Dans les années 80 en Italie, j’étais la seule marocaine à mon école. L’Italie n’était pas la France et il n’y avait pas d’immigrés étrangers dans ma ville, située sur la côte toscane. J’étais la seule à avoir la peau bronzée et la seule à passer les grandes vacances d’été au Maroc.
Qui suis-je ?
C’est à cette époque que j’ai commencé à m’interroger sur la notion d’identité. Qui suis-je ? C’est une question primordiale, mais c’est aussi une question existentielle à laquelle beaucoup d’enfants d’immigrés ont besoin de donner une réponse pour trouver un équilibre personnel dans la vie. Pour plusieurs années, j’ai dit que j’étais moitié marocaine et moitié italienne. Néanmoins, un jour, j’ai rencontré Mme Nouzha Skalli, ancienne ministre du Développement social au Maroc, et je me suis présentée encore un fois comme « moitié italienne et moitié marocaine ».
C’est à ce moment que Mme Skalli m’a dit des mots que je n’oublierai jamais : « On ne peut pas diviser l’identité d’une personne. Tu es 100% Marocaine et 100% Italienne ». C’était pour moi une révélation et c’était tout à fait logique. Nous ne pouvons pas partager par moitié une personne. J’étais Italienne et j’étais Marocaine et ce n’était pas une contradiction : c’était mon identité. Je préfère le pain harcha à la pizza, je compte en italien mais je chante les chansons de Saad Lamjarred. Ceci est vrai pour tous les immigrés et pour leurs enfants, car quand on vit, on étudie, on travaille dans un autre pays, on ajoute automatiquement d’autres couches à notre identité.
Multiples Appartenances
Quelques années après avoir rencontré Mme Skalli, un ami m’a fait cadeau du livre « Identité meurtrière » de l’écrivain Amin Maalouf. Quand je l’ai lu, j’ai pensé avoir obtenu une autre pièce de mon puzzle pour répondre finalement à la question : « Qui suis-je ? ».
Maalouf nous dit : « Chaque personne, sans exception aucune, est dotée d’une identité composite … Si j’insiste à ce point, c’est à cause de cette habitude de pensée tellement répandue encore, et, à mes yeux, fort pernicieuse, d’après laquelle, pour affirmer son identité, on devrait simplement dire “je suis arabe”, “je suis français”, “je suis noir”… mais celui qui aligne, comme je l’ai fait, ses multiples appartenances, est immédiatement accusé de vouloir “dissoudre” son identité dans une soupe informe où toutes les couleurs s’effaceraient. C’est pourtant l’inverse que je cherche à dire ».
Selon Maalouf, l’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. L’identité est donc faite de multiples appartenances. Dans ce cas-là, il n’y a pas de contradiction si on dit que on aime le pays qui nous accueille sans jamais oublier celui d’où l’on vient. De toute façon, Maalouf nous rappelle que « l’identité est une, et que nous la vivons comme un tout » : « L’identité d’une personne n’est pas une juxtaposition d’appartenances autonomes, ce n’est pas un patchwork, c’est un dessin sur une peau tendue ; qu’une seule appartenance soit touchée, et c’est toute la personne qui vibre ».
L’Autre à la fin c’est moi
Cependant, on préfère souvent rester dans notre petite boîte. C’est plus simple comme ça, car se redéfinir implique s’ouvrir à l’Autre et aussi devenir l’Autre. En matière d’immigration, Maalouf suggère à l’immigré de s’ouvrir à ses multiples appartenances et de s’imprégner de la culture du pays d’accueil, parce que « Plus vous vous imprégnerez de la culture du pays d’accueil, plus vous pourrez l’imprégner de la vôtre » ; en même temps est aussi vrai que « Plus un immigré sentira sa culture d’origine respectée, plus il s’ouvrira à la culture du pays d’accueil. »
Donc, en conclusion, beaucoup d’enfants d’immigrés se demandent : Qui suis-je ? Nous sommes nos appartenances, qui sont en évolution : je suis Marocaine, je suis Italienne, je suis Arabe, je suis Européenne, je suis une femme, je suis une mère. Mes appartenances me permettent de communiquer avec l’Autre et découvrir que l’Autre à la fin c’est moi.
Anna Mahjar-Barducci est une chercheuse maroco-italienne.