Comme guidés par l’ange exterminateur, nous avons été enfermés dans la salle des témoins du Palais de Justice, nous deux satrapes pataphysiciens : Dominique Noguez et moi-même, au procès de Michel Houellebecq.

L’envie m’a pris de créer un éphémère panique. J’ai préféré analyser l’une des victoires aux échecs de Ponomariov qu’une semaine auparavant je l’avais vu remporter à Moscou. Pour me concentrer, je me suis couché sur l’un des bancs, et caché les yeux sous mes lunettes grâce à deux kleenex… mais je n’ai pas tardé à m’endormir au point de ronfler !

J’ai été réveillé – deux heures plus tard ? – par un policier poli. Il m’a conduit face à un président talentueux et attentionné à la santé duquel je n’ai pu m’empêcher de porter un toast. J’ai eu l’impression d’assister à une scène de théâtre dans le décor… de la 17ème chambre (c’était d’ailleurs le 17 septembre !) correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris :

« … Fernando Arrabal connaît parfaitement le délit de blasphème. C’est à cause de lui qu’il fut jugé par un tribunal franquiste. L’écrivain jovial et souriant a enthousiasmé l’auditoire. » (Pascale Robert-Diard écrit dans  Le Monde).

Nicolas Bonnal, président du Tribunal. – Dites-nous quel est votre nom.

Fernando Arrabal. – Si je le savais moi-même !… Sur mes documents on m’attribue le nom de Fernando Arrabal.

Le Président. – Quelle est votre profession?

« Arrabal répond après quelques instants d’hésitation » (P.R-D., Le Monde)

FA. – Piéton !

Le Président (se tournant vers ses assesseurs). – Notez : écrivain. Monsieur Arrabal, veuillez jurer que vous allez dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Levez la main droite et dites « je le jure ».

F.A. – Oh ! mais c’est très fort, « je le jure ». Heureusement que je vais dire la vérité. Est-ce que je peux dire, « je promets » ?

Le Président. – Qu’avez-vous à nous déclarer, monsieur Arrabal?

F.A. – Quel bonheur de pouvoir être un témoin de la défense pour un délit d’opinion, ou, si l’on préfère, dans un procès d’intention à l’encontre d’un poète « en raison de la déraison que l’on fait à (notre) raison »… comme a dit Cervantès.

Maître Pierrat  (l’avocat de la défense). – Veuillez vous expliquer…

F.A. – Ceux qui assurent que ce procès est le plus important de ces dernières années en France et le plus décisif, si l’on veut mettre un frein à la recrudescence des nouveaux vetos contre la liberté d’expression en ce début de siècle, ne me semblent pas du tout exagérer. Après la chute des Titans !

« Il y avait une forme de jubilation dans l’air à la 17ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. » (P.R-D., Le Monde).

F.A. – On juge Houellebecq pour blasphème comme ce fut le cas pour moi en 1967. Socrate, qui parlait si divinement de Dieu à Platon, a aussi été jugé pour blasphème. Et condamné deux fois à mort. A boire la ciguë.

« Il joint alors le geste à la parole en extirpant de sa poche une fiole de calvados qu’il porte à ses lèvres. » (P.R-D., Le Monde).

F.A. – Mon père aussi a été jugé pour délit d’opinion le 17 juillet 1936. Les théocrates de l’Etat Nouveau l’ont envoyé dans le couloir de la mort à la forteresse del Hacho. Moi aussi, son fils, j’ai été enfermé dans les prisons franquistes pour blasphème. Mon père est né plaza del Potro (place du Poulain) à Cordoue. Huit siècles après la venue au monde, au même endroit, du philosophe juif Maimonide et du musulman Averroès, au début du 12ème siècle. Dans son « Discours décisif » le philosophe musulman défend la liberté « d’agir et de penser contre la foi de l’Islam ».

« …c’est aussi le droit fondamental à l’humour qu’on plaidait. » (P.R-D., Le Monde).

F.A. – Au mois de mai 1968, lorsque les paniques, les surréalistes et les pataphysiciens (« …de la modernité merveilleuse ») ont appris qu’un leader totalitaire avait « accusé » l’un des leurs d’être un juif allemand, ils se sont précipités dans la rue pour revendiquer cette appellation : « Nous sommes tous des juifs allemands ». Aujourd’hui nous sommes tous des « zindigns », c’est-à-dire des poètes arabes épicuriens. Des poètes qui, dès les premiers temps de l’Islam, pensaient comme Omar Khayyam lorsqu’il écrivait : « Ne lève pas tes mains vers cette tasse renversée qu’est le ciel, elle n’est pas plus importante que toi et moi. »

« …On se pressait comme à un soir de première. » (P.R-D., Le Monde).

F.A. – Aujourd’hui, on accuse mon ami de blasphème comme moi en 1967. Pour ce motif, j’ai dû passer dans les geôles de Murcie, de la Direction Générale de Sécurité, de las Salesas de Madrid et de la prison de Carabanchel. Et lors du procès l’accusation franquiste a requis à mon encontre 12 ans six mois et un jour de prison.

Maître Jean-Marc Varaut, partie civile. – Je ne saurais permettre…

F.A. (tout sourire). – Ne m’interrompez pas, Maître. Vous êtes un grand avocat candidat à la Comédie ou à l’Académie française, et moi candidat à n’être qu’un maudit. Et j’en suis fier ! Mais, je vous en prie, laissez s’exprimer la minorité silencieuse.

Maître Varaud. – Ce que je veux dire, c’est que vous ne pouvez pas faire de moi un avocat fasciste.

F.A. – Bien sûr que non. Si vous en étiez un je ne serais pas ici. Je me serais fait représenter par « mes assiettes ».

Le Président (prévenant et souriant). –  Pas d’interruption. Je vous en prie, poursuivez.

F.A. – En 1967, j’ai eu l’honneur d’être soutenu, entre autres, par Camilo José Cela, Vicente Aleixandre, Elias Canetti, Octavio Paz et Samuel Beckett. Tous les cinq n’étaient que de simples soldats de la littérature, et quelques années plus tard, ils allaient être nobélisés.

Le Président. – Et qu’a dit Samuel Beckett?

F.A. – La police de l’aéroport de Barajas l’a empêché de venir me défendre. Pour la première fois de sa vie il a dû exprimer publiquement son opinion par une lettre et non pas par une œuvre littéraire. Et il a écrit à mon propos ce qu’il aurait dit aujourd’hui…

« Après avoir ravi son auditoire… Arrabal a conclu, avec Beckett. » (P.R-D., Le Monde)

F.A. – « …c’est beaucoup ce que le poète doit souffrir pour écrire, Messieurs les Juges, n’ajoutez rien à sa propre douleur. »

L’avocat de la défense a terminé sa plaidoirie en apothéose avec une fougue aussi juvénile que convaincante.

Auparavant la procureure, Béatrice Angeli, une jeune femme aux cheveux flottants, altruiste et intelligente, avait pris place dans son vaisseau sans voile. Elle semblait surgie d’une hagiographie de la femme selon « Michel » dans « Plateforme ». Elle a fait observer à ceux qui tremblaient d’épouvante face à la vague déferlante : « considérer que par une dérive sémantique parler d’une religion c’est parler de la communauté de ses croyants est un pas que nous ne pouvons franchir. » Elle a requis la relaxe du poète. Après ce cauchemar de flèches … quel rêve ! « Acta est fabula ».

Un commentaire

  1. J’aime la franchise du chancelier de l’Autriche, Sebastian Kurz, qui a dit réc,amment, à propos de l’Islam et des crimes horribles commis par des pays islamiques, que l´ »on ne veux pas de cette idéologie malade en Europe ». Je le trouve très courageux et très moderne.

    Amicalement de la Suède! – Maja