Que dirions-nous aux jeunes Ukrainiens, accueillis dans les écoles de la République, ayant dû laisser derrière eux leurs pères, et parfois leurs mères, leurs frères ou leurs sœurs pour défendre au péril de leur vie les valeurs de liberté, de pluralisme, d’émancipation, si le 24 avril, la patrie des droits de l’homme en venait à faire une sortie de route, éconduite par une courte majorité confortée par ceux qui auront choisi de faire taire les urnes ?

Comment soutenir le regard de celles et ceux qui se demanderont comment nous n’avons pas su barrer le chemin à ceux qui, sans même s’en cacher, préparent la poutinisation des esprits en donnant les pleins pouvoirs aux politiques pour définir les programmes et les manuels, ce qui n’est jamais arrivé depuis Jules Ferry ?

Comment leur expliquer que nous avons été impuissants à empêcher la dissolution du couple fondateur de l’Europe en laissant se saisir des rennes de notre pays ceux qui, au sein du Parlement européen, ne cessent de se marginaliser par leur refus de voter les décisions les plus consensuelles, en particulier celles visant à assurer un meilleur avenir à notre jeunesse : non au doublement d’Erasmus pourtant clairement destiné à la démocratisation de ce programme pour en faire bénéficier en priorité une jeunesse ayant moins l’habitude de se saisir de ce dispositif porteur d’employabilité, pour des raisons sociales, géographiques, familiales et culturelles. Pas plus d’adhésion au renforcement de la Garantie Jeunesse pour accompagner la réinsertion des jeunes de 16 à 26 ans ni en formation, ni en emploi, ni en études. De même, les députés européens du Rassemblement national ont été aux abonnés absents quand il s’est agi, à la quasi unanimité, de demander des sanctions plus lourdes à l’égard de la Russie et l’amélioration des conditions d’accueil des réfugiés ukrainiens. 

L’agression de l’Ukraine par la Russie a convaincu ceux qui ne l’étaient pas encore que l’Europe doit devenir une puissance militaire et énergétique. Outre la déflagration économique et sociale dont les effets s’abattraient d’abord sur les plus fragiles, pensons aussi au défi civilisationnel qui est devant nous. Rarement la phrase d’Albert Camus sur le devoir que nous avons d’« empêcher que le monde se défasse » n’a sonné aussi juste. 

Cette responsabilité ne doit nous conduire ni à la résignation ni à cesser de poursuivre ce travail de réduction des fractures sociales et éducatives. Comme l’a récemment rappelé le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz lors d’une Conférence ministérielle organisée dans le cadre de la Présidence française du conseil de l’Union européenne, l’investissement dans l’éducation est l’investissement à la fois le plus « éthique » et le plus « rentable ». A ce titre, la crise de la vocation du métier de professeur, observée au niveau européen, doit être au cœur de notre agenda politique. La reconnaissance attendue légitimement par les professeurs passera autant par l’amélioration de leurs conditions de travail et de leur rémunération que par la confiance qui leur sera faite comme experts de terrain les plus à même de répondre aux besoins de leurs élèves. En retirant la pédagogie aux enseignants pour la donner aux politiques, Marine Le Pen ne nous expose pas seulement aux pires abus, elle va à rebours de tous les enseignements du classement PISA qui démontrent que les pays qui ont progressé de la manière la spectaculaire sont ceux qui, tout en conservant des exigences hautes et nationales, ont accordé aux professeurs plus de liberté pour permettre une pédagogie différenciée qui peut seule conduire à la réussite des élèves. Nous en avons pris le chemin audacieux avec le dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire, ce qui n’est pas seulement une mesure quantitative mais un changement de paradigme qui s’étendra demain à l’ensemble de nos enfants si nous renouvelons notre confiance au candidat Emmanuel Macron.

PISA doit cesser d’être un instrument de déploration. C’est un instrument de transformation volontariste de nos systèmes éducatifs qui se traduit de manière très concrète dans notre capacité à amener chaque enfant à trouver son chemin vers l’épanouissement. Parallèlement à l’Europe de la santé, une Education de l’éducation est en train de se construire fondée sur un échange des meilleures pratiques pédagogiques, non pour remettre en cause notre souveraineté – car chaque pays s’inscrit dans une tradition éducative – mais pour se nourrir du trésor que constitue la diversité pédagogique de l’Union. L’intégration de l’utilisation des meilleures pratiques dans le parcours des professeurs européens est une des priorités de la Présidence française de l’Union européenne. Ne brisons pas cet élan. Le compagnonnage entre les élèves ukrainiens et français a mis en évidence, s’il en était besoin, tout ce que nous avons à gagner de ces échanges : les premiers épatant leurs professeurs dans leur capacité à résoudre des équations et se montrant en revanche moins préparés que leurs homologues français pour ce qui est de la réflexion mathématique.

Le 24 avril nous avons rendez-vous avec l’avenir de notre jeunesse. Le 25, je veux croire que nous pourrons regarder droit dans les yeux nos jeunes amis ukrainiens. Nous avons tant à partager et à construire ensemble.


Ilana Cicurel, députée européenne, membre de la commission de la culture et de l’éducation.

Un commentaire

  1. Le Pen se pose en Cinquième colonne, garante d’une paix qu’elle ne conçoit pas autrement qu’eurasienne, dans une après-guerre qui n’aurait d’autre issue que celle d’un traité de paix entre les protagonistes éthiquement asymétriques du conflit russo-ukrainien. Elle se trompe sur ce point. La fin du carnage ne saurait survenir avec l’un des accords de paix que la diplomatie du Vieux Monde se contentait de goupiller entre martyrs et agresseurs mais, une fois ne fût-elle pas coutume, avec la capitulation russe.
    Dimanche prochain, Vladimégalomir et Pouparanotine perdront une seconde fois toute chance de placer un pion nationaliste à la tête de l’État-nation-socle d’une supranation constituée de vingt-sept peuples que l’on voudrait plus que jamais soudés face à une menace qui n’a jamais été aussi existentielle. La matrice et patrie des droits de l’homme se doit d’éclairer la lanterne des fossoyeurs de la vraie paix que sont les pacifistes de deuxième génération, j’entends par là ceux dont la veste dutronienne craque de tous côtés et qui, sitôt acté l’éternel retour de manivelle d’une révolution nationale à perpète, retourneront leur pantalon, ceux-là mêmes qui, confondant les outrages de la guerre vaine et l’héritage de la guerre juste, condensant les visages de Jaurès 14 et de Pétain 40, refuseront toujours de poursuivre le combat aux côtés d’un olibrius visionnaire, lui préférant, hier, un pervers pépère collant à son icône funeste ou, aujourd’hui, une perverse mémère se caressant elle-même en tant que peuple à l’agonie de l’orgasme. Anticiper la paix, cela ne passe pas par la normalisation avec une barbarie qui se rencogne entre son trône de tsarillon et un chef des ARMÉEs en tenue CIVILE aimanté au Politburo.
    Aussitôt réélu et renforcé par un suffrage universel renforçant sa légitimité au cœur du réacteur des États-de-droit-Unis, le chef de l’État français jouera pleinement son rôle de grand leader du monde libre, conscient des enjeux économiques et environnementaux futurs, au regard des responsabilités éternelles qui incombent à un peuple bien décidé à faire respecter le droit international, une nation sachant qu’elle ne peut raisonnablement pas s’attendre à ce que ses intérêts vitaux soient défendus en menaçant la vie des autres, ou en laissant d’autres pays en détruire ne serait-ce qu’un seul.