Mikhaïl Khodorkovski, l’ex-patron de la compagnie pétrolière Ioukos, était, avant même ses 40 ans, à la tête de la première fortune russe. Son ascension dans la Russie post-communiste de Boris Eltsine lui donne alors des ailes. Contrariant les « recommandations » gouvernementales, il se mêle de la lutte anti-corruption et soutient ouvertement l’opposition libérale et démocratique de son pays. Le 25 octobre 2003, Vladimir Poutine le fait arrêter. Condamné à 14 ans d’emprisonnement, Khodorkovski passe dix ans dans des colonies pénitentiaires de Sibérie puis de Carélie dans des conditions exécrables. En décembre 2013, à la veille des Jeux olympiques de Sotchi et face à la mobilisation internationale, Poutine gracie celui qui était devenu le plus célèbre prisonnier de Russie. Désormais exilé à Londres, Khodorkovski est aujourd’hui à la tête d’un mouvement d’opposition au régime de Poutine. Il nous parle ici des conditions de son incarcération, de la propagande russe, de son opposition à Poutine et de la gestion de la crise sanitaire due au Coronavirus en Russie.

Vous étiez l’homme le plus riche de Russie. Mais vous avez tout risqué en vous opposant au gouvernement. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager ?

Quand on parle d’un entrepreneur à succès, les Occidentaux en général, et les Français en particulier, s’imaginent un diplômé d’une université prestigieuse, qui aurait progressivement gravi les échelons et fini par prendre la direction de la société qui l’employait. Ce n’est pas tout à fait mon cas. Et il faut comprendre que chez nous, quand on parle des entrepreneurs de ma génération, on ne doit pas s’imaginer des gens en costume-cravate, mais plutôt des personnes qui ont l’habitude de se battre.

Certes, j’ai fait mes études dans une université de bon niveau, et j’ai terminé la Faculté de chimie avec des résultats honorables. Mais ensuite, en 1991, j’étais sur les barricades, aux côtés de Boris Eltsine. Il était alors en conflit avec ceux qui se faisaient appeler « Comité d’État pour l’état d’urgence » et qui essayaient de prendre le pouvoir afin de faire revenir la Russie au temps de l’URSS.

Deux ans plus tard, j’étais de nouveau sur les barricades, mais cette fois devant ce que, en Russie, on appelle la « Maison Blanche » [le Parlement de Russie]. Un groupe de communistes radicaux s’était enfermé dans le bâtiment, ils voulaient eux aussi faire revenir le pays en arrière. Plus tard, nous avons encore dû faire face à la question de la Tchétchénie et à beaucoup d’autres événements.

Pourquoi ai-je fait cela ? Je vais essayer de répondre à votre question. J’ai vu qu’on essayait, une fois de plus, de faire revenir la Russie vers le passé. Je ne pouvais pas ne pas réagir. Pourquoi m’en serais-je abstenu ? Pour l’argent ? L’argent ne m’intéresse pas en tant que tel. L’argent est un moyen de résoudre les problèmes qui se présentent, de parvenir à ses objectifs. Or si je n’avais pas réagi, je n’aurais pas pu poursuivre mes objectifs, et dans ce cas, tout l’argent du monde m’aurait été inutile. Alors je me suis de nouveau lancé dans la bagarre – sauf que cette fois-ci, elle s’est mal terminée pour moi. Mais bon, j’ai perdu un combat, je n’ai pas encore perdu la guerre…

Qu’est-ce qui, selon vous, a motivé la colère de Vladimir Poutine envers vous ? Vos nombreuses associations – certaines tenues comme critiques de l’autoritarisme du gouvernement russe – y sont-elles pour quelque chose ?

Le moment critique a sans doute été une discussion sur la corruption avec Vladimir Poutine. Il faut savoir qu’en Russie, la corruption n’est pas seulement une somme d’argent que certaines personnes se mettent dans la poche afin de s’acheter des objets de luxe. C’est bien plus complexe. Sous Poutine, la corruption est devenue le squelette du régime, ce qui assure la subsistance de tout le corps ; et si vous voulez gravir les échelons du pouvoir, tôt ou tard, vous êtes contraint d’accepter des pots-de-vin. Vous ne pouvez pas vous y soustraire. Si vous refusez l’argent qu’on vous propose et que vous voulez garder les mains propres, vous paraîtrez suspect à vos pairs. Si vous prenez l’argent et que vous refusez de faire ce qu’on vous dit de faire, vous irez en prison – non pas pour avoir refusé un ordre illégal, mais pour avoir pris l’argent. On peut toujours vous faire un procès et vous mettre en prison. Taper sur la corruption revient à s’attaquer à l’outil essentiel dont se sert le pouvoir de Poutine pour garder le contrôle. Et c’est ce qui m’a été fatal.

Mes autres activités – que vous avez évoquées – n’étaient que des raisons secondaires, qui sont venues s’ajouter à la raison principale. Il y a d’ailleurs eu une histoire assez drôle : peu après que, au terme de mon procès, j’ai fini en prison, mes amis de la « Fédération de l’éducation à Internet », un de mes projets philanthropiques préférés, ont été reçus par Poutine qui leur a décerné un « diplôme présidentiel » pour ce projet à succès – alors que moi, j’étais déjà en prison !

Vous avez passé dix ans dans les geôles russes, avec des caméras qui vous filmaient en permanence. On vous a même interdit de donner des cours aux autres prisonniers.

En effet, j’étais soumis à un règlement assez strict. Les six premières années, j’étais seul dans une cellule que je ne pouvais quitter qu’une heure par jour, pour une promenade. Les quatre dernières années étaient sous le régime du « camp », qui est en fait beaucoup plus permissif. Comment ai-je fait pour supporter cela ? Je travaillais beaucoup, j’écrivais des articles. D’ailleurs, quand je publiais un article, j’étais systématiquement placé en « cellule disciplinaire » pour quelques jours – une petite tradition… Ça a été un séjour très désagréable, mais on s’habitue à tout.

La chose la plus importante pour survivre, psychologiquement et physiquement, c’est de savoir qu’on a du soutien à l’extérieur. Parce que si les détenus sont oubliés par leur entourage, l’administration de la prison peut en faire ce qu’elle veut, elle peut se permettre tous les abus. Heureusement, ce n’était pas mon cas. Pendant ces dix années, j’ai reçu beaucoup de soutien de la part de ma famille, de la part de mes amis, de mes collègues et de nombreuses personnes que je ne connaissais pas et qui se trouvaient souvent à l’étranger, dans différents pays. Je recevais des lettres, mes avocats m’apportaient des journaux lors de nos rendez-vous, et à certaines occasions je pouvais même regarder la télévision. Tout cela me donnait des forces, me rappelait mon utilité. Je voyais que je n’avais pas été oublié. Il fallait donc tenir bon.

Vous avez été libéré en 2013… Comment s’est passé votre procès ?

Lors de l’audience de mon procès, j’avais le procureur face à moi. Une phrase sur deux de son réquisitoire portait sur le fait que j’étais soi-disant un « escroc ». Au début, je ne pouvais pas écouter cela, c’était très difficile psychologiquement. Quand vous vous considérez comme quelqu’un d’honnête et qu’on vous dit que vous êtes un « criminel » – alors que c’est un mensonge –, c’est très pesant. On vous le répète pendant un mois, un an, deux ans… – deux ans, cela a été la durée de mon premier procès. On devient insensible. Comme je le disais : on s’habitue à tout.

Ensuite, ça a été la prison. Puis mon deuxième procès et, là encore, un an de plus à écouter des mensonges et des insultes. Qu’est-ce qui peut encore avoir un effet psychologique sur moi ? Pas grand-chose. Ils peuvent en dire, des choses… Maintenant j’en ris. C’est une des raisons pour lesquelles le pouvoir n’aime pas avoir recours à la prison ; en vérité, il n’envoie en prison que peu de gens. Les gens ordinaires ont peur de la prison ; mais ceux qui y ont été peuvent être répartis en deux catégories : ceux qui se disent « plus jamais ça » et ceux qui se disent que, finalement, on peut y vivre aussi. Alors comment me faire peur, maintenant ? Me menacer de meurtre ? C’est peut-être la seule chose qui marcherait.

Pensez-vous que vos origines juives ont joué un rôle dans l’orchestration de votre délégitimation ?

Si vous lisez ce qui s’écrit sur les réseaux sociaux, vous pouvez avoir l’impression que l’antisémitisme est un sérieux problème en Russie. Mais personnellement, je n’ai jamais eu à y faire face. Ni du temps de l’URSS, ni quand je me suis lancé dans les affaires, ni encore après, quand j’étais en prison. On me pose souvent cette question, mais ma réponse est non. Jamais je n’ai eu de problème avec cela. Je peux admettre que les gens en tiennent compte, par exemple, lors d’élections ; mais je n’ai jamais eu l’intention de me présenter à des élections, alors cela m’est égal. Il y a parfois des situations assez drôles : par exemple, en Ukraine, depuis plusieurs années, la propagande russe soutient que le pays est devenu un État fasciste, et soudain, la population élit un Premier ministre et un président juifs ! Je trouve cela très ironique.

Vous vivez aujourd’hui en Angleterre. Or, sur le sol Britannique, des opposants au gouvernement russe ont été assassinés. Vous sentez-vous en danger ?

Il y a quelque temps, quand Poutine a été accusé d’avoir commandité les assassinats de certains de ses opposants, il a donné la réponse suivante – il peut parfois être assez franc – : « Pourquoi les tuer ? Si vous en tuez un, cela fera plus de bruit qu’autre chose, c’est inutile. » La seule défense dans une situation de conflit avec l’État, c’est de faire en sorte que, en cas de mort, le bruit que cela causerait l’emporte sur les retombées positives que cela aurait pour l’État.

Comment expliquez-vous que Poutine ait l’aplomb de s’immiscer dans les questions internes de pays étrangers, notamment en finançant des médias et en s’ingérant dans des élections, sans craindre de représailles ?

Il faut diviser cette question en deux. La première serait : « Pourquoi le fait-il ? »

Pour le comprendre, il faut connaître les traditions des bandits en matière de communication. Leurs méthodes diffèrent de celles des gens normaux. Ils commencent par faire pression, mais si leur interlocuteur parvient à leur tenir tête, ils se mettent à discuter normalement. Si, en revanche, il recule, ils lui proposent de « résoudre son problème » : il est alors déjà sous contrôle. Poutine essaie d’agir de la sorte dans les relations internationales. Il crée un problème, puis se propose de le résoudre – ce qui n’est évidemment pas gratuit.

Et, deuxièmement, pourquoi n’a-t-il pas peur ? S’il avait en face de lui des personnalités comme Reagan, Thatcher ou, peut-être, De Gaulle, il aurait certainement peur, mais là, personne ne lui fait peur.

Votre association « Open Russia » semble être très inquiète de l’ampleur de la propagande russe. Comment pensez-vous que cette propagande pourrait être déjouée ? Nous sommes très concernés par cela en France, avec RT (Russia Today), par exemple.

La question est très complexe. Il y a quelque temps, on a posé la question suivante à Mark Zuckerberg : « Comment comptez-vous lutter contre les fake news sur votre réseau, Facebook ? » Il a répondu : « Il faut diffuser la vérité et les gens useront de leur discernement pour trier le vrai du faux. » Malheureusement, cette approche n’a pas fonctionné. Nombreux sont ceux – surtout ceux qui n’ont pas été éduqués à l’usage du raisonnement critique – qui veulent une boussole qui leur permette d’interpréter les informations. Si l’on dit, par exemple, que dans un pays, les immeubles sont de bonne facture, et que dans l’autre ils sont mal construits, que dans un pays, les routes sont bonnes, et que dans l’autre elles sont mauvaises, et que l’on demande : « Quelles conclusions en tirez-vous ? », la personne à qui la question est posée ne saura pas y répondre. La propagande, celle de Poutine notamment, donne des réponses faciles : « S’ils ont des immeubles et des routes en bon état, c’est parce qu’ils nous ont tout volé. Chez nous, les choses vont mal parce que nous ne faisons que travailler honnêtement. » Bien que cela n’ait pas l’air logique, la personne aura eu sa réponse et pourra l’appliquer à d’autres questions : « Maintenant je comprends, se dira-t-elle, pourquoi les aliments sont de bonne qualité chez eux et, depuis un certain temps, de mauvaise qualité chez nous : c’est probablement parce qu’ils nous ont également volé les bons aliments ! »

C’est ainsi que l’on « crée » un raisonnement, c’est ainsi que fonctionne la propagande, et particulièrement celle de la Russie aujourd’hui. Et c’est surtout ainsi que les gens veulent recevoir les informations : d’abord l’explication, et ensuite des faits choisis, conformes à l’explication donnée. Comment déjouer la propagande ? Je ne suis pas expert en communication, mais je réunis une équipe de personnes qui essaient de lutter contre cela. Et je parle en mon nom propre, je ne suis pas un journaliste qui doit garder une position neutre. Je dis à ceux auxquels je m’adresse : « Voilà mon opinion en tant qu’individu : les aliments sont de mauvaise qualité parce que Poutine a interdit l’importation d’aliments de bonne qualité ; car cela permet à ceux qui fabriquent des aliments de mauvaise qualité de vendre plus. C’est mon avis, et voici les faits. » Les gens peuvent choisir quelle opinion croire. Je pense qu’il y a trois cent ou quatre cent mille personnes qui me croient. Ce n’est pas énorme, mais ce n’est pas peu.

Vladimir Poutine a affirmé à de multiples reprises que l’épidémie était « sous contrôle total » en Russie. Mais depuis quelques semaines, d’importants signes de saturation, notamment au sein des hôpitaux russes, sont rapportés, ce qui soulève de sérieux doutes sur la transparence du gouvernement. Les chiffres officiels sont-ils fiables ?

Les statistiques concernant le nombre de décès sont vraisemblablement correctes, car nos journalistes, en Russie, n’auraient pas accepté de se compromettre sur cette question. En revanche, les autorités ont sans doute fait preuve de créativité quant au nombre de malades !

Comment analysez-vous la gestion de la crise sanitaire sur le territoire russe ?

À Moscou, un ensemble de mesures de quarantaine ont bien été prises, toutefois « adaptées » aux besoins d’un État corrompu. Mais cette épidémie a surtout mis en évidence un état de la médecine absolument déplorable, en particulier en dehors de la capitale. Et en ce qui concerne la légalité des mesures de police et le soutien économique des citoyens : c’est une catastrophe.

Un commentaire

  1. Ironie de l’Histoire qu’un handicap logique vienne fausser chaque nouveau départ pour l’apprenti Rédempteur.
    Car ce n’est pas la première fois que nous sommes retenus, j’allais dire détenus dans la chienlit d’un internationalisme dont la grasse matinée reprogramme chaque jour la répétition d’une grève de la faim de vie restée, de mémoire d’homme, plastic-ono-bandante.
    Vous vaincrez Hitler, à condition que vous consentiez à vous rendre complices, et donc en quelque sorte coupables, des crimes de masse de l’Aliéné soviétique.
    Vous détruirez la 2e division SS Daech Reich, et ce faisant, vous consoliderez Bachar aloisbrunner-Assad, nanovassal étiré à la verticale par l’oxymore d’une théocratie républicaine.
    Vous obtiendrez la reconnaissance officielle de Jérusalem comme capitale d’Israël, mais il faudra pour cela que les évangélistes américains mêlent au bon grain de la réparation, l’ivraie d’une fameuse prière visant à convertir les assassins du Christ, prière dotée d’un permis de tuer les plus récalcitrants d’entre vous, que l’angélisme baba cool certifiait avoir annulé grâce à la désintégration des intégristes, — cherchez l’erreur.
    Longtemps j’ai espéré qu’un bon coup du sort offrirait aux Israéliens, une dernière fois avant que la Grande Porte ne claque, une occasion de croire qu’il n’était pas vain de proposer aux populations otages de la Reconquista islamica une désimplantation éclair, tout aussi stratégique qu’avait pu l’être la réimplantation des Judéens en Judée, puisqu’elle adviendrait en échange d’une relation d’État à État instaurée sur la base bouleversante — au sens géopolitique du terme — d’une reconnaissance mutuelle.
    Et puis, le diabolique Sharon soumit ses successeurs à l’impitoyable épreuve du réel : les résultats des tests furent détestables, — comme on pouvait s’y attendre, l’on ne s’y attendit pas.
    Ne nous étonnons pas que les mêmes SFIOïstes qui avaient voté les pleins pouvoirs à l’ange croulant de la Collaboration nationale-socialiste avant de guillotiner à tour de bras les révolutionnaires algériens, aient eu beaucoup à se faire pardonner au moment où les communistes furent en position de marchander l’Union de la gauche antigaullienne.
    Veillons plutôt à ne jamais nous marbrifier face à autant de mauvaise foi, quand ces pseudo-indigénistes justifieront la cession de l’Algérie, non pas au démantelé précédent, mais à un autre envahisseur, panarabisé pour faire genre je m’intègre parmi les sous-groupes civilisationnels solubles dans la communauté internationale, lequel allait renouer avec ses vieilles habitudes auprès des authentiques autochtones pas arabes pour un sou au moment même où la cruauté de sa horde de leaders terroristes pourrait se réexercer sur eux en toute indépendance.
    Les champions de l’amnésie volontaire refusent aux uns ce qu’ils accordent aux autres, et par les autres j’entends toujours les mêmes, qui parviennent presque à déprogrammer une exposition sur l’histoire plurimillénaire du peuple juif au siège parisien de l’UNESCO, presque à convaincre une partie des Nations de l’absence de tout lien historique entre Jérusalem et les Juifs, qui considèrent comme absolument justifiée la guerre d’indépendance que mènent les Arabes sur des millions d’hectares que leurs envahisseurs d’ancêtres islamisèrent il y a de cela treize siècles, mais abominablement injustifiable que Shomrôn et Iehouda soient restitués aux Iehoudîm.
    Chers amis, chers ennemis, croyez bien à la dureté de ma croyance dans notre volonté de réussir là où le pragmatisme et l’idéalisme se sont salement cassé la gueule ; de fait, ma promesse tient toujours.
    À l’instant même où vous aurez obtenu des terres d’islam qu’elles cessent de fouler les droits de l’homme aux pieds sur chaque lambeau de conscience qu’elles parvinrent à assujettir sous la menace constante de leurs miroirs ardents, je vous promets que je songerai à m’interroger sur ce que je pense de l’annexion d’un territoire sur lequel Israël ne laissera jamais quiconque aider les Iraniens ou leur rival sunnite à déployer la Vincible Armada.