Comment peut-on en arriver là ? Comment une cause qui se voulait au départ émancipatrice, comme celle des Palestiniens, peut-elle conduire à commettre de telles horreurs ? Comment la haine peut-elle engendrer des comportements aussi inhumains ?
Il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne peut pas montrer. Il y a ce que les images suggèrent et ce que l’on en comprend. Les terribles rapports sur les enfants israéliens décapités dans des Kibboutz nous renvoient en tout cas directement aux pires atrocités perpétrées par les Nazis, ou les exterminateurs des peuples tutsi ou arménien. Lorsque l’on a des origines arméniennes, on ne peut que compatir au sort des victimes, si cruellement assassinées, et se sentir solidaire de ces juifs martyrisés sur le sol sacré de leur patrie. Et ce, quel que soit, par ailleurs, le ressentiment légitime à l’égard du gouvernement d’extrême-droite israélien qui a donné au fascisme azerbaïdjanais les moyens militaires d’annihiler le Haut-Karabakh et d’éradiquer ce qu’il subsistait de la présence des Arméniens, dans le peu qu’il leur restait de leur terre ancestrale.
Cette assistance à un projet génocidaire ne peut être relativisée. Elle le sera d’autant moins qu’elle émane d’un gouvernement qui dirige un peuple ayant lui-même traversé tout au long de son histoire les pires épreuves, dont la Shoah, devenue dans les consciences une sorte d’archétype de la barbarie. On attendait dès lors autre chose que ce soutien décisif au régime Aliev, qui, en même temps qu’il causait des dommages irréparables au peuple arménien, créait aussi une fissure, un malaise à l’égard d’Israël.
Faudrait-il cependant rendre responsable un peuple dont le destin est si proche des Arméniens, à maints égards, des stratégies cyniques de ses autorités du moment ? Faudrait-il le réduire à ses dirigeants que, par ailleurs, les démocrates israéliens combattent et critiquent plus souvent qu’à leur tour ?
Non, M. Netanyahou, vous ne représentez pas tous les Juifs ! Appartenant à un vieux peuple chrétien, les Arméniens devraient se sentir naturellement proches d’Israël et des Juifs dans cette épreuve terrible qui leur rappellera les pires scènes vécues en 1915. Ils le devraient parce que bien au-delà de la concurrence macabre des victimes – toujours tentante –, existent entre eux et les Juifs cette « solidarité des ébranlés », si pertinemment rappelée par Bernard-Henri Lévy, l’une des personnalités contemporaines les plus emblématiques de la fraternité arméno-juive. Ils le devraient aussi par intérêt. Parce que les uns et les autres partagent la même aspiration à la liberté, à la démocratie et qu’ils font face aux mêmes ennemis : l’intolérance, le racisme, le fanatisme. Et plus précisément encore, ils se heurtent à cet islamisme radical, instrumentalisé hier par les « laïcs » Jeunes Turcs du « comité Union et Progrès » comme par Hitler, et aujourd’hui par Erdogan et Aliev qui ont engagé des djihadistes pour combattre au Haut-Karabakh. Faut-il enfin évoquer ici, l’implication du président de la Turquie avec l’organisation des Frères musulmans qui a accouché du Hamas ? Faut-il rappeler les liens revendiqués du nouveau Sultan avec cette organisation terroriste qui, en même temps que les bébés et les jeunes « raveurs » est en train de tuer dans l’œuf les espoirs, aussi bien palestiniens qu’israéliens, en une « paix juste et durable » dans la région, et fondée sur « l’existence de deux États » ? Comme peut-être cohabiteront un jour une République du Haut-Karabakh repeuplée par les siens et l’Etat azerbaïdjanais ? L’Histoire – et celle du peuple juif est à cet égard exemplaire – n’a jamais dit son dernier mot.
À bonne distance des événements, le moment ne peut être qu’au deuil et à la solidarité, car quand on tue de cette façon des enfants, c’est toute l’humanité que l’on assassine. Sur place, il semblerait que l’heure soit au besoin de se protéger, de prévenir. Dans ces circonstances tragiques, l’on pense aussi, bien sûr, à tous les gosses du monde bombardés au nom d’une responsabilité collective, dont on peut parfois comprendre les motivations, mais dont on ne saurait jamais souscrire aux justifications. Même si personne ne dispose du monopole de la violence « indiscriminée », selon l’expression du président Erdogan, orfèvre en la matière.
Que la grande « sagesse » qui émane de cet éditorial par Ara Toranian, reste comme une « voix » des Arméniens en hommage aux victimes de tous les génocides.
Oui, pourquoi une paix ne viendrait-elle pas protéger la vie des Arméniens dans leur terre d’Artsakh? Et pourquoi l’Azerbaïdjan ne serait-il pas associé à une paix salutaire pour lui-même et pour toute la région? Des voeux pieux? Ou un îlot d’optimisme dans un océan de malheurs.