Ces dernières semaines, le monde a assisté avec horreur à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cette invasion a couté des centaines de vies innocentes et mis des millions de gens en péril. Cette invasion est un rappel tragique du coût que les guerres occasionnent aux hommes. Elle nous rappelle que ce qu’il advient à n’importe quel peuple sur la Terre nous concerne nous-mêmes où que nous soyons.

Le président Clinton s’est joint au philosophe français, auteur de films et écrivain, Bernard-Henri Lévy, pour parler de son dernier projet, un documentaire filmé sorti de pair avec un livre intitulé The Will To See (La Volonté de voir). Ces deux travaux mettent en lumière les souffrances indicibles qu’ont occasionné les conflits en Ukraine, en Bosnie, en Somalie, au Bangladesh et en Afghanistan. Lévy s’attache tout autant à montrer comment les organisations non-gouvernementales peuvent jouer un rôle majeur pour reconstruire les sociétés victimes de « guerres oubliées ». Enfin, il nous fait partager plusieurs épisodes de sa vie extraordinaire.

Cet échange s’est tenu avant l’invasion de l’Ukraine, mais les vues que nous offre Lévy sur la bravoure du peuple ukrainien et l’importance capitale de son combat pour la liberté et contre l’oppression, sont encore plus vraies depuis que cette guerre a éclaté.

Introduction

Bill Clinton : Ces vingt dernières années, depuis que j’ai créé ma Fondation, je me suis souvent rendu en Afrique. J’ai appris bien des choses des tribus dans différentes régions, sur leur existence, le travail et les relations qu’elles tissent entre elles. Un des exemples les plus marquants de cette interrelation entre populations différentes est la façon, dans les hautes terres d’Afrique centrale, de se saluer. On ne dit pas « Bonjour, comment allez-vous ? » On ne répond pas davantage « Cela va bien » mais « Je vous vois.»

Pensons une minute à ce que ce « Je vous vois » signifie. Que dit-on réellement ? On dit : « je prends acte de votre présence, je présume de votre humanité, vous êtes important pour moi. ». C’est une pratique émouvante. Elle intronise votre interlocuteur comme tel.

Pourquoi je vous dis tout cela ? En ce moment présent, je suis rejoint par quelqu’un qui a dédié sa vie à inviter les gens à « voir » d’autres gens, à « voir » leurs semblables. Il s’est confronté au fait que toutes nos vies sont connectées, que ce qui arrive à une personne, où qu’elle soit dans le monde, nous concerne et nous affecte, où que nous soyons nous mêmes.

Bernard-Henri Lévy est un philosophe français, un auteur de films, un activiste des droits humains et il a écrit plus de quarante-cinq livres.

Son dernier projet est un documentaire, il accompagnait un ouvrage intitulé The Will To See (La Volonté de voir) qui met le projecteur sur les souffrances humaines que créent les conflits dans des pays comme le Nigeria, la Somalie, le Bangladesh, la Lybie et, bien sûr, l’Afghanistan.

Le plus actuel et le plus fort est ce voyage et ce temps qu’il a passé sur les lignes de front en Ukraine de l’Est, où les populations subissent l’occupation russe depuis 2014.

Cette conversation s’est tenue avant l’invasion russe à grande échelle, injustifiable, qui n’a été en rien provoquée par les Ukrainiens. Les vues que Lévy nous fait partager sur la bravoure du peuple ukrainien et l’importance de son combat pour la liberté et contre l’oppression, sont encore plus vraies aujourd’hui.

J’espère que vous trouverez cette conversation aussi éclairante que je l’ai trouvée moi-même.

Entretien

Bill Clinton : Bernard, merci d’être ensemble aujourd’hui.

BHL : Merci Monsieur le Président, c’est un grand honneur pour moi d’être avec vous.

Bill Clinton : Je suis depuis longtemps un fan de votre travail, mais pour ceux qui ne vous connaitraient pas encore, parlez-nous de vous quelques minutes, dites-nous comment vous vous êtes impliqué dans ce livre et ce film, pourquoi vous êtes allé partout dans le monde pour voir ce que nous ne nous voyons pas, ou presque pas.

BHL : J’ai été éduqué et formé pour être un philosophe. J’ai choisi de pratiquer la philosophie en ouvrant les fenêtres et les portes sur le monde, en allant à la rencontre du monde extérieur autant qu’il est possible. Mais au début, il y a la philosophie. Quand j’étais jeune-homme, un grand philosophe allemand exerçait une très forte influence sur la pensée européenne. Il s’appelait Edmond Husserl. Edmond Husserl a produit une œuvre en deux parties. La première était de la philosophie pure, traitait de la logique mathématique ; l’autre fut ce qu’il appelait la phénoménologie, ce qui veut dire se confronter aux choses réelles luter avec/contre ces choses réelles, se confronter à la grande colère des choses, à la grande colère du monde.

D’un côté, de la philosophie pure, de l’autre, la grande colère du monde. Toute ma vie, depuis mon adolescence, j’ai entrepris de marier ces deux approches : avoir un corpus philosophique réel, académique, solide, consistant ; appliquer ce corpus philosophique, le brancher sur le monde, dans l’intention d’intervenir sur celui-ci. En un mot, je suis un de ces animaux étranges qui existent en France, un peu moins en Amérique, qu’on appelle des intellectuels engagés, des intellectuels publics. Je suis l’un d’eux.

Bill Clinton : Vous avez toujours voulu faire ainsi ? Vous parlez avec une belle éloquence dans The Will To See de l’influence de votre père sur vous. Dites-nous quelques mots à son sujet parce que dans le monde d’aujourd’hui les gens passent un temps fou sur Internet, ont accès comme jamais à toutes les informations mondiales sur tous les sujets, mais parfois on se prend à penser qu’ils comprennent moins bien le monde. Parlez-nous de l’exemple que fut votre père pour vous, de ce qu’il fit dans la lutte contre Franco durant la guerre civile en Espagne et ensuite dans la Résistance.

 BHL : Mon père fut mon grand héros. Il en était un, plus encore que je ne le pense. Vous avez raison, Monsieur le Président, il n’avait pas dix-huit ans quand il s’est engagé dans les Brigades internationales en Espagne, servant la république espagnole contre le fascisme. Ces garçons de dix-sept-ou dix-huit ans, qui n’étaient pas encore des hommes, se sont battus contre le fascisme et le danger qu’il représentait pour le monde. Mon père avait compris immédiatement qu’un nuage très sombre planait dans le ciel de l’Europe tout entière, que ce nuage allait éclater et qu’il fallait le combattre. Ce qu’il fit, très jeune. Quelques années plus tard, il fut l’un des héros de l’armée des Français Libres. Il s’engagea dans l’armée d’Afrique, prit part aux batailles de Tunisie, de Lybie et à la campagne d’Italie.

Tout cela, pour moi, est crucial. Mon père m’a transmis cette idée qu’il vaut mieux prendre le risque de mourir debout que de vivre à genoux. Il vaut mieux essayer d’avoir une grande vie qu’une existence passive d’homme apeuré.

Bill Clinton : Dans votre film The Will To See  et le livre qui l’accompagne, vous mettez en avant plusieurs guerres oubliées. Comment les avez-vous choisies et quels sont les fils qui relient les situations dans ces différents pays ?

BHL : Le principe du choix était très simple : les guerres oubliées. Je me souviens, c’était il y a vingt ans, j’ai fait une série de reportages sur ce thème pour le journal Le Monde. La direction du Monde m’offrait de devenir temporairement journaliste. J’ai répondu : « je suis un philosophe, un écrivain. Pourquoi me ferais-je journaliste ? »  Non. « Sauf, ai-je ajouté, si vous m’envoyez dans des endroits où vous n’avez encore jamais envoyé quelqu’un. Sauf si vous m’envoyez dans des endroits perdus, oubliés de tous ». Les gens du Monde, comme ceux du New York Times, représentent la crème de la crème de la profession journalistique. Ils m’ont répondu : « Monsieur Lévy, ces lieux n’existent pas, nous avons couvert toutes les guerres. Il n’y a pas de guerres oubliées, toutes les guerres sont sur la carte ».

J’ai répondu : « D’accord, vérifions. Donnez-moi deux jours, et je reviendrai avec une série de guerres qui datent d’au moins dix ans, ont occasionné la mort de dizaines, de centaines voire de milliers de gens en peu de temps, et auxquelles vous n’avez jamais consacré de grands articles. » Les gens du Monde me répondent : « Nous vous attendons ». Deux jours plus tard, je reviens avec ma liste des guerres oubliées.

Je les ai couvertes pour Le Monde. J’ai fait de même pour ce livre et le film The will to see. J’ai contacté une série de magazines et de journaux étrangers et je leur ai dit : « Je veux aller dans des endroits auxquels vous n’avez jamais consacré d’articles depuis dix ans, par exemple Mogadiscio en Somalie, les tranchées en Ukraine, le front entre la Russie et l’armée d’Ukraine. »

 Bill Clinton : Précisément, parlons de l’Ukraine. Où en sommes-nous ? Que pensez-vous qu’il advienne ?

BHL : Mon sentiment, mais je peux me tromper, est que le président Poutine ferait une énorme erreur s’il décidait d’envahir l’Ukraine. Pour deux raisons. Je connais les lieux, j’y ai passé du temps, j’ai eu le privilège d’être accepté dans les unités spéciales de l’armée ukrainienne. Ils sont bons. Ils sont patriotes, prêts à défendre leur terre jusqu’au bout. Et puis, c’est un détail, mais ce n’est pas qu’un détail, je ne suis pas sûr que les soldats russes, les simples soldats tireraient si facilement que cela sur leurs cousins d’Ukraine. Cela constituerait un énorme bazar si le général en chef de l’armée de Poutine ordonnait de tirer, ce ne serait pas comme en Tchétchénie, qui s’avéra un énorme crime, mais une tout autre affaire.

Bill Clinton : Que veut Poutine, selon vous ? Veut-il un gouvernement à sa botte en Ukraine ? Je suis d’accord avec vous, les Ukrainiens sont forts et solides, ils sont fiers de leur pays et ne baisseront pas les bras. Mais Poutine, avait eu en Ukraine, dans le passé, des gouvernements qui lui étaient plus ou moins favorables. N’est-ce pas cela qu’il veut ?

BHL : Il veut en effet cela en premier lieu, un gouvernement-fantoche comme l’était Ianoukovytch, avant Porochenko. Mais surtout Poutine veut créer la discorde entre nous, la plus grande discorde possible serait le mieux pour lui, les divisions entre l’Allemagne et la France, entre l’Amérique et l’Europe, entre les Pays baltes qui sont sur le qui-vive et la Hongrie, beaucoup plus coulante, tant Monsieur Orban entretien des relations personnelles avec monsieur Poutine, avec qui il partage une bonne part de son idéologie.

Mais le vrai but, à mes yeux, de Poutine est de nous infliger ce qu’il pense que nous lui avons infligé nous-mêmes lors de la chute de l’Union soviétique. « Messieurs les Américains, messieurs les Français, messieurs les Européens, vous m’avez humilié en mettant à bas en 1988 l’empire auquel j’appartenais. Je vous infligerai la même humiliation en détruisant le plus de choses possibles, votre cher monde libre, le continent européen et tout ce qui s’ensuit. » Tel est le but de cette revanche, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le Président, que pour Poutine, la chute de l’Union soviétique est à ses yeux la plus grande catastrophe du vingtième siècle. Il veut à toute force nous faire payer cela.

Bill Clinton : Absolument. Mais la vérité, plus encore, est que l’Union soviétique était gangrenée de l’intérieur, tandis que le reste du monde était resté solide, fort, et avait préféré la liberté à la domination. Je me souviens, quand je devins Président, la Russie se débattait dans de terribles difficultés. Les Russes ne pouvaient même pas rapatrier leurs troupes depuis la Baltique. Ils n’avaient pas de casernes où les accueillir, ils n’avaient pas de nourriture pour les nourrir, ils n’avaient rien. La première chose que je fis quand je devins Président fut de rencontrer le président Eltsine au Canada et de mettre en place une opération de secours de vingt-quatre milliards de dollars à cet effet, ce qui était beaucoup d’argent à l’époque, il y a vingt-neuf ans. Les Russes purent rapatrier leurs soldats et les traiter avec dignité. Je fis tout ce qui était en mon pouvoir pour aider Eltsine à réussir. Même en Bosnie, nous avons laissé les Russes faire partie de la mission de maintien de la paix, alors que c’était politiquement une chose très difficile. Eltsine m’a fait confiance, nous avons travaillé ensemble et cela a marché.

Je pense que Poutine estimait qu’en raison des énormes ressources énergétiques de la Russie, une fois celle-ci redevenue riche, il pourrait monter ses muscles. J’ai toujours pensé que la grande décision que la Russie aurait dû prendre après la chute de l’Union soviétique n’était pas de se venger, mais comment redevenir grande, au sens de la vraie grandeur à l’aune du vingt-et-unième siècle. Or Poutine a choisi le modèle de grandeur tsariste du dix-neuvième siècle, se fondant sur le fait que son pays fut envahi par Napoléon puis Hitler, ce qui a entrainé jusqu’à aujourd’hui un sentiment de forte méfiance à l’égard du monde extérieur. Dans cet esprit, il ne se prive pas d’user des nouveaux outils pour une guerre non conventionnelle, d’user des énormes talents russes en cyber technologie, pour semer la discorde à chaque élection américaine. Telle est pour Poutine, sa conception de la grandeur. Il aurait pu prendre une tout autre direction. Il aurait pu décider que la Russie devienne une seconde Silicon Valley, la capitale Internet de la moitié du monde, il n’en a pas décidé ainsi, il a décidé d’être une main de fer. Là est son erreur.

BHL : Vous avez raison, nous en arrivons à ce qui s’appelle le facteur humain. Poutine n’est pas un homme cynique. Il a des convictions, il développe une doctrine en laquelle il croit vraiment. Il croit en l’Eurasie, il croit en un modèle alternatif au sociétés démocratiques, il croit dans les régimes illibéraux, il déteste ce qu’incarnent l’Amérique et l’Europe. C’est un vrai doctrinaire.

Je ne sais si on peut qualifier le poutinisme de nouveau fascisme, si c’est juste une renaissance de la Russie tsariste avec un brin de stalinisme, mais le poutinisme est une vraie doctrine, et cette doctrine s’oppose à nous en tout. C’est une véritable opposition entre deux visions du monde, la sienne et la nôtre. C’est ce qui rend crucial que nous soutenions notre vision du monde, nous les Occidentaux ; que nous défendions avec force nos valeurs, avec sagesse, sans agressivité, sans être bellicistes. Si nous ne défendons pas nos valeurs, nous serons impitoyablement battus, parce que Poutine a une double force : une armée plus une doctrine.

 Bill Clinton : Cela nous amène à parler de la Bosnie. Vous le savez comme moi, la Bosnie fut le premier pays où l’OTAN lança une opération hors de sa sphère militaire d’intervention. Les Allemands votèrent en faveur de cette opération avant même qu’il soit légal, selon leur Constitution, d’envoyer des forces à l’étranger. Dès 1993, je me suis employé à engager nos alliés dans cette opération, parce que je pensais que l’Amérique ne pouvait y aller seule, d’autant que la Bosnie fait partie de l’Europe. Ce qui a fini par tout changer et casser la paralysie européenne, pour une bonne part grâce à la France, c’est Srebrenica. Le massacre de Srebrenica a conduit les Français qui pensaient jusque-là qu’on pouvait d’une certaine façon raisonner, à tout le moins faire affaire avec Milosevic et les Serbes, que tout cela était déplacé. Nous fûmes capables, en quatre ou cinq jours, de bombarder et d’entamer les négociations de paix. Nous avons pu arrêter les massacres et préserver jusqu’aujourd’hui un ordre robuste. Mais nous n’avons pas eu à Dayton, dans l’Ohio, la capacité de façonner un accord qui empêcherait les Serbes de mettre leur veto au gouvernement bosniaque, à tout ce qui aurait permis de forger une vraie nation, de la mettre sur la voie de la prospérité. La bonne nouvelle, c’est que nous avons stoppé les massacres. La mauvaise est qu’aussi longtemps que la République serbe de Bosnie (Republika Srpska), qui est une part de la Bosnie, sera gouvernée par un homme qui est hostile à l’unité du pays, qui plait à Poutine et à personne d’autre, nous sommes bloqués.

Que peut-il se passer en Bosnie, quelles sont vos vues à ce sujet ?

BHL : La nuit d’août 1995 où vous avez décidé de lancer les bombardements aériens sur les collines d’où était bombardée Sarajevo, j’étais à l’ambassade américaine de Paris avec l’ambassadrice Harriman, le général Wesley Clark et l’ambassadeur Holbrooke. Ces trois personnes plus moi plus le président Izetbegovic dans la salle à manger de l’ambassade. C’était plus qu’un soulagement, c’était une grande joie. Je me souviens avoir béni l’Amérique pour la décision que vous avez prise après trois ans de guerre.

Ce jour-là, vous avez fait beaucoup pour le peuple bosniaque, pour la vérité et pour nos valeurs. Cela reste une date pour ma génération, c’est le premier point. Le second point est que les accords de Dayton n’étaient pas bons, le président Izetbegovic hésita jusqu’à la dernière minute à les signer. L’homme visionnaire qu’il était savait que ces accords allaient remettre à plus tard les problèmes au lieu de les résoudre. C’est ce que nous voyons aujourd’hui, Dodic, le chef de la Republika Srpska, joue de nouveau avec le feu. Je l’ai dit à mon Président récemment : « La situation est calme, le feu n’a pas encore éclaté. Nous devrions intervenir maintenant. Nous devrions faire un pas en avant pour l’entrée de la Bosnie en Europe, en échange d’une refonte des institutions des deux entités bosniaques, croate et musulmane d’un côté, serbe de l’autre, et surtout ne pas laisser les choses en l’état. » J’espère que vos successeurs, en Amérique et en France affronteront ce problème avant qu’il ne soit trop tard, avant que nous ayons a éteindre un vrai feu. Il faut le faire, sinon la guerre peut reprendre, le passé revenir.

Bill Clinton : Je suis d’accord avec vous. Je suis retourné en 2015 pour le vingtième anniversaire du massacre de Srebrenica. C’était très émouvant. Le Président de la Serbie était présent, il était jeune, de même que le maire de la communauté musulmane, seul survivant du massacre et de sa famille et seul survivant de sa classe vingt ans plus tôt. Ces deux jeunes gens représentaient alors une même promesse, mais ils avaient pris deux chemins totalement différents.

J’ai marché au sein de la foule ce jour-là, tous les gens âgés étaient heureux de me voir, ils étaient reconnaissants parce que j’avais stoppé le massacre. Tous les jeunes gens, eux, étaient en colère parce qu’ils avaient pris pour acquis qu’ils ne seraient jamais tués, mais ils n’avaient pas d’espoir car rien de bon ne s’était produit depuis vingt ans. Les Serbes sont revenus à une ligne dure et nous le payons aujourd’hui de nouveau. Cette situation doit être suivie de très près et les Etats-Unis devraient y veiller attentivement. Mais il revient aux Européens de prendre l’initiative, parce que la Bosnie fait partie de l’Europe.

BHL : Absolument.

Bill Clinton : Si quelqu’un m’avait dit il y a vingt ans, qu’en 2021 et maintenant en 2022, le Kosovo aurait un gouvernement plus durable et des perspectives plus grandes que la Bosnie, je ne l’aurais pas cru.

BHL : Moi non plus.

Bill Clinton : Enclavés, les Bosniaques sont dans une position géographique précaire, bien sûr. Mais il faut se souvenir que le mauvais ou le bon règlement d’un conflit détermine si nous semons les graines d’un nouveau conflit ou si nous donnons à ce peuple bosniaque une chance de vivre un futur normal.

BHL : Absolument.

Bill Clinton : Je suis très inquiet à ce propos. Le plus loin vous êtes d’un endroit comme la Bosnie, plus les responsables politiques de votre pays s’en détournent, et on n’entend plus que les chiens hurlants. Si vous êtes un homme politique américain, les chiens hurlants sont à domicile. Je ne pense pas qu’on s’en avise, mais c’est un grave problème.J’ai senti à vous lire une grande affinité pour les organisations non gouvernementales qui tentent de faire vivre le sentiment d’humanité dans les circonstances les plus difficiles. La première personne qui m’a fait saisir la force potentielle des organisations non-gouvernementales, en Amérique et dans le monde, fut Hillary, parce que son premier travail à la sortie de son Ecole de droit fut au sein de ce qui allait devenir le Fond de défense de l’enfance.

Quand nous étions à la Maison Blanche et qu’elle voyageait en mon nom à l’étranger, chaque fois qu’elle allait dans un pays, elle rencontrait les dirigeants des principales organisations non-gouvernementales autant que les autorités officielles. Elle m’obligea à faire la même chose, ce qui souvent indispose les dirigeants politiques qui voient dans les organisations non-gouvernementales une menace. De fait, elles leur sont une menace parce qu’elles portent à la lumière les populations oubliées et les conditions réelles dans lesquelles vivent les êtres humains, en lieu et place des positions superficielles des hommes politiques.

Quel est votre sentiment vis-à-vis des organisations non-gouvernementales. Je suis très inquiet à propos de l’Afghanistan, et je suis sûr que vous l’êtes aussi.

BHL : Vous avez raison. L’Afghanistan nous brise le cœur, la situation y est une honte. Cela vous brise le cœur car, en réalité, en Afghanistan, nous avions vraiment réussi, nous n’avions pas échoué. En quel sens avions-nous réussi ? Sous le parapluie des forces américaines, les femmes se sont libérées, ont osé passer dans les rues à visage découvert. Sous le parapluie des forces américaines, une presse libre est née et quelques organisations non-gouvernementales afghanes, issues de la société civile, ont pris forme, elles aussi. Il est faux de dire que nous avons échoué. C’est devenu un leitmotiv. Mais non, nous n’avions pas échoué. Ceux qui tiennent la flamme vivante, toujours allumée, sont les organisations non-gouvernementales, les organisations humanitaires qui, au risque de leur vie, opèrent dans des situations-limites, maintiennent l’espoir en vie. Grâce à Dieu, il y a encore quelques organisations non-gouvernementales qui s’acharnent à faire leur travail.

En règle générale, je partage votre point de vue sur les organisations non-gouvernementales. Je suis maintenant un voyageur blanchi sous le harnais, comme Hillary, j’ai été dans tellement d’endroits tout au long de ma vie. J’ai compris très tôt que les vrais ambassadeurs de la France, et peut être de l’Amérique – souvent, pas toujours ; nous avons quelques très grands ambassadeurs – sont les organisations non-gouvernementales. Parce que ce sont elles qui ont le meilleur contact avec les populations, parce qu’elles affrontent de l’intérieur des situations concrètes et la réalité.

Elles possèdent le plus d’informations sur la situation en cours et sur le terrain lui-même. Si vous voulez savoir quelque chose aujourd’hui quand vous arrivez au Burundi ou même à Mogadiscio ou en Afghanistan, rendez-vous auprès des ONG locales. Elles font flotter haut les drapeaux de l’Amérique et de l’Europe, elles ont toutes les données matérielles, elles se dépensent sans compter dans leur mission d’aider : elles sont nos vrais ambassadeurs. Et elles sont courageuses. Elles sont exactement comme les journalistes, les reporters, elles risquent beaucoup en faisant leur travail. La naissance des ONG après la guerre du Biafra dans les années 60 est un des grands progrès, une des grandes inventions des temps modernes.

Bill Clinton : Une des choses qui me tourmente le plus est que nous n’avons jamais vraiment expliqué au peuple américain ce qui se passait en Afghanistan. Bien des gens, y compris parmi ceux qui récusaient le retrait américain du pays, voulaient voir mis un terme à cette guerre déjà en 2010, convaincus que nous ne pouvions pas l’emporter en Afghanistan. Je reste convaincu, pour ma part, que ce que nous avons fait était bon, parce que, ainsi que vous l’avez relevé, nous n’avons pas été en guerre en Afghanistan pendant presqu’une décennie.

Que feriez-vous aujourd’hui ? Que pensez-vous qu’il conviendrait de faire en Afghanistan ?

 HL : En premier lieu, nous devrions empêcher que le peuple ne meure de faim. Fournir une aide d’urgence à travers les Nations Unies et les ONG. Mais pas un dollar ne doit tomber dans la poche des Talibans, ils sont corrompus, ils le voleraient. En second lieu, nous devons aider les femmes afghanes, les mouvements de femmes à Kandahar, à Mazar-i-Sharif et ailleurs, qui refusent la férule des Talibans. Nombre de moyens existent pour aider les Afghans, sur le plan matériel et moral. Américains, Européens, nous avons su le faire au temps de la Guerre froide, nous avons su, sans mettre le feu au monde, encourager, aider, soutenir clandestinement les pays sous la botte. Nous devons faire la même chose, en particulier à destination de ces femmes courageuses qui tiennent tête aux Talibans.

Et puis, troisième point, il existe un homme, que je connais bien, dont j’ai bien connu le père. J’ai connu son fils enfant, il est aujourd’hui un homme : Ahmad Massoud. Il est le chef de la résistance dans le Panchir, la seule province qui refuse de se soumettre aux Talibans. Je l’ai filmé au milieu des vieux commandants de son père, le légendaire Ahmad Shah Massoud, et des jeunes compagnons de son fils, tous fondus dans un même amalgame de générations. J’ai vu le jeune Massoud s’adresser à une brochette de commandants de tous âges. Il était charismatique. Ces nobles cavaliers, comme aurait dit l’écrivain Joseph Kessel, le respectaient. Cet homme jeune mérite d’être soutenu à tous égards. Je ne vais pas entrer dans le détail, je ne suis pas un expert, mais Ahmad Shah Massoud doit être soutenu non seulement parce qu’il est le seul atout de l’Occident sur place, mais parce qu’il l’est aussi pour les Afghans qui aspirent à être libres, pour les femmes afghanes qui se battent pour le rester, pour les journalistes qui veulent continuer à faire leur métier. En dépit de notre retraite d’Afghanistan, nous devons tenter de réparer ce qui est réparable : en aidant cet homme.

Bill Clinton : La mort de son père fut une véritable tragédie.

BHL : Je l’ai bien connu, j’avais organisé sa venue à Paris en mai 2001, quelques mois avant sa mort et le 11 septembre. Il était mélancolique, il était triste. Il était le porteur d’informations dont il voulait faire part aux autorités françaises. Il fut reçu par la porte de derrière, tout cela parce que les Talibans usèrent d’un chantage : « Si vous recevez Massoud, nous exercerons des représailles sur les ONG françaises en Afghanistan. ». C’était du bluff. Mais oublions. J’ai ce souvenir de tristesse et de la mélancholie de Massoud la dernière fois que je le vis à Paris au printemps 2001. C’était un homme d’une grande envergure, un grand combattant, il était poète, il était un intellectuel, il aimait les livres, il avait une bibliothèque qu’il transportait avec lui d’un théâtre d’opération à l’autre. Il était de cette race d’hommes qui font la guerre sans l’aimer.

Bill Clinton : Avant d’en finir, nos auditeurs seraient heureux de connaître vos premiers engagements sur le terrain. Dites-nous comment vous vous êtes retrouvé au Bangladesh, qui était alors le Pakistan oriental, comment il devint le Bangladesh, et quel y fut vôtre rôle.

BHL : Mon rôle fut modeste, mais mon engagement et mon enthousiasme sans limite. Il se passait un massacre, un crime de masse au Bangladesh. Encore aujourd’hui, on ne sait pas si l’armée pakistanaise a tué cinq cent mille, un million, deux millions, peut-être trois, peut-être quatre, d’hommes et de femmes bengalis. André Malraux avait lancé un appel à la radio. Il était très vieux, était atteint d’une maladie nerveuse, c’était vraiment un très vieil homme. Il a dit ceci : « Je lance un appel. J’appelle à la constitution d’une Brigade internationale pour le Bangladesh, comme je le fis en Espagne. » En Espagne, au début de la guerre civile, le colonel Malraux commandait une escadrille d’avions qui sauvèrent Madrid. Il avait maintenant soixante-dix ans, et il était vraiment fatigué, mais il n’en lança pas moins cet appel.

Je l’entendis à la radio, c’était terriblement émouvant, si beau, si vrai, que je me suis demandé quoi faire ? J’ai appelé le secrétariat de Malraux : « Je suis des vôtres. Prenez-moi. » Et je suis parti. En réalité, cette Brigade internationale pour le Bangladesh n’a jamais existé.

Bill Clinton : Vous étiez l’unique élément d’une armée d’un seul homme.

BHL : André Malraux était si épuisé qu’il n’est pas venu au Bangladesh. Il viendra après la guerre. Moi, j’y fus. Une fois sur place, que faire ? Je me suis enrôlé dans un groupe de combattants, les Mukti Bahini, je suis rentré dans Dacca avec l’armée indienne et je suis resté plusieurs mois aux côtés du premier Président du Bangladesh, Sheikh Mujibur Rahman. J’ai compris pour la première fois que la grande affaire de ma génération, la vraie tragédie qui allait s’emparer du monde, le vrai combat qui nous attendait, allait être l’opposition entre l’l’islam radical et l’islam des Lumières. Le Pakistan – « le Pays des Purs » –  et son armée incarnaient l’islam radical. Mujibur Rahman, lui, incarnait cet islam des Lumières ; Il était musulman, pieu, pratiquant en même temps que démocrate, ami des droits humains et de l’Occident. Il soutint les femmes qui avaient été violées par la soldatesque pakistanaise durant la guerre de libération, il les appela les Birangana, ce qui veut dire les héroïnes de la nation. C’était un esprit ouvert. J’avais vingt-trois ans.

Bill Clinton : L’Histoire vous a donné raison. Terminons sur une note optimiste. Les deux ONG de plus grande réussite dans les pays en voie de développement sont nées au Bangladesh. Fazie Abed, mort, hélas, il y a deux ans, était de mes amis, il avait fondé BRAC. Muhammad Yunus, lui, fonda la Grameen Bank, et obtint le prix Nobel d’économie. Le Bangladesh était divisé politiquement au point que trois ans durant, au début de ce siècle, le pays n’eut pas de gouvernement. Tout était paralysé. Sauf l’économie, qui continua à progresser au rythme de 6% l’an.

 BHL : Je sais.

 Bill Clinton : Et cela en raison du travail de BRAC, de Grameen et d’autres, dans le domaine des micro-crédits aux populations de base. Ce travail en valait la peine. Je suis heureux que vous ayez mis en relief que si vous êtes bel et bien allé dans la direction, en effet, où vous entendiez vivre votre vie, vous ne pouvez gagner dans 100% du temps, pas plus que chaque chose que vous vivez ou dont vous revez peut être réaliser plus ou moins à l’instant.

 BHL : C’est exact.

Bill Clinton : Je vous remercie pour l’aperçu que vous nous avez donné de votre vie, d’être un intellectuel public, ce qui est une autre façon de dire : un citoyen actif. Nous n’avons pas évoqué le nombre de fois où vous auriez pu être tué. Vous avez été en danger à de nombreuses reprises, pour avoir été là où des peuples sont violentés. Le monde vous doit de la gratitude. J’espère qu’un jour, même si vous m’avez dit ne pas le souhaiter, la France vous donnera acte de ce que vous avez fait en tant que Français, pour faire du monde un meilleur endroit. Je me félicite que vous fassiez preuve d’autant d’énergie, ne la perdez jamais. Quelqu’un m’a demandé un jour pourquoi j’avais fait une école de droit. « Je ne veux pas mettre le droit en pratique, lui ai-je dit. Et je ne veux à aucun prix être obligé de prendre ma retraite. Je veux mourir bottes aux pieds. »

BHL : Moi de même, Monsieur le Président. Bottes aux pieds ! Bottes aux pieds pour vous et pour moi.

 Bill Clinton : Que Dieu vous bénisse !

 BHL : Merci.

3 Commentaires

  1. La tornade urbicide par laquelle est happée toute tentative de conquête d’un pays développé ou en voie de l’être, les paysages de désolation que va y générer le pilonnage systématique d’une cité moderne, ce saisissant contraste qui, non content de vous prendre aux tripes, raffermit votre sentiment que la vie n’est pas censée être une vallée de larmes, qu’il ne peut s’agir là que d’un scénario bâclé, ou d’une erreur de la production, quoi qu’il arrive, d’une histoire que l’on va devoir revoir et corriger de bout en bout, ce désordre des causes aux prises avec lequel notre universalisme se heurte à la concurrence non négligeable des dieux mortels d’un carton-pâte olympien, pourrait bien commencer de produire quelques somptueux effets indésirables.
    Il y a la Russie des autocrates et celle des oligarques. Coincée entre les deux, la jeunesse russe, comme son armée, passe beaucoup plus de temps à draguer sur Tinder qu’à trépigner en broyant du noir dans l’attente d’une bonne guerre. Mais ne nous emballons pas. Les Kurdes n’auraient pas délogé Daech sans l’appui militaire plus ou moins coordonné de Vlad le Chimique et d’une coalition anti-EI dirigée par le Pentagone dont la détermination à ne pas capituler s’était affirmée bien au-delà des premiers 30 jours de combat. OK, sauf que l’instinct de survie qui abreuverait les sillons sacrificiels du non-État kurde n’aurait pas d’équivalent éthique ni héroïque au sein des forces alliées ; sans lui, l’État islamique continuerait à enfiler ses califes comme des perles en Irak et au Levant, entre deux frappes chirurgicales, dans une ambiance de fin du monde étant de nature à confirmer ses thèses millénaristes.
    Il n’est pas impossible que l’évolution paradoxale des Russies conservatrices et progressistes ait contribué à nous convaincre de notre capacité à exporter un modèle supracivilisationnel libéral dans les ruines phénigiennes du tsarisme et du soviétisme… l’inexorable évolution d’une élite russe mondialisée que ses fréquentations avec le Grand Satan occidental exposeraient certes à moult modes de représailles aussi barjo que borgiaques, mais inciterait du même coup à préserver chez elle un niveau de vie médian ne descendant plus en dessous du seuil de tolérance des masses, — à l’opposé de ce que préconisaient les planificateurs de la misère collective dans l’ex-Union soviétique, lesquels semblaient avoir oublié que leurs prédécesseurs n’avaient pu qu’un temps détourner l’attention rageuse de la meute prolétaire en la redirigeant vers l’entité fantasmatique du Juif.
    Les déconvenues que rencontre l’armée russe dans l’enfer de la guerre au sol nous éclairent sur les hésitations qu’éprouvent, depuis déjà quelques années, les infanteries française, britannique ou américaine à s’aventurer dans le décor détruit des guérillas urbaines. Quand on a tout perdu, on est prêt à risquer sa vie dans l’espoir, ce faisant, d’en conserver la portion congrue. Contrairement à leur cible, les soldats russes ne sont pas dans cette situation, outre qu’ils ressentirent, dès l’aube du 24 février, les contre-effets paralysants d’un agent réactif qui contrôlait en eux un stimulateur paradoxal dont l’implémentation suppose que la préservation d’un bloc civilisationnel de race slave et de confession orthodoxe se solde par le massacre d’une ethnie en majorité slave et orthodoxe.
    KGB-Man voulait faire de l’Ukraine un Donbass géant. Hélas pour lui, la guerre civile ukrainienne finit dans une poubelle des cuisines du Kremlin avec ces foutues mayonnaises de stratèges à deux roubles, qui ne prennent pas. Lorsqu’on se présente en libérateur, on ne massacre pas les mêmes otages que l’on prétend délivrer d’une barbarie démocratique où la guerre des idées demeure, somme toute, un dispositif institutionnel et sociétal qui ne tue pas.

  2. « Mais où est la deuxième armée du monde ? » autoréalisons-nous la victoire prophétique de l’Ukraine.
    Eh bien, je dirais qu’elle a pas mal sévi à Marioupol, ces derniers temps, l’armée conventionnelle n° 2.
    Et pour ce qui est de la puissance nucléaire n° 1, je ne m’échinerai pas à éviter de réveiller la Bête immonde, mais bien plutôt à trouver un moyen efficace pour que cette pauvre Bête retrouve le sommeil.
    Certes, les boches n’avaient pas subi autant de pertes au moment où ils s’étaient surpris à pénétrer en France comme dans du beurre mais, comme le disait malicieusement notre Arletty nationale : « Si vous vouliez que je ne couche pas avec eux, il ne fallait pas les laisser entrer ! »
    La résistance française à l’occupant nazi totaliserait, de surcroît, moins d’un pour cent de la population ; on ne sache pas que la résistance ukrainienne ait été traumatisée il y a vingt ans par l’épreuve d’une Grande Guerre qui la pousserait aujourd’hui à se coucher devant l’envahisseur.
    Cela suffira-t-il à désespérer la deuxième armée du monde ? On y compte bien, mais on n’y mettra pas notre main à couper.
    Alors on s’avoue vaincu.
    Ah ça ! si nous nous contentons d’exceller dans les domaines où nous sommes les meilleurs, je crois, oui, qu’il est inutile d’attendre que Kiev ait été rasée pour céder à Vlad II le képi du gendarme du monde.

  3. Nous devons envisager l’éventualité d’un futur antérieur sous les fourches caudines duquel, dans la seule optique de nous les réintromettre bien profond, Poutine aura fait passer chacune des perches diplomatiques que nous lui avions tendues dans l’espoir d’une issue politique de l’aguerre de civilisation qu’il nous avait déclarée, mais aussi d’une sauvegarde d’un droit international sur lequel nous misions naïvement pour assurer un semblant d’ordre idoine.
    Armons-nous de courage, mais avant tout, dotons-nous d’un arsenal géostratégique de dernière génération, j’entends par là une force de frappe économique et militaire prenant appui sur une législation capable de tenir en respect l’Organisation du crime d’État.
    Refondons un gouvernement mondial, fût-il aussi compromettant que le précédent, mais dont les rouages écarteront le risque d’un déni de réalité qui rendrait de nouveau trop instable l’équilibre des forces et nous réexposerait à des périls absurdes, inouïs, ahurissants : un gouvernement qui soit à la hauteur des enjeux géopolitiques majeurs auxquels il est dès à présent impossible que la nature irréversible d’une Histoire universelle appréhendée sous le prisme de sa terrible procession, s’abstienne de confronter l’Internationale universaliste pour le restant du siècle.