On sait, depuis Hegel, qu’il n’y a pas de héros pour son valet de chambre. Mais la publication, sur le site d’un «artiste» russe, d’une vidéo intime de Benjamin Griveaux, et la décision de retrait de sa candidature qui a suivi, est une nouvelle étape dans la plongée aux égouts de la politique française. Bien sûr, l’affaire Markovic et la rumeur sordide sur les parties fines de Claude Pompidou, l’affaire Allègre où Dominique Baudis faillit perdre son honneur et peut-être sa vie, le suicide de Pierre Bérégovoy, les exemples de chasse à courre contre les élus sont nombreux, et cela fait longtemps que notre actualité électorale nationale n’est pas un dîner de gala. La calomnie, l’immondice, la probité d’un homme «jeté aux chiens» comme le formulait Mitterrand, rien n’est nouveau sous le soleil glauque du pouvoir, des médias, et des ragots. Mais l’affaire Griveaux revêt une différence de nature, et pas de degré, car elle constitue une triple rupture.
Rupture légale, d’abord, car la publication et la divulgation de conversations privées dans le but de nuire n’est pas exactement dans les clous du Code pénal. Cette atteinte grave à la vie privée pourrait aisément se plaider, au civil comme au pénal, et il faut espérer que Piotr Pavlensky, l’artiste russe, déjà par ailleurs en difficulté avec la justice française, en réponde. Publier des photos volées est un scandale ; mais aller farfouiller dans les fonds des mémoires des téléphones est encore pire.
Rupture politique, ensuite, car si les rumeurs existent depuis Tibère, et la diffamation depuis Suétone, jamais l’usage de ces machines de destruction n’avaient été accompagnées d’un tel discours. Piotr Pavlensky revendique cette publication ; il s’en enorgueillit. Il aurait fait son œuvre de vérité, lui, l’Albert Londres qui porte non pas la plume dans la plaie, mais l’œil de sa caméra sur les serrures de chambres privées. C’est la première fois qu’un paparazzi se prend pour un patriote, et un républicain. Par ailleurs, c’est un dévoiement, puritain, et neuf en France, l’importation d’un discours qui voudrait qu’on pourrait déduire du comportement privé d’un responsable politique une présomption de schéma psychologique, et donc, une prédiction de ses agissements d’élu, et ce lien entre les deux servirait ensuite à établir l’intérêt public du dévoilement ces informations. En clair, dans la bouche de Pavlensky, cela donne «les électeurs ont le droit de savoir que cet homme ment à sa femme», version à peine sophistiquée du «s’il trompe son épouse, il trompera ses électeurs». Eh bien non : les deux corps du Roi, depuis Kantorowicz, sont disjoints. La vie privée de nos responsables publics leur appartient, s’ils s’en tiennent à ce que la loi permet. Franchir ce pas, c’est s’enfoncer dans la chasse à l’homme et à l’immondice, c’est placer tous nos élus sous le microscope de la foule, et l’oculaire du panoptique de Bentham. Pavlensky a pour avocat Juan Branco, qui a lui aussi, sur Twitter, défendu cet acte, et ainsi, par cette connexion idéologique, ressurgit une sorte d’idéologie de la pureté, une confusion entre grandeur et moralité, une résurgence de la notion de «vertu» au sens de Saint-Just, qui voulait déceler dans les vies intimes la preuve des déviances politiques. Triple nouveauté donc : dans le choix de cette arme de destruction politique, dans le discours la revendiquant fièrement, dans l’idéologie la soutenant.
Rupture démocratique enfin : ce à quoi l’on assiste, c’est à une perte de la civilité, de la dignité, de la sérénité de la vie politique. C’est un scandale à double visage. D’une part les électeurs parisiens sont privés d’une discussion démocratique établie par les faits et fondée sur la raison, à laquelle tous pourraient concourir ; d’autre part, un homme se voit, de facto, interdit de participer à une élection pour laquelle il remplit toutes les obligations légales et a suscité et conquis toute les ressources politiques, sans autre raison que des actes parfaitement légaux et absolument insusceptibles de nourrir le débat public.
Tout cela est infiniment triste. Pour la vie politique française. Pour la ville de Paris et ses électeurs, qui méritent un débat d’une meilleure tenue. Pour Benjamin Griveaux, enfin, dont les paroles dignes et la décision douloureuse valent toutes les réponses à la misère, l’injure, la boue dont il est victime.
Comme si les français n’avaient pas « donné » dans la délation, le sordide, la honte, certes dans des moments et circonstances d’une autre nature, voilà de nouveau ces formules « américanisation » tranquillement venir s’immiscer dans les discours, tout tranquillement. Elle a bon dos l’Amérique ! Et la France, la France toute seule a t-elle vraiment besoin de cette tutelle pour être elle aussi et depuis longtemps, parfois, dans la barbarie, l’indigne, l’égout ?
Un menteur dans la vie privée pourrait être intègre dans son comportement politique ? S’il triche aux cartes, s’il trahit ses amis, s’il ment à sa femme et à ses enfants, on devrait lui faire confiance quand même pour tout le reste ? …Mais réveillez-vous ! Un homme divisé en deux, avec deux morales distincte, ça n’existe pas !
« L’américanisation des élites politiques » est effectivement en marche :MM.Trump & Griveaux paraissent si oisifs et si peu préoccupés du bien commun qu’ils consacrent une part non négligeable de leur temps à des activités fort peu reluisantes.C’est à croire qu’ils n’ont rien à faire…Il est vrai que le travail a longtemps été réservé aux masses serviles & prolétarisées.Cela semble toujours être le cas quand on constate que nos « élites dirigeantes » sont strictement incapables de prendre les mesures adéquates pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés :inégalités sociales,dérèglement climatique,délitement du lien social,extrémisme religieux,pourrissement de l’esprit public…etc. Mais peut-on encore parler d’ « élites » ? Ils représentent eux-mêmes avant tout. « Roulons-nous dans la fange tant que le loup n’y est pas…. »pourrait-on dire.En France comme aux Etats-Unis les élites dirigeantes touchent le fond où la misère le dispute au sordide.Les populismes trumpien & macronien risquent fort de s’achever en farce tragique.Vivement que cela change !
Piotr Pavlenski se trompe.
La présidence d’Emmanuel Macron ne glisse pas vers le poutinisme.
Quand bien même se corromprait-elle, cela n’autoriserait aucun défenseur de l’État de droit à instaurer sa propre brigade des mœurs, pour ensuite s’autohabiliter à prononcer des sentences de mort sociale contre toute tête qui ne lui reviendrait pas.
Benjamin Griveaux serait, par ailleurs, tout à fait fondé à faire l’éloge de la fidélité après avoir commis un adultère, et je dirais même plus, un éloge vibrant, que nul ne saurait s’arroger le droit d’enduire de tartufferie, sachant qu’il ferait écho aux blessures profondes que ce dernier se reprocherait d’avoir infligées à son épouse.
Si le pays du capitaine Dreyfus est certes traversé par des courants idéologiques puissants qu’à quelques trous noirs près, nous parvenons à contenir dans le cadre plus sanguin que sanglant d’une guerre civile intellectuelle, sa Quatrième ou Cinquième République n’a en tout cas pas été présidée ni gouvernée par un ancien dirigeant de la Sicherheitspolizei.
Plenel ne fut pas mortellement empoisonné avant que l’enquête que menait son site d’information sur François de Rugy ne risquât de faire exploser en vol l’ex-président de l’Assemblée nationale.
Mélenchon ne se putréfie pas six pieds sous terre, le corps criblé de quatre balles de Sig Sauer alors que lui et sa compagne étaient allés narguer bras dessus, bras dessous rue du Faubourg-Saint-Honoré, le suprême responsable de sa dépression nerveuse.
Les bavures policières sont comme toutes les bavures : la confirmation d’un code de déontologie.
La Police nationale ne se conduisit pas envers les Gilets jaunes comme la garde prétorienne d’un régime autoritaire.
Elle fut d’ailleurs mise en difficulté par une jacquerie mutante, radioguidée depuis Moscou, dont un certain Alexandre Douguine affirma que celle-ci se battait contre « un système hégémonique mondial incarné par des élites qui méprisent au plus haut point le peuple », le même Douguine qui, quelques mois plus tôt, se vantait que « Poutine (eût) suivi pratiquement toutes (ses) propositions politiques ».
Si Pavlenski veut nous aider à renverser Poutine, il est le bienvenu, mais alors, qu’il commence, quand il appuiera de nouveau sur la détente, par éviter de viser à côté.
Si vous voulez mon avis, je pense que le candidat LaREM à la mairie de Paris n’aurait jamais dû se retirer ; en effet, un adultère met en scène au moins trois protagonistes, parfois quatre, voire quelques agents perturbateurs satellites dont les spectateurs extérieurs de la rupture éventuelle qu’il a causé ignorent à peu près tout des antécédents ; ensuite, si cet ayant droit au respect de la vie privée ne nie pas avoir commis un acte ne regardant que lui, sa délatrice et ceux-là mêmes et ceux-là mêmes qu’ils impactèrent, le crime que celle-ci, en revanche, prémédita avec l’aide d’un atrabilaire slave pas aussi alcestueux qu’il souhaiterait l’être, sauf à ce qu’Ivan Karamazov se fût scarifié avec le crucifix en or du cardinal Grand Inquisiteur et tatoué mother-of-jesus-fucker sur l’avant-bras, ce crime, contrairement à l’acte d’adultère qu’il prétend châtier, s’apparente à un attentat à la pudeur qui, en l’occurrence, ne fait pas qu’effleurer l’infraction de viol par effraction, et devrait, en l’espèce, nous obliger à traiter Benjamin Griveaux comme toute autre victime d’agression sexuelle.