L’angoisse entourait cette visite. Viendrait-il habité par la sincérité et revêtu d’humilité ? Aurait-il la force intérieure honorable pour reconnaître que la politique française menée au Rwanda ne fut pas accidentelle mais le produit de choix politiques désastreux ? Quelle serait son attitude face à la souffrance des victimes ? Face à la souffrance des rescapés ?

Le présage semblait favorable. Des pas avaient déjà été posés dans le bon sens : les archives françaises sur le Rwanda ouvertes, le Rapport Duclert établissant « les responsabilités lourdes, accablantes » publié. Quelque chose de nouveau semblait en cours de tissage. Le passé ne serait certes pas réparé – on ne répare pas l’irréparable – mais on espérait : il ferait le voyage, énoncerait les faits, s’en tiendrait aux faits, les faits tels qu’ils se sont passés. Reconnaître ainsi la vérité ne serait pas un acte d’auto-infériorisation mais au contraire un geste de rehaussement de soi, de sortie de la France d’une négation entêtée. La force de reconnaître ses propres fautes.

Macron a atterri à Kigali. Il a été bien accueilli. L’accueil avec le cœur large, fait partie du savoir-vivre rwandais. Macron a vu Gisozi. Vu le Mémorial du génocide des Tutsis. Celui qui a vu Gisozi a vu de ses yeux les restes de l’inexpiable. Ses yeux seront hantés pour toujours par la solitude des victimes laissées seules face à leurs tueurs ; laissées seules cent jours durant. Cent jours au-delà de l’enfer. Le crime est connu. Il fut absolu.

A la sortie du Mémorial du génocide des Tutsis, qu’a dit le Président de la République française ? Qu’il n’y avait pour la France aucune gloire nationale à s’enferrer dans une relation de déni, que la grâce n’est pas de nier l’évidence mais de s’engager sur le chemin de la reconnaissance, que « c’est l’honneur de la France de regarder l’histoire en face ». La responsabilité verbalisée officiellement. Reconnue. Le courage de la reconnaissance.

Et le pardon ? Signifié dans un discours non-ordinaire : « Reconnaître ce passé, notre responsabilité est un geste sans contrepartie. Exigence envers nous-mêmes et pour nous-mêmes. Dette envers les victimes après tant de silences passés. Don envers les vivants dont nous pouvons, s’ils l’acceptent, encore apaiser la douleur. Ce parcours de reconnaissance, à travers nos dettes, nos dons, nous offre l’espoir de sortir de cette nuit et de cheminer à nouveau ensemble. Sur ce chemin, seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner. »

Reconnaissance, don et pardon. « Peut-être ». Car le pardon ne saurait être imposé aux victimes. Le pardon. Demande de pardon notifiée dans le sentiment d’empathie exprimé à l’endroit des victimes avec des mots du cœur et dans la reconnaissance des « responsabilités accablantes ». Le pardon. Questions du mal, de la responsabilité, de la reconnaissance dans le rapport à soi et aux autres. 

Le chemin continue. Entrouvrir la voie vers un autre avenir, vers ce qui n’est pas encore et qui ne doit pas être comme ce qui s’est passé. Promesse d’un futur placé sous un autre esprit. Affaire de bon sens et politique du cœur. L’ouverture vers autrui.