qui se croit son égal et le juge « très vieux », Florence, sa fille rebelle et son mari, le cinéaste Alain Resnais, puis son neveu Alain Malraux après un silence de neuf ans. Auxquels s’ajoutent le peintre Dubuffet, chantre de l’Art brut, Claude Gallimard son éditeur, Dominique Desanti qui vient l’interroger sur Drieu la Rochelle qui fut le parrain d’un de ses fils, le mexicain Carlos Fuentes venu lui remettre une décoration. Il donne à L’Express un entretien sur les chats, déjeune chez Lasserre avec Ludmila Tchérina, tutorise Françoise Giroud au Ministère de la Culture, en quête de conseils, appuie son ami Edgar Faure à l’Assemblée nationale pour une charte des libertés, prépare une série pour la télévision sur l’art, réalisée par Jean-Marie Drot.

Ses forces épuisées, qu’en est-il de ce contemporain considérable que fut Malraux jusqu’à sa mort (« son absence au monde » dit l’auteur), fin novembre 1976, d’un cancer de la peau ?

Malraux aujourd’hui est au Purgatoire des Lettres. Qui lit encore Les Conquérants, La Voie royale, La Condition humaine, L’Espoir, Les Antimémoires ? Des happy few. De lui, nous gardons en tête ses formules trop sonores, devenues à force des clichés : « La mort, qui transforme la vie en destin », « l’Art est un anti-destin », ou encore « La vie, ce misérable petit tas de secrets. »

S’il reçut dans la Cour carrée du Louvre un hommage grandiose suivi d’une oraison funèbre lue par… Raymond Barre alors Premier Ministre, sceptiques et adversaires du vaticinateur inspiré enjambant les siècles, ressuscitant les dieux morts, télescopant à plaisir Arts et civilisations, n’ont pas manqué à l’époque.

Malraux tenait Sartre pour « pas sérieux ». Le Landernau littéraire parisien ne se priva pas d’en dire autant et plus de ce bricoleur idéologique tous azimuts, qui confessait un jour : « Je fabule, mais le monde commence à ressembler à mes fables ». Visionnaire auto-proclamé, il était « en chasse permanente de comparaisons universelles dont lui seul mesurait la pertinence », admet son actuel thuriféraire. Le même ne s’emploie pas moins, cinquante ans plus tard, à camper cavalièrement (et bien injustement) un Sartre « apparaissant toujours comme un homme assis, avachi dans son fauteuil en fumant sa pipe. Malraux, lui, est l’homme qui se lève. »

Préférant le Peuple à la Michelet au prolétariat de Marx, préférant l’Histoire à Ia politique et les Dieux morts aux vivants, il s’était attiré ceci, de Simone de Beauvoir, dans Tout compte fait : « Se placer devant les Dieux, avec la Mort en majuscule, non au niveau des individus mais des civilisations, non des hommes mais de leurs statues et de leurs dieux, en permanence sous le souffle de l’Histoire, non de la vie et de la mort quotidiennes, mais du Destin », tel apparaissait Malraux en nietzschéen brouillon pour les intellectuels de gauche, traités en retour par l’intéressé de belles âmes germanopratines.

Ailleurs, Simone de Beauvoir fait remarquer que « Malraux n’est jamais là. » « Quand il est avec Mao, il pense à Trotski, quand il est au Caire devant les Pyramides, il pense au Mexique, à Delhi aux jardins de Babylone, devant telle statue à Vézelay à la grande muraille de Chine. »

Raymond Aron n’était guère plus charitable : « Malraux, c’est un tiers génial, un tiers faux, un tiers incompréhensible. »

Quant au Canard enchaîné, que cite avec une rare équanimité Philippe Langenieux-Villard, la charge est sans appel : « Illusionniste, il n’a jamais rencontré Ho Chi Minh en Indochine, ni n’a été à Canton pendant la révolution. Il n’a pas découvert la capitale de la reine de Saba. Il pilotait comme un manche, tankait à effrayer et son uniforme était coupé par Lanvin. Il n’a pas levé un sourcil contre la torture en Algérie et ses idées sur l’art doivent tout à Elie Faure. » Fermez le ban.

Peut-être pareille écume pèsera-t-elle longtemps sur la postérité de Malraux. N’en restera pas moins, plébiscité au regard de l’Histoire, modèle d’engagement pour les générations futures, ce maître non des idées mais de l’action. Restera inscrit au Panthéon de l’humanité le Malraux à la tête de l’escadrille España, puis, sous le nom de colonel Berger, à la tête de la brigade Alsace-Lorraine lors de la campagne d’Alsace, hiver 44.

Mais pour ce Malraux sans fard, ni fleurs ni couronnes, voyez plutôt le Malraux de Jean Lacouture.

3 Commentaires

  1. Malraux taught me to understand each day as a legend, animated by gods whom you will either ignore in an administered life or join in choosing your part in the artwork of Being.

  2. La déportation n’avait été qu’une étape dans un processus génocidaire que les nazis choisiraient de porter sur les fonts baptismaux via une formule moins euphémistique qu’abruptement clinique : la Solution finale à la question juive. Il n’est pas rare qu’un empire décide de disperser sans pour autant projeter leur extermination les indigènes d’une terre de conquête, laquelle diaspora eût constitué pour lui un risque d’insurrection permanent, et non moins inenvisageable de voir un autre empire, et parfois le même, voire une simple nation, entreprendre l’extermination d’une catégorie ethnoraciale ou ethnoculturelle appréhendée comme un péril menaçant la pérennité de son espèce.
    Poutine est un tyran dont les visées hégémoniques empestent l’enfumage à vingt-mille kilomètres. Un taré complet, oui sans l’ombre d’un doute, enfin… à peu de choses près. Usant de la force de dissuasion comme l’évadé du bagne. Assoiffé de justice. Prêtant le flanc aux aviateurs aveugles de la neurojustice. Le mutin de Moscou est un petit malin qui nous laisse la responsabilité de nos hésitations sur le bien-fondé d’une agression nucléaire préventive de la Russie panrussifiée. Contrairement à l’État islamique ou à tous ces Hamân que le grand cirque des campus abrite sous le parapluie anti-establishment, Son Antithèse ne souhaite pas l’extermination des nations libres qui se mettent en travers de sa route, mais leur mise au pas de l’oie, leur renoncement aux libertés cocréatrices de l’Adâm, leur fusion dans l’Axe du Bien tel que conçu par d’autres tyrans, protecteurs comme lui de l’ordre ancien et de valeurs traditionnelles inconciliables — c’est le but — que les principes universalistes et fondateurs du droit international ont mises à Mal.
    D’une manière différente, qu’on se le dise et le redise, quitte à se broyer les os de la Maxi-Tête, le méta-impérialisme oumméen affiche sa volonté de perpétrer un génocide dont Liz Magill, présidente démissionnaire de l’université de Pennsylvanie, nous confirme que sa légitimation est assumée en fonction du « contexte » qui en provoque la planification, avant que ce dernier n’en détermine les sordides préparatifs, puis l’odieuse mise en œuvre. Mais où commence et quand s’arrête le djihadisme des concepts et ses lignes de front dans l’esprit d’un partisan de la Taqîya, résistant héroïque, terroriste selon la terminologie obsolescisée d’un monde libre perçu comme fasciste par ces ennemies du libéralisme que sont la Russie — ? — et la Chine — ??? — ou une Inde indécise vers laquelle roulent à plein régime les yeux exorbitants de la finance mondiale…
    Il n’est pas inutile de rappeler au Sud profond que le principal empire dont il doive se méfier n’est plus celui des États-Unis d’Amérique ou d’Europe, mais bien la pataugeoire du Sovietsarévitch. À l’évidence, le soutien des Damnés à un grand fossoyeur de la Déclaration universelle, est un crime contre l’homme en tant que tel. Et puis franchement, il serait incongru, j’allais dire imbécile, d’alerter en fanfare nos ex-provinces impériales sur la pire des menaces totalitaires qui plane aujourd’hui sur le monde. On n’attend pas janvier 33 pour envoyer Iona prévenir Berlin qu’elle sera détruite. En revanche, on recrache le prophète là où le salut est encore plausible : en priorité sur son propre rivage.
    C’est l’histoire d’une Mecque. La délivrance du permis de tuer y varie selon que la cible des guerres d’agression est juive ou antisémite. Victimes du crime impardonnable que représente la violation de votre territoire souverain, vous pourrez compter sur les gardiens de l’ordre international — du droit qui en assure la stabilité, des hypostases humanistes qui en régissent les relations interétatiques — pour plaider en faveur de la poursuite d’une guerre défensive dont la suspension, a fortiori l’arrêt, signerait votre arrêt de mort. C’est heureux, me direz-vous. Oui mais pour cela, il va falloir vous débrouiller pour être dans les petits papiers du Paraclet.
    « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les Siens ! » Hélas pour vous, victimes israéliennes d’un Pogrom en chaîne, nous vous donnons trois mois pour résoudre une équation complexe dont nous veillerons à ce que soit observée la dynamythique loi de l’inconnue du Nord-Express.
    On s’étonne que les délinquants islamistes défient avec autant de constance la loi de la République. Pour quelle raison la craindraient-ils quand, aujourd’hui, sous bien des aspects, ce sont eux qui font la loi ?
    La nébuleuse d’État a fait de Molenbeek-Saint-Jean la Jérusalem-Est de l’Europe. Mais pourquoi Bruxelles ?
    Ah ça ! ma bonne Dame…