C’était un professeur, un simple professeur
Qui pensait que savoir était un grand trésor
Que tous les moins que rien n’avaient pour s’en sortir
Que l’école et le droit qu’a chacun de s’instruire.
Evidemment, Goldman n’est pas Hugo. Ni Jaurès. Ni Camus. Mais il est la voix d’une génération qui s’aimait bien les uns les autres, d’une génération, la nôtre, qui pleure aujourd’hui l’un ses meilleurs fils. Une génération aussi qui a plus siffloté du Goldman que la Marseillaise en se rendant au travail.
Un simple professeur…
Samuel Paty n’aurait pas dû être un héros d’avoir voulu prendre le temps et les mots pour parler en toute liberté, de notre liberté de dessiner ou de caricaturer. Il me semble qu’il n’a jamais ni voulu ni songé être un héros. Il est en tous cas un martyr de la liberté de dire, de transmettre, d’élever et d’enseigner.
La barbarie est là. Quand elle frappe ni à la tête, ni au symbole d’une figure révérée, mais au cœur : là où l’esprit de service s’accomplit loin des lambris, là où ça se joue, plus que cela ne s’incarne désormais, là où ça se délite. Où ça fout le camp. Au lycée donc. Dans la salle de classe. En dehors. Sur les réseaux qui deviennent assassins, et aussi pour tout dire dans la salle des profs. Où plus rien n’est simple.
Le drame de Samuel Paty, ce que son destin laisse à la République blessée, c’est la difficulté et le courage de trouver les mots. Un courage et une simplicité dont il a fait preuve et qui lui furent fatal.
Il faut revenir sur ce piège monstrueux qui lui a valu d’abord une accusation de racisme et une enquête de sa hiérarchie avant d’être livré à une meute assassine mue par une idéologie moyenâgeuse. C’est cela l’assassinat de Samuel Paty. Quand notre égarement, notre bégaiement, notre hésitation idéologique rencontre la furie de l’islamisme meurtrier. L’un et l’autre. Pas l’un ou l’autre. Pas l’un sans l’autre. Nul ne peut pointer dans cette affaire un doigt accusateur sans quelque part le retourner vers nous-mêmes.
Que l’on ne me parle pas ici de faillite de l’antiracisme. Car c’est de son dévoiement dont il est question. Chez les militants antiracistes on sait bien faire la différence entre la liberté de croyance et de critique et l’injure raciste. Chez les militants antiracistes, on sait parfaitement que la laïcité est une condition du vivre ensemble et non une règle d’anathème ou d’exclusion. Mais pourquoi est-ce que ce qui est si simple confine désormais à l’impossible : de ne rien concéder ni au racisme ni à la laïcité ?
Dans l’attente que les mots, et surtout le sens commun nous reviennent, l’assassinat de ce simple professeur nous laisse pour nous tenir et nous relever un visage et un nom: Samuel Paty. Chérissons-le.
Sauf à légitimer la barbarie suprême, rien ne nous autorise à décerner au terrorisme aveugle ne serait-ce qu’une lettre de noblesse.
Tous les hommes et les femmes qui ont rallié l’État islamique depuis sa fondation ne peuvent pas se targuer d’un palmarès équivalent au sein de cette nébuleuse politique d’envergure internationale ; cela ne nous empêche pas de les appréhender comme des individus participant de manière proactive des crimes contre l’humanité que continue à perpétrer Daech.
Tous les hommes et les femmes qui ont été des militants du FLN entre 1954 et 1962 ne furent pas les auteurs de mutilations sexuelles pratiquées sur les cadavres de civils massacrés ni ceux d’atroces attentats ayant visé d’autres civils, de préférence accompagnés d’enfants, lors d’une fête de mariage, ou à la terrasse d’un glacier très prisé après la traditionnelle baignade dominicale, or aucun de ces bâtisseurs du futur État algérien ne réclamerait jamais que les théoriciens de l’immonde fussent jugés par la Cour pénale internationale, alors même que quelques décades de décantation auraient pu les conduire collectivement à un examen de conscience national.
Pour autant, si, d’après le Talmud, un voleur n’en serait pas moins un du simple fait qu’il en volerait un autre, gageons que l’assassin ne contournera pas le Jugement dernier en arguant que sa victime s’était rendue a priori coupable d’un meurtre prémédité. De là à conférer au FLN l’aura des FFL…
De Gaulle a en effet couvert l’assassinat de plusieurs militants d’un Front de libération national terroriste qui, le 17 octobre 1961, avait déjà massacré des centaines d’innocents de tous âges, y compris en métropole. Le fondateur de la Cinquième n’avait pas jugé opportun d’affaiblir son État tandis que des milliers de conscrits s’étaient succédé outre-Méditerranée pour défendre les intérêts vitaux de la France dans l’espoir d’une issue que tous, à l’époque, espéraient politique, certains sous forme de paix sèche, d’autres dans la poursuite un peu naïve de l’élan de réconciliation nationale amorcé une quinzaine d’années plus tôt.
Nous savons aujourd’hui que la réconciliation d’une nation avec des personnages de la veine de Maurice Papon est un exercice à haut risque.
Notre prise de conscience, dans le cadre d’une guerre pan-nationaliste qui continue d’inspirer les prônateurs du terrorisme aveugle aux quatre coins d’une planète colonisée depuis la nuit des temps, ne peut pas s’engager, sous influence retorse, dans les sables mouvants d’une reconnaissance non réciproque des actes inexpiés.