Au pays de Goethe, les Pactes Faustiens finissent mal. Et au pays de Nietzsche, les crépuscules des idoles sont toujours tristes… En Allemagne, depuis une semaine, la vie politique s’accélère. Mais reprenons les choses dans l’ordre.
Pacte faustien ? C’est celui qu’on semblé faire, la semaine dernière, les élus libéraux, conservateurs et néo-nazis. Au troisième tour des élections en Thuringe, les trois ont comploté pour faire élire un Président régional libéral (même si les conservateurs démentent formellement, comme les libéraux, ils ont tout de même acquiescé à la manoeuvre). La nouvelle a provoqué un séisme en Allemagne. L’indignation, légitime, a été telle, que l’intéressé est resté en poste seulement 73 heures, avant de démissionner. L’évènement est historique car, pour la première fois depuis la guerre, des néo-nazis, le parti AfD, ont participé à l’élection d’un candidat et ont, d’une certaine manière, accédé au pouvoir. C’est un gage de respectabilité inouï. C’est une très mauvaise nouvelle pour tous les démocrates d’Europe – mais n’oublions pas qu’en Espagne, le parti d’extrême droite Vox a joué le même jeu, avec davantage de succès. Mais l’évènement a produit une déflagration double en Allemagne. D’abord, l’AfD est sur-puissant dans l’Est de l’Allemagne. Alors qu’on célèbre les trente ans de la chute du Mur en novembre dernier, le fossé entre Ouest et Est est béant. Et à l’Est, où le succès économique est moins perceptible, où le ressentiment et la haine des migrants sont forts, l’AfD pèse 25% des voix. Difficile pour la droite classique, la CDU, de ne pas en tenir compte. Comme une part de la droite en France avec le Front National, certains sont tentés de s’en faire un marche pied. Et à l’Est, les conservateurs s’entendent comme larrons en foire avec l’AfD : ils partagent bien des thèmes, de la défense de l’industrie automobile contre les Verts, le souverainisme, et la terreur des migrants, six ans après le «Nous y arriverons» de Merkel, qui avait accueilli courageusement des centaines de milliers de réfugiés.
Crépuscule des idoles ensuite : Angela Merkel, qui a juré de partir d’ici un an, à la fin de son mandat, ne tient plus son parti. C’est parce qu’elle est un «lameduck» chancelière, comme le disent les Américains de leur Président en fin de mandat, que son autorité est à ce point faible que les barons locaux réactionnaires peuvent «toper» avec l’AfD, contre ses instructions. Terrible fin de règne pour la chancelière, certes ultra populaire, mais qui voit sa rigueur morale, le sens de son engagement politique, elle, la fille de l’Est, vaciller et menacer de s’effondrer. La démocratie-chrétienne centriste, teintée d’écologie, de progressisme social, de fibre européenne ardente, l’Est de retour en Allemagne et en Europe, tout cela est menacé par son anti-thèse, une droite dure, qui renie mal son héritage atroce. Merkel est à ce point affaiblie que son héritière à la tête de la CDU a dû démissionner. Il y a trois candidats potentiels : Merz, un vieil adversaire de Merkel qu’elle a machiavéliquement évincé de son poste de Président du groupe au Bundestag au début des années 2000, lieutenant de Wolfang Schaüble, et comme lui libéral un peu réactionnaire, qui est proche des ultras de la CDU, dont les petits soldats ont fait alliance, qu’ils l’avouent ou non, avec l’AfD en Thuringe. Ensuite, Armin Laschet, tenant d’une alliance entre la droite et les Verts (et les Verts ont à ce point remplacé la gauche en Allemagne qu’ils pourraient même diriger le prochain gouvernement). Ou bien, le ministre de la Santé M. Spahn, qui navigue entre ces deux lignes.
Il ne faut pas être trop dur avec Madame Merkel. Ses héritiers présomptifs ont tous été dévorés depuis quinze ans – même Ursula von der Leyen a dû se rabattre sur le poste de Présidente de la Commission européenne, et elle s’en est bien sortie. A vouloir copier Merkel, et son absence apparent de charisme, les conservateurs de la CDU ont fini par être simplement ennuyeux. Mais il faut regarder le tableau d’un angle plus élevé : comme partout en Europe, et comme d’ailleurs en France, la droite et la gauche disparaissent. La droite se fait dévorer par l’extrême droite, la gauche, absorbée par les écologistes. Pris en tenaille, les centristes (CDU et sociaux démocrates) se trouvent piégés. Il faut beaucoup de grandeur morale, comme Merkel, ou de talent politique fougueux comme Macron, pour survivre. En attendant, que l’Allemagne ne soit plus épargnée par les assauts de l’extrême droite devrait nous alerter. Après tout, le land de Thuringe abrite une ville qui s’appelle… Weimar.