À la date du 15 novembre 2022, l’écrivain et journaliste Roberto Saviano qui est par ailleurs lauréat du prix PEN sera jugé à Rome pour diffamation envers Giorgia Meloni, Première ministre italienne et leader des Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), parti aux origines néo-fascistes, pour avoir tenu des propos critiquant la dirigeante d’extrême-droite après que celle-ci avait déclaré qu’il fallait envoyer par le fond les navires des organisations non-gouvernementales qui tentent de porter secours aux réfugiés dans la partie centrale de la Méditerranée tandis que les migrants devaient être abandonnés à leur sort en haute mer. Saviano est actuellement poursuivi en vertu de l’Article 595 du Code pénal italien qui prévoit jusqu’à trois ans de prison pour cette infraction.

Avant que cette audition n’ait lieu, Burhan Sonmez, président de PEN International demande instamment à Madame Meloni, Première ministre, de retirer sa plainte pour diffamation contre Saviano et de respecter les obligations nationales et internationales de l’Italie pour la défense de la liberté d’expression. Cette lettre qui est également disponible en langue italienne a été publiée en premier dans La Stampa. PEN International est entré en contact avec le Bureau de la Première ministre le 4 novembre mais n’a reçu aucune réponse à ce jour. 

Lettre ouverte à Madame Georgia Meloni, Première ministre d’Italie

Chère Madame,

C’est en tant que président de Pen International, association d’écrivains dont l’objet est d’œuvrer en faveur de la littérature et défendre la liberté d’expression partout dans le monde, que je vous adresse cette lettre afin de vous faire part de mon inquiétude la plus vive concernant notre collègue Robert Saviano qui est accusé de diffamation et risque une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans. Nous vous demandons instamment d’abandonner les poursuites engagées contre lui et de faire tout ce qui est en votre pouvoir afin d’apporter votre soutien au journalisme d’investigation ainsi qu’aux media indépendants. 

Saviano a été la cible d’attaques répétées pour avoir exprimé ses opinions de manière tout à fait mesurée. Les dernières accusations portées contre lui sont malheureusement représentatives d’une évolution particulièrement inquiétante dont les effets commencent à se faire sentir en Italie où journalistes et écrivains font leur travail en sachant qu’ils risquent des poursuites ainsi que la prison pour ce qu’ils disent ou écrivent. 

Bien que la Cour Constitutionnelle d’Italie ait fait savoir à plusieurs reprises qu’il convenait d’entreprendre une révision des lois sur la diffamation, les journalistes et les écrivains vivent toujours sous la menace d’un emprisonnement dans les affaires de diffamation par voie de presse. Les procès en diffamation sont une épreuve terrible pour ceux que l’on accuse. Ils y perdent leur temps et leur argent, et ils y dépensent toute leur énergie. De plus, et c’est là un point d’une grande importance, ces actions en justice sont particulièrement dommageables ; elles peuvent engendrer l’auto-censure et décourager toute entreprise de journalisme d’investigation alors même que celui-ci est d’une importance capitale pour le bon fonctionnement de toute démocratie. Ces procès constituent une menace pour la liberté d’expression – qui est au cœur même des obligations de l’Italie en ce qui concerne les droits de l’homme tant au plan intérieur qu’au niveau international.

Persister à vouloir poursuivre Robert Saviano alors que vous êtes première ministre d’Italie ferait craindre le pire à tous les journalistes et écrivains de votre pays qui n’osent peut-être déjà plus s’exprimer par peur des représailles.

Saviano n’est pas seul. Nous le soutenons et nous continuerons notre campagne de soutien jusqu’à ce que toutes les poursuites pour diffamation dont il est l’objet soient abandonnées et que son droit à exprimer librement ses opinions soit reconnu une fois pour toutes.

Burhan Sonmez
Président de Pen International 

Informations de fond sur cette affaire

Roberto Saviano est âgé de 43 ans ; il est l’auteur de Gomorra. Dans l’Empire de la camora, un best-seller qui s’est vendu à plus de dix millions d’exemplaires dans le monde. Il est également l’auteur de La Beauté et l’Enfer : écrits 2004-2009 (2010), Extra pure : Voyage dans l’économie de la cocaïne (2014), Piranhas (2018), Baiser féroce (2019), En mer, pas de taxis (2021), Gridalo (2020, non traduit), Solo è il coraggio (2022, non traduit). Il a écrit plusieurs scénarios ainsi que des canevas pour le théâtre et publie régulièrement des articles dans divers journaux et magazines tels que Il Corriere della Serra, Sette, Fanpage, le New York Times, Newsweek, El Diario, Die Zeit, The Guardian et Le Monde. Il a reçu le Prix PEN/Pinter International Writer of Courage en 2011 ainsi que le prix Oxfam Novib/PEN International pour la liberté d’expression en 2019.

Lors de l’émission de télévision Piazzapulita diffusée en décembre 2019, on a demandé à Saviano ce qu’il avait à dire sur la mort d’un bébé originaire de Guinée à la suite du naufrage dans la Méditerranée d’un bateau transportant des migrants. Citant dans ses propos le nom de Matteo Salvini – il venait d’être nommé Vice-président du Conseil et lors de ses précédentes fonctions de Ministre de l’Intérieur il avait notamment pris un décret instituant des amendes pouvant aller jusqu’à 50.000 Euros pour les bateaux de sauvetage des associations non-gouvernementales amenant des migrants en Italie – Saviano avait déclaré : « Je veux juste dire à Meloni et Salvini, vous êtes des ordures ! Comment avez-vous pu oser ? ». Giorgia Meloni, qui avait qualifié les navires de sauvetage de « bateaux de trafiquants » qu’il fallait envoyer par le fond, avait alors porté plainte en diffamation contre Saviano. À la suite de quoi, un juge du tribunal de Rome a prononcé son inculpation. Au moment où nous écrivons ces lignes, l’avocat de Meloni est Vice-Ministre de la Justice. D’après les avocats de Saviano, pareille situation soulève quelques doutes quant à l’indépendance de la justice.

Roberto Saviano est également attaqué en justice par Matteo Salvini et par Gennaro Sangiuliano, tous deux ministres de l’actuel gouvernement de Giorgia Meloni

Ce n’est pas la première fois que Saviano est la cible d’attaques de la part des autorités judiciaires italiennes pour avoir très calmement exprimé ses opinions et dénoncé la rhétorique anti-immigration. En 2018, Salvini avait engagé des poursuites contre Saviano à propos d’un discours dans lequel il était qualifié de « Ministre de la Mala Vita », appellation empruntée à Gaetanno Salvemini, poète antifasciste du début du vingtième siècle. Salvini avait notamment utilisé le papier à en-tête du Ministère de l’Intérieur alors que le gouvernement dont il était Vice-Premier Ministre et Ministre de l’Intérieur s’était abstenu de toute déclaration sur le sujet. Dans ses propos, Saviano avait accusé Salvini de ne faire aucun cas de l’emprise de la Mafia sur le Sud du pays où elle attisait le ressentiment contre les immigrants. 

PEN International mène actuellement une campagne active en défense de Saviano et demande que toutes les poursuites le concernant soient abandonnées. La première audience a été fixée au 1er février 2023. Dès le mois de juin 2018, Salvini avait menacé de mettre fin à la protection policière dont bénéficie Saviano. Celui-ci vit en effet sous la protection constante de la police depuis octobre 2006 après avoir reçu des menaces émanant de la Mafia à la suite de la publication de son bestseller Gomorra

Gennaro Sangiuliano, qui est ministre de la Culture, poursuit lui aussi Saviano en justice pour un tweet de 2018 dans lequel ce dernier émettait des critiques sur sa nomination à la tête de TG2 qui appartient à la chaine de télévision nationale Rai 2. Sangiuliano demande à ce titre des milliers d’euros de dommages et intérêts. L’affaire est en cours. 

L’article 595 du Code Pénal italien estime qu’il y a diffamation quand la réputation d’un individu est entachée à partir du moment où les propos en question ont été tenus en présence de plusieurs autres personnes et prévoit une peine d’emprisonnement qui peut aller jusqu’à trois ans. En 2020, la Cour Constitutionnelle d’Italie a demandé avec insistance au Parlement de réformer en profondeur le cadre légal définissant la diffamation – aussi bien au civil qu’au pénal. En juin 2021, la Cour a néanmoins jugé que l’article 595 du Code Pénal respectait le cadre constitutionnel dans la mesure où il autorise l’emprisonnement dans les cas d’une « exceptionnelle sévérité ».


PEN International vous prie de faire circuler cette lettre ouverte sur Facebook, Twitter et les autres réseaux sociaux en utilisant le hashtag #StandWithSaviano.


Article originalement paru en anglais sur le site du Pen International, et traduit en français pour La Règle du jeu par Lazare Bitoum.

Un commentaire

  1. J’invite toute personne à revoir Salo ou les 120 jours de sodome de Pier Paolo Pasolini.