Une grande infamie se prépare.

C’est le projet de célébration, le 22 septembre prochain, à New York, pendant l’Assemblée générale des Nations unies, du 20e anniversaire de la conférence de Durban.

Car qu’est-ce que la conférence de Durban ?

Sur le papier, c’était le nom, il y a vingt ans, dans cette ville d’Afrique du Sud, d’une conférence de l’Unesco où l’on était censé réengager la lutte contre « le racisme, la xénophobie et l’intolérance ».

En réalité, ce fut le lieu d’un triple et impardonnable forfait.

1. La question palestinienne venant très vite au cœur des débats, la stigmatisation d’Israël devint le leitmotiv de ces journées. Yasser Arafat dénonça un « apartheid ». Fidel Castro s’alarma d’un « génocide ». On réanima la funeste résolution de 1974, pourtant abrogée en 1991, assimilant le sionisme à un « racisme ». On fit de la lutte contre l’« occupation » la mère de toutes les batailles politiques présentes et à venir. Et certaines des 6 000 ONG invitées à l’événement, et constituées en un second Forum, glissèrent tout naturellement de cet antisionisme enragé au bon vieil antisémitisme… On insulta les délégués juifs. On menaça les porteurs de kippa en hurlant qu’ils « n’appartenaient pas à la race humaine ». On vit fleurir des stands où se vendaient, en diverses langues, Les Protocoles des sages de Sion. Et on toléra, menées par des groupes islamistes radicaux auxquels ne dédaignèrent pas de se mêler de gentils altermondialistes, des manifestations où l’on défilait, aux cris de « One Jew, One Bullet », derrière des pancartes disant qu’Hitler aurait dû « finir le travail »… Néoantisémitisme acte 1. Jamais l’on n’avait vu, à une telle échelle, et avec une puissance si noire, son entier déploiement.

2. C’est au nom de l’antiracisme que ces ignominies furent proférées. Et c’est bien dans l’ombre protectrice de Nelson Mandela, de Martin Luther King et des autres figures des luttes anticoloniales que prétendirent s’abriter les auteurs de ce passage à l’acte. Alors, bien entendu, les grands morts n’ont jamais à répondre des trafics des petits vivants. Et je ne suis pas de ceux qui croient la noble cause de la lutte contre le racisme nécessairement discréditée par ces terribles dévoiements. Mais qui niera qu’elle ait été gravement profanée ? Salie même ? Corrompue ? Comment ne pas songer qu’on voulait ainsi rompre le lien vivant, presque sacré et constitutif, en tout cas, de l’antiracisme contemporain entre activistes juifs et non juifs du combat, quarante ans plus tôt, pour les droits civiques en Amérique ? Et comment ne pas conclure que c’est là, sur les ruines de cette solidarité des ébranlés, sur ce champ de bataille idéologique où l’on jetait les uns contre les autres les descendants d’esclaves et ceux des victimes de la Shoah, dans cette confusion nouvelle où s’effaçait le beau théorème voulant que la mémoire des camps fonctionne, ainsi que le suggéra Walter Benjamin, comme un « avertisseur d’incendie » annonçant, avant qu’il ne soit trop tard, le possible retour du pire – comment ne pas conclure, oui, que commençaient de s’éteindre, ici, les lumières de l’antiracisme universaliste ? Huit ans plus tard, c’était  Durban II présidée par le colonel Kadhafi. Trois ans plus tard, en 2011, Durban III où le président iranien Ahmadinejad éructa ses cochonneries négationnistes. Au bout du chemin, surgit le grand tournant vers l’antiracisme à tendance racialiste, indigéniste, woke : son baptême fut à Durban…

3. Et puis Durban fut la scène d’une dernière saloperie, et non la moindre. Le hasard des calendriers fit que je sortais à l’époque, pour le journal Le Monde, d’une série de reportages sur les guerres oubliées. J’avais rencontré des femmes et des hommes pour qui les luttes contre le racisme, les discriminations, l’esclavage, n’étaient pas de vains mots. Je les avais vus prendre le chemin, pleins d’espoir, de cette conférence dont ils avaient entendu dire qu’elle serait une tribune offerte aux survivants de leurs martyres ignorés. Et les voilà qui, arrivés à destination, se voyaient signifier qu’il n’y a, en ce monde, qu’un peuple d’esclaves, les Palestiniens ; qu’un peuple de discriminés, dignes de mobiliser la communauté internationale, les Palestiniens ; et que les Tutsis victimes du racisme hutu, les caravanes de femmes et enfants sud-soudanais emmenés comme du bétail pour être vendus à des familles arabes du Nord, les Noubas transformés en esclaves sexuels et marqués au fer, les millions de morts de la guerre angolaise, les Darfouris génocidés, les civils du Sri Lanka pris entre les deux feux des fondamentalismes hindou et bouddhiste, les Ouïgours, Indiens Dalit et autres peuples intouchables, tous ceux-là étaient, sinon interdits de parole, du moins effacés du grand récit en train de se mettre en place. Couchés, les damnés de la terre, fut le message ! Vous pouvez aller vous rhabiller, les miséreux, et retourner à votre nuit ! Que nul n’entre ici, dans cette cohorte de victimes où l’on ne voulait voir qu’une tête, s’il ne pouvait exciper d’un rôle dans cette guerre contre le maître américain et son valet israélien qui était la seule qui vaille ! Pour ces naufragés, quel désespoir…

D’une pierre on faisait trois coups.

C’était un triple crime contre les juifs, contre l’Esprit et contre des peuples entiers dont la douleur comptait pour rien et retournait au néant.

Commémorer cela est, à tous ces titres, une infamie.

Et la seule attitude digne sera, le 22 septembre prochain, quand s’ouvrira la nouvelle conférence de la honte, le boycott prôné par le Canada, la Grande-Bretagne, la Tchéquie, les Pays-Bas, quelques autres.

C’est désormais celle de la France.

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