Commençons par convenir que ce sujet est difficile. Mais, une difficulté ne doit nullement empêcher de nous interroger, d’analyser des faits complexes, mais encore de dénoncer ce qui doit l’être. Après la basilique de Saint-Denis où trois statues ont été dégradées, de nouvelles églises ont été visées par des dégradations. Il s’agit des églises Saint-Germain-l’auxerrois à Romainville et Saint-Pierre à Bondy, dans la nuit du dimanche 9-10 janvier 2022. Une ou plusieurs personnes se sont introduites par effraction dans les édifices religieux pour y dégrader et dérober plusieurs objets sacrés. Il faut savoir que de nombreuses dégradations, des vols et/ou des profanations sont commises chaque année, dans les églises, un point que nous allons étudier dans cet article. 

Les actes anti-chrétiens et leur éventuelle médiatisation

Mais, la plupart du temps, ces dégradations et/ou ces profanations ne suscitent guère d’émotion. Les faits sont rapportés très sobrement dans la presse locale, souvent exclusivement, plus rarement dans toutes les éditions départementales de quotidiens régionaux. Le plus souvent, les articles sont publiés sous la rubrique dite des « faits divers ». Les papiers sont factuels, courts, saupoudrés de quelques citations, éventuellement un maire, un prêtre, un officier de police judiciaire, un fidèle. De fait, si une profanation est commise dans le département de la Manche, ces faits seront méconnus en Lozère ou dans les Pyrénées-Atlantiques, par exemple. 

Pour que des profanations d’édifices religieux chrétiens soient connues par le plus grand nombre, il faut que les actes qui y ont été commis soient d’une autre nature, d’une plus grande intensité et frappent l’opinion publique, localement, déjà. Les faits seront alors relayés par l’AFP, les dépêches successives seront publiées par la presse. Éventuellement, des correspondants sont envoyés sur place, les élus réagissent et les images sont diffusées à la télévision (régionale). Par exemple, lorsqu’une centaine de tombes ont été profanées dans le cimetière du Breuil, de la tranquille ville de Cognac, dans la nuit du mardi au mercredi 27 octobre 2019. Les familles ont alors découvert que les symboles chrétiens du cimetière ont été particulièrement visés. La journaliste Héloïse de Neuville raconte dans l’édition de La Croix(1er novembre 2019) que des crucifix ont été placés face contre terre, des croix ont été arrachées, des statues de Vierges et d’anges ont été malmenées. Cette profanation a été menée avec une certaine sauvagerie, par un sataniste, mais méthodiquement, tout au long de la nuit, et la ville de Cognac et ses 20.000 habitants sont sous le choc. Cette profanation suscite une plus grande émotion et par conséquent une plus grande couverture médiatique que, par exemple, lorsqu’une église a été profanée à Ploërmel (département du Morbihan), en juin 2019, ou lors de la profanation au cimetière de Vandeléville, en Meurthe-et-Moselle, en septembre 2020. Là, les faits restent relativement méconnus.

Dans le cas des profanations qui ont eu lieu récemment à Romainville et Bondy (9-10 janvier 2022), c’est plus particulièrement le déplacement de Gérard Darmanin, le ministre de l’Intérieur, qui fait réagir la presse (plus que la nature des profanations qui y ont été commises). Il est probable que si tel n’avait pas été le cas, les faits n’auraient pas été connus. Car, le ministre de l’intérieur se rend sur place, à Romainville, ce jeudi 13, pour constater les dégâts, s’entretenir avec les fidèles et communiquer à cet effet. Une communication dont nous conviendrons qu’elle est éminemment politique, mais nécessaire. Et, le ministre fait une annonce : une enveloppe de quatre millions d’euros pour la sécurisation des lieux de culte en France, notamment pour financer des moyens de vidéo protection (Le Figaro, 13 janvier 2022). Il rappelle également qu’une mission parlementaire est menée jusqu’en mars par Ludovic Mendes (LREM) et Isabelle Florennes (Modem) « pour faire des propositions complémentaires sur la question des actes antireligieux : analyse des causes et des manifestations du phénomène, mesures de protection. » L’auteur de cet article a été auditionné par les députés. Je peux donc ici témoigner de l’inquiétude de nos élus et de leur bonne volonté. En temps utile, je ne doute pas qu’ils rendront un rapport qui analysera les faits et ils remettront des propositions au Premier ministre. Cependant, il est regrettable que les députés aient été missionnés si tardivement. 

Or, les faits sont complexes, nous l’avons dit. 

Signalements, plaintes et preuves. Comment cela fonctionne-t-il ?

Expliquons brièvement. C’est le service central du renseignement territorial (SCRT) – qui dépend de la direction générale de la police nationale (DGPN) – qui effectue un recueil annuel des actes à caractère raciste ou antireligieux. Le SCRT répertorie les atteintes aux lieux de culte (juifs, chrétiens, musulmans) et aux cimetières également. Les statistiques prennent en compte les actes constatés à la suite d’une intervention des forces de l’ordre et les informations diffusées par la presse, dont nous savons qu’elles sont limitées. Mais ces statistiques ne prennent en compte que les plaintes déposées. 

Ainsi si les actes antireligieux ne sont pas suffisamment recensés, cela tient au fait qu’il n’y a pas systématiquement de dépôt de plainte. D’abord parce que lorsqu’il y a une profanation de tombes, les victimes sont désemparées, le traumatisme est énorme. Se pose la question immédiate de reconstruire une tombe qui aurait été profanée et saccagée et cela a un coût financier. Comment faire lorsque l’on n’a pas les moyens d’engager de telles dépenses et que les assurances trainent à rembourser les frais occasionnés ? Dans l’immédiat, les familles ont besoin d’être soutenues psychologiquement. Mais, ce n’est pas le cas. D’autre part, les victimes ne savent pas forcément comment déposer plainte. Cela peut paraître surprenant, mais c’est ainsi. Et puis, il faut se rendre dans un commissariat, ce n’est pas si simple. En vérité, il faudrait donner aux victimes la possibilité de porter plainte en ligne en facilitant l’accompagnement des victimes, ce qui n’est pas toujours le cas. Les plaintes déposées sont donc insuffisamment nombreuses. Mais en plus, elles peinent à aboutir. 

Les enquêtes qui vont être effectuées seront difficiles à mener. Trouver les agresseurs, les profanateurs, les voleurs demande du temps et des moyens considérables. Tout simplement parce que les églises ne sont pas surveillées et elles sont accessibles, ouvertes. Pas de surveillance, pas de contrôle, pas de caméras. Souvent, les profanations dans les cimetières ont lieu la nuit. De nombreux cimetières sont en pleine campagne, il n’y a pas de caméras pour enregistrer ce qui s’y passe, pas de gardiennage. Les lieux ont été repérés précédemment ou sont connus par les profanateurs. Et puis, quelquefois, il règne comme une curieuse omerta. Les gens qui habitent à proximité de ces cimetières renâclent à témoigner, à parler. Comme s’ils n’avaient rien entendu, rien vu. Pour toutes ces raisons, il faut convenir que le taux d’élucidation de ces affaires est relativement faible.

Et, lorsque des plaintes sont déposées, est-ce qu’elles sont suffisamment dissuasives ? Bien sûr que non. D’ailleurs, nous manquons d’éléments pour analyser ces phénomènes.

Car, lorsque ces plaintes sont déposées, que deviennent-elles ? Il faudrait savoir combien d’auteurs d’agressions ou de profanateurs d’édifices religieux auraient été considérés comme non poursuivables par le Parquet et combien de plaintes font l’objet d’un classement sans suite, parce que l’infraction n’est pas assez caractérisée, parce que les faits ne constituent pas une infraction pénale ou que le suspect a été mis hors de cause. Ou bien, parce que l’action publique est éteinte (prescription, retrait de la plainte…). A l’inverse, nous aimerions connaître le nombre de condamnations et de peines qui ont été prononcées.

Que disent les statistiques ?

Malgré tout, il est important de disposer de chiffres. Que nous apprennent-ils à ce sujet ? Comme nous l’avons dit précédemment, les données proviennent du SCRT et, à un moment donné, le ministère de l’Intérieur communique. 

En 2018, les actes anti-chrétiens consistaient en dégradations et atteintes aux biens. Ils concernaient en grande majorité des dégradations et des actes de vandalisme qui avaient été commis dans des églises et des cimetières. C’est ainsi que 750 églises ont été vandalisées/profanées. Cela ferait une moyenne de 2 églises vandalisées ou profanées par jour, si l’on divise simplement ce chiffre (750) par 365 jours. Pour l’année 2018, moins de 2% des églises ont donc été impactées, contre… 9% des synagogues et 4,5% des mosquées. Comparativement, cela peut paraître peu. Mais, cela s’explique simplement. En France, il y aurait 55.000 édifices religieux chrétiens, dont 45.000 églises catholiques, contre 500 synagogues et environ 2.200 mosquées et espaces de prière. L’échelle de grandeur n’est donc pas la même, bien évidemment. 

En 2020, le ministère de l’Intérieur rapporte que 339 actes anti-chrétiens ont été comptabilisés dans l’année. Nous obtenons alors les pourcentages suivants :

– 47% de dégradations.
– 24% de vols.
– 17% d’inscriptions.
– 5% de propos et gestes menaçants.
– 4% d’incendies.
– 2% de tracts et courriers.
– 1% de violences physiques.

Ces chiffres sont intéressants, mais il faudrait disposer de données plus fiables et, surtout, de données détaillées pour comprendre comment ces faits se déroulent, leur typologie. Nous pourrions ainsi affiner notre connaissance du sujet. 

Par exemple, lorsque l’on indique que 47% de dégradations ont été commises, s’agit-il d’actes de vandalisme ou de profanations ? Il y a là, pas simplement une question de terminologie mais de compréhension. Un vol à l’intérieur d’une église est une chose insupportable, mais les profanations qui sont commises avec une évidente férocité contre les lieux de culte, les calvaires, les monuments aux morts, et à l’intérieur des églises en sont une autre. Le mode opératoire n’est pas le même et, cette fois, ce sont les objets du culte qui sont profanés. Selon le droit canon, qui fixe les règles de fonctionnement de l’Église catholique, « les lieux sacrés sont profanés par des actions gravement injurieuses qui y sont commises au scandale des fidèles ». La profanation est établie lorsque l’on s’attaque à ce que les catholiques considèrent comme la présence réelle de Jésus-Christ, c’est-à-dire les hosties consacrées lors de la messe, ou bien l’autel, l’endroit où se célèbre le sacrement de l’eucharistie (transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ, selon la foi catholique). Le vol d’un tabernacle, armoire où sont entreposées les hosties, est aussi un acte de profanation, rappelle Le Monde, (23 avril 2019). Disons-le plus clairement, un Christ décapité à l’intérieur d’une église est non seulement une profanation, mais ce geste porte une signature et est un acte anti-chrétien caractérisé.

Le satanisme ?

Certains profanateurs se réclament du satanisme. Faut-il s’en étonner ? Dans les pays anglo-saxons et nordiques, les fans de certains groupes (Metal Christ Agny, Dark Funeral, Demonic, Impaled Nazarene, Infernum) brûlent les églises ou les temples en hommage à leurs groupes favoris. D’autres formations (Dimmu Borgir) exaltent leur aversion du judéo-christianisme ; se collent au satanisme (Infested, Mactatus ou les Norvégiens de Crest of Darkness) ; évoquent le nazisme, ou peuvent avoir un effet sur la jeunesse, comme Angel Dust, dont l’une des chansons « Bleed » parle de quelqu’un qui devient fou, qui s’enferme petit à petit dans une horreur quotidienne, sur laquelle il n’a pas de prise. Il faut également mentionner que sur Internet les sites satanistes sont légion et leur influence est de plus en plus importante chez les adolescents. Cependant, nous ne disposons d’éléments suffisamment probants. Il faudrait mesurer également la proportion de dégradations/profanations en fonction d’éventuelles autres revendications (anarchistes, anticléricaux et notamment islamistes qui assassinent par ailleurs des prêtres dans les églises) et que le ministère communique à cet effet les informations adéquates. 

Finalement, il nous semble que le pire serait de sous-estimer ce sujet et de minorer les actes antichrétiens. Plus généralement, les actes antireligieux sont de plus en plus fréquents, ils sont extrêmement inquiétants. On ne doit pas passer sous silence que des cimetières israélites sont profanés avec une violence inouïe, que des mosquées sont attaquées férocement, pas plus que l’on ne doit taire les profanations qui affectent et meurtrissent les communautés chrétiennes. Ces actes antichrétiens sont une évidence, j’insiste sur ce point. Dans une époque tourmentée comme la nôtre, des individus sans foi, des individus sans loi, s’escriment à fouler aux pieds le respect que l’on doit aux cultes et aux morts. Il est encore temps de mettre fin à cette folie et, pour ce faire, il faut des moyens renforcés et une volonté politique sur le long terme, car ces atteintes meurtrissent les valeurs partagées par nos compatriotes.


Marc Knobel est historien. Il publie chez Hermann en 2021 « Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet. »

Un commentaire

  1. C’est vrai, et je ne comprend pas pourquoi on ne fait pas le respect pour le pratique religieux pacifiste le subject numéro 1 dans nos écoles, dès la maternité jusqu’au bac. On doit enfin comprendre que nous vivons dans un temps de globalisation ou les populations du monde se mêlent de plus en plus et donc ont besoin d’une éducation démocratique profonde et unissante, tout comme nos jeunes fatigués de la démocratie qui se perdent dans la destructivité …