On pensait la Bête assoupie, peut-être même oublieuse, ou encore occupée ailleurs, peut-être même repue, un tiers de siècle après l’appel au meurtre sous forme de fatwa de l’ayattollah Rouollah Khomeiny contre Salman Rushdie pour ses Versets sataniques, jugés blasphématoires par les fous de Dieu.
Désamorcée du bout des lèvres dix ans plus tard, réactivée par un nouvel ayatollah en chef, reprise jusqu’aujourd’hui par une fondation religieuse iranienne, la fatwa qu’on croyait éteinte, tombée en désuétude dans les poubelles de l’Histoire, hantait toujours et encore la Bête tapie dans l’ombre. La Bête attendait patiemment son heure.
Salman Rushdie vient d’être poignardé au cou lors d’une conférence dans l’Etat de New York. Evacué par hélicoptère sur un hôpital de New York, on ne connaît pas pour l’heure la gravité de son état.
La Bête n’oublie rien, ne renonce jamais, ne connaît pas de prescription, elle a le temps pour elle, elle en a fait un allié, s’est faite invisible, et a soudain frappé, après un tiers de siècle sans répit pour cet écrivain magnifique, auteur des Enfants de minuit, que rien, ni la solidarité des écrivains et des intellectuels du monde entier, dont la nôtre à La Règle du Jeu dès le premier jour, ni la protection policière n’ont pu sanctuariser.
Bernard-Henri Lévy élève une prière pour son ami. Que le dieu de la littérature l’exauce.
Le jihâd n’est pas une perversion de l’islam. C’en est même un fondement. Les intégrismes islamiques ne sont pas plus étrangers à l’islam que les méfaits de leurs cousins chrétiens et juifs ne doivent ni ne peuvent être effacés de l’ardoise des temples ultristes ou autres clubs philanthropiques à géométrie variable, grands clubs misanthropiques devant l’Éternel.
L’atroce attentat qui atteignit ce grand personnage du roman international dont l’écrivain valeureux entre tous qu’est Salman Rushdie a revêtu le manteau d’encre, nous éclabousse les faces en tant qu’elle dévoile le visage du Janus des Nations, creusant l’écart entre les alliés d’Homo transversalis et les complices d’un égaré qui le traquera toujours aux quatre coins du plan de liquidation planétaire que l’On déverse dans son crâne résonant, dépourvu de raison.
La Bête, ceci est peut-être une leçon de modestie pour les messianistes que nous enjoignons toutefois à persévérer dans leur Autre, n’est jamais endormie que d’un œil. Il suffirait d’escalader son flanc jusqu’à l’épine statique et incurvée qui chez elle fait office de premier moteur, pour s’apercevoir que toute une part de notre humanité se trouve coincée, à l’opposé, sous son œil injecté de sang.
Le feu vert donné à l’exécution de Salman Rushdie intervient quelques jours après l’élimination par un drone américain du chef d’al-Qaïda Ayman al-Zawahiri. Ceci nous éclaire sur la nature d’une Énième Infraguerre mondiale qui est hélas très loin d’être de l’histoire ancienne. Vous nous direz qu’il n’est pas simple d’activer la loi du talion dans un contexte de ce type. Quoique.
Qu’est-ce qui pourrait bien constituer une menace équivalente à celle que représente pour l’Internationale démocratique une nébuleuse islamiste mondiale, sinon une nébuleuse démocratique mondiale ?
Quel genre de cible provoquerait-il davantage de spasmes à l’estomac du Serpent qui voulait être Roi, qu’un symbole inégalé de l’émancipation des esprits musulmans au cœur même du système à abattre ?
Qui serait à même de saboter des siècles d’effort à endoctriner la nation ultime, pion après pion, dans un Jeu de Con jouissif et addictif que sa nature aveuglerait, comme de juste, sur sa finalité tragicomique ?
Le roi Salman est juste et juge de notre temps. Il tranche entre les authentiques héros et ces escrocs du Jugement dernier que leur inanité incendiaire a foudroyés sur place.
Gloire au héros !