– Au commencement du monde était la capitale des Gaules. Au commencement de Marc Lambron aussi. Lugdunum mon amour. 

– Natif de Lyon donc. Lyonnais, comme Pompidou était de Montboudif, Chardonne d’Angoulême, Mitterrand de Jarnac, Giscard de je sais quel trou d’Auvergne. Mais en un peu mieux tout de même, puisque de Lyon tout de même. 

– Lyon, vous dis-je et vous le répète, moi Marc Lambron., tout au long des 700 pages de mon Journal de 2017,L’année du Coq de Feu (Le lièvre de Patagonie lanzmannien, titré en version rhodanienne), Lyon, again and again !

– Lyonnais donc. Oui mais attention, nuance. « Lyonnais transitionnel », cher Monsieur ! (A bon entendeur, rébus).

– Lyon, vous savez bien, Capitale en titre de la province française, là-bas à 2 heures de TGV d’ici. Costaude. Bourgeoise. Pas à la traîne. Confluente (deux fleuves pour le prix d’un). Placide (pour les grandes passions, poussez plein Sud). Ce qui autorise de naissance tout lyonnais d’un peu de qualité à donner un jour des leçons de maintien à Paris, à avoir très tôt la petite ambition ratignaquienne de rigueur pour outsider des métropoles, à user d’un bon sens du mariage des eaux adverses pour la conquête des bastions, des salons et des CACquarantièmes rugissants, de l’Elite des bords de Seine. D’où Normale Sup, l’ENA, le Conseil d’État et, cerise sur ce gâteau hyper-sélect resté ethniquement lyonnais mais d’ultra bonne farine parisienne : la Coupole, au siège de François Jacob, biologiste, Prix Nobel et Compagnon de la Libération. Pas mauvais choix que de succéder à pareil homme, plutôt qu’à un quelconque Jean-Pierre Engremy tombé avec justice dans les limbes du parfait oubli.

– Bref, Marque Lambron : un Lyonnais en habit vert. Une sorte de Canut des Lettres.

– Lyon oblige, forte co-sanguinité collombienne (prénom Gérard, ex-maire de la Cité des Gaules, ex Ministre de l’Intérieur démissionnaire, présentement à la côte pour mauvaise pioche).

– Toute cette lyonnaisité migratoire donne un Lambron, des lambris, un bourgeois millésimé comme un grand cru de Bourgogne, Fregoli matois, feutré, chafouin, émérite, précieux, cuistre, cabot, lutin, simple et perché, c’est selon, bon garçon, Huron attentif, sincère avec admirations, balancé, bienveillant, Bon Prince, juste milieu, brahmane, esprit chagrin, griffes à pattes de velours, frère fouettard, observateur chabrolien du charme discret de la bourgeoisie des beaux quartiers à adultère, non-dupe, starfucker, boulevardier, potache, notarial, Immortel mais qui se soigne, parisianiste, name-dropper éperdu (il poussel’équanimité jusqu’à relever la présence d’un quidam anonyme à une projection privée), jeteur priapiste de pédigrées à particules et autres beautiful people à la chaîne, monégasques si possible, visites protocolaires régulières à Notre-Dame des Riches. Mais, hélas, et notre noctambule léautaudien le montre sans fard, Paris, qui s’étourdit de dîners en ville à répétition, n’est plus une fête. Plus de Palace, plus de Dolce Vita, de Fiestas. Il fait nuit noire dans la Ville-lumières.

– Penser contre soi-même, dit-il quelque part. Oui, tout contre.

– A propos, je m’avise que le Lambro est une petite rivière de l’Italie septentrionale en Lombardie (pardon, en Lambronie) née dans les montagnes au sud du lac de Côme, qui coule vers le sud, serpente dans la plaine lombarde, laisse Milan à cinq kilomètres à droite, baigne Marignan (1515) et tombe dans le Po, rive gauche. Concernant notre personnage, politiquement, c’est assez bien vu, non ? Girondin du Rhône, tocquevillien cela va sans dire, unanimiste avec et sans h, Edouard Herrien (Ah la bonhomie rad-soc de cette bonne vieille Troisième République si tolérante, avec maisons ad hoc !), blumiste (sur l’amour et le mariage), devenu macroncompatible par pente naturelle et provincialisme en partage.

– Témoin de son temps, époquier hors pair, hypermnésique revendiqué, culture classique d’enfer, de Marc-Aurèle aux Gründisse de Marx, des « fusées » et des bons mots à chaque page, la dernière édition du Who’s who à lui tout seul. Pas un salon, pas un dîner en ville, pas une Première, pas un Prix littéraire franco-suisse, poitevin, angevin, pas un jury littéraire, pas une émission pour happy few, pas une nécrologie savante, une rumeur, un fumet littéraire, pas une vieille actrice, une vielle gloire qu’on croyait morte, une star des Sixties, un bluesman, un rocker oublié de la Nouvelle Orléans, pas un photographe gentiment ringard de l’époque des Yé-yés, n’oseraient échapper à ses nomenclatures maniaques, sa boulimie d’air du temps jadis, ses nostalgies d’avoir raté Mai 68 pour être né trop tard à l’orée d’un siècle trop d’jeuns.

– Bref, c’est Monsieur Je-suis-Partout (Vade retro, Brasillach !). C’est, plus encore, Monsieur Je-Sais-Tout-sur-Tout et sur-Tous. Y compris vous, Frère lecteur, hypocrite lecteur. Quant au reste qui n’est pas mince, je promène mon miroir tout le long de la route, et elle est longue. M’aimerais-je à ce point ? Que croyez-vous, c’est tout pour la littérature ! Disons par honnêteté que je ne me déteste pas. Même si je ne suis pas toujours d’accord avec moi-même.

– Marc L. ? De la verve dans un bas de soi(e) ! De la vacherie, de l’épinglage, du bien visé à satiété. Un arrière arrière petit-petit fils du duc de Saint-Simon. De la formule qui fait mouche, en vœux-tu en voilà. A propos d’une femme (qui fut aimée de lui ?) : « Elle était courte en voluptés. » Envoyé, non ? Comme règlement de Con, de conte et de compte, on a déjà vu moins méchant. 

– À ce propos, ce courtisan sans Cour ni souverain, ce favori des Arts et du bel esprit sans privilèges d’État ni pensions de la défunte République des Lettres, a réussi aussi par les femmes. À commencer par sa mère, Mater Assoluta, à continuer par son épouse, à conclure en cachemire des Indes avec Monique Lévi-Strauss, sa marraine du comité de l’Épée. Plus, peuplant cette mini Cité des Femmes, l’adjonction d’une poignée de Marie-Chantal périphériques bien nées, abondamment pourvues de bâtisses de mer ou de campagne aux très vieux murs offrant des points de vue imprenables sur le monde, le temps d’un bref outing hors du Landernau natal.

– Néologisme lambronien dix-neuvièmiste : politiquer (se passionner froidement et à distance pour la chose politique). Lambron politiquiste.

– Grand Citationniste de derrière les fagots, des bons mots des autres, de préférence vipérins mais pas nécessairement. Pierre Bergé sur BHL : « Un SPF. » (Sans Palace Fixe). Je confirme : La Colombe d’or à Saint-Paul de Vence, le Raphaël à Paris, le Carlisle à NY, le Connaught à Londres. Sans oublier une casemate de fortune, les nuits passées au Kurdistan ou en Ukraine en guerre.

– À propos de Modiano : « toute vie est à la menace d’une rafle. »

– À propos de Yann Moix, son body. Pourquoi pas à l’Académie française, parrainage M.L. ? Ça swinguerait dur sous la Coupole. Rajeunissement des cadres, ravalement des façades, émeutes. Mais d’abord l’élection. Après, la Révolution.

– À propos de la France : « une Vallée heureuse. » 

– Vous serez heureux d’apprendre au détour de la page 563 qu’Albert K. s’était fait piquer à l’été de 2017 par une méduse à Saint-Tropez. Mais il est dit, sur la même page, qu’il est urgent de relire Bossuet. On est un peu perdu.

– Par-dessus tout, M.L. est le good guy, le feel good du Rock and Roll occidental, l’addict aux riffs crypté hipster, la tête en permanence vissée aux platines. Ça balance sec, entre le quai Conti et l’Arena concert hall of fame de Nanterre ou du parc de la Tête d’Or à Lyon, même si on imagine mal ce sévère au corps lent en train de tripper du buste, des pieds et des mains dans les planètes rockeuses et de planer dans les Nirvanas du staccato des guitares électriques. Il fut un des plus purs enfants du Rock dans les Eighties, il est devenu le Papy rock n°1 du Millenium, vétéran du vinyle vintage et des concerts de légende des quarante dernières années. Ce sanguin tranquille et qui, encore une fois, n’est pas lyonnais pour rien, a associé dans une revue littéraire qui s’appelait Louchebem consacrée à l’éloge de la viande, le steak tartare et le hard-rock, telles deux forces roboratives, presque sauvages mais digérées. Mais ne faudrait-il pas plutôt entendre « Sexe tartare » chez ce grand civilisé pudique, qui aurait toujours des scrupules d’enfance à se lâcher ? Toujours est-il que cela donne un torrent de dates, de noms de musiciens, de chanteurs, d’arrangeurs, de groupies, ignorés de moi, (je ne dois pas être le seul), avalés par le temps et les substances poudrées. Festival d’expressions américaines vraiment bat ; vraiment beat. Un underground sémantico-branché auquel je suis comme le ravi de la crèche et n’y comprends goutte. J’abandonne bientôt la partie. Vive Gainsbourg, et basta.

Conclusion en forme de supplique (la bêtise, disait Flaubert, consiste à conclure. Tant pis) :

« Cher Marc, continuez à lambroner longtemps en votre Lambronie unie. Et honni soit qui mal y pense. A cet égard, je ne vous apprendrai rien : l’année 2022 est très prometteuse. »

« Juste, peut-être, une toute petite chose si vous récidiviez dans les temps à venir. Cela vous embêterait beaucoup de me citer à mon tour dans un vernissage quelconque où vous m’apercevriez, que j’y sois ou pas (mais je peux venir exprès si vous vous en tenez à la stricte vérité) ? Juste mon nom. C’est pour ma concierge, qui me monte le courrier et ma banquière pour qu’elle ferme les yeux sur mes dépassements. »

Cette Année du Coq de Feu qui ouvrait ce Journal de 2017 se termine par une visite dévote de l’auteur à sa Lulu, la guenon sexagénaire du zoo de Lyon, par laquelle Marc Lambron clôt sa galerie de portraits, comme si ses chers contemporains comptaient pour rien. Un presque rien, des éphémères. 

Tiens, je me rends compte qu’il n’a pas cité FMR, la sublime revue de feu Franco Maria Ricci. Bizarre.

Un commentaire

  1. il faut savoir aussi que la bonne ville de Lyon a toujours eu le don, par son seul nom, d’attirer les nostalgiques d’une certaine France. Une piquante anecdote m’a été rapportée à ce propos par une dame parfois encline à la médisance mais en principe bien informée.
    La scène se passe en 1990, à l’EHESS.
    Ce jour-là un nommé Robert Belot soutenait une thèse intitulée : « Lucien Rebatet ou les chemins d’un fasciste. Essai de bibliographie politique ». On aurait pu s’attendre -au moins pour la forme- à un accueil un peu mitigé du côté du jury sachant que celui-ci était présidé par le nommé Jacques Julliard, ami du Beaujolais et qui aux dernières nouvelles continuait de se dire de gauche.
    Mais rien n’en fut. D’emblée celui-ci prit à témoin l’assistance de son contentement et ce au motif imparable que Rebatet « était de Lyon » et que lui (Jacques Julliard), aussi !
    On peut ici mesurer la fascination qu’exerce le nom de Lyon sur les cervelas fragiles sachant qu’en réalité Rebatet était de… Moras-en-Valloire dans la Drôme, et que le célèbre humoriste Jacques Julliard est de Brénod dans l’Ain.
    Que ma DROITE se dessèche si je mens.