C’est elle qui fût l’égérie et l’instigatrice du Bohême Chic, ou du Hippie Chic, pour contraster avec les crasseux chevelus fleuris de San Francisco. C’est aussi elle, qui fût à l’épicentre de la renaissance de Marrakech en 1966, ville alors boudée, éclipsée par Tanger la blanche, lieu symbole de la Beat Génération depuis les années cinquante et destination prisée des intellos, jet-setteurs et pédophiles raffinés.

Talitha Dina Pol. Une des plus belles filles des sixties. Élue «Girl of 1965» par le magazine Tatler. C’est elle qui a épousé Paul Getty II (1932-2003), le fils de l’homme le plus riche du monde, Jean Paul Getty (1892-1976), fondateur de la Standard Getty Oil Company. Un patron impitoyable que ses ouvriers appelaient «Oklahoma Crude» la brute de l’Oklahoma.

Talitha est née le 18 octobre 1940 à Java. Elle a eu une enfance bercée de fureur tropicale. Ses parents sont hollandais et habitent l’Indonésie, un comptoir néerlandais. Lorsque la seconde guerre mondiale éclate, ils sont arrêtés par l’armée Japonaise et internés dans un camp de prisonniers où Talitha va passer la première partie de son enfance. De retour à Londres, sa mère, éprouvée par la rudesse des prison nippones meurt, abandonnant une petite fille de huit ans.

En cette fin des années cinquante, la Lolita orpheline se métamorphose : elle devient Talitha à la beauté ensorcelante, la peau ambrée d’un corps souple, félin, de beaux seins voluptueux, et un visage aux pommettes hautes, exotiques, encadrant des lèvres boudeuses et des yeux clairs étirés à l’orientale, ourlés de khôl. Pétillante et infatigable, elle danse des nuits entières dans les clubs, sans même boire un verre d’eau. Les hommes la remarquent et la jeune femme de 17 ans est ambitieuse. Mannequin, actrice, elle est la bonne personne, au bon endroit, au bon moment : 1964, le Swingin London et ses idoles éblouissantes vont bientôt éblouir l’Europe et ses capitales assujetties : Paris, Rome, New-York, Marrakech, Gstaad, Los Angeles…

Talitha Pol entame une carrière de Bimbo télégénique (elle apparaît dans Barbarella, le film de Roger Vadim), mais ses obligations mondaines et amoureuses la détournent de toute discipline artistique. Elle a deux ennemis : le matin et le réveil avant midi. Pour le reste, elle s’amuse. Tant d’hommes la désirent, des Lords aux tempes blanches, des aristos romains, des fous musiciens et même le jeune danseur étoile Rudolph Noureev, pourtant enclin aux garçons. Lors d’une soirée de gala, au Royal Albert Hall, Noureev déclare qu’il veut la séduire et l’épouser. Talitha est d’accord. Le russkoff en collant opaque l’invite à un dîner chez le milliardaire Claus Von Bülow mais il se désiste à la dernière minute. La place à côté de Talitha est donc vacante et c’est John Eugène Paul Getty jr., 34 ans, qui s’assoit et tombe amoureux. L’or noir de la Standard Getty Oil Compagny et les faramineux bénéfices qu’il génère aide le timide John à parvenir à ses fins. 

En 1966, le couple convole et se marie le 10 décembre 1966 à Rome, puis donne une grande fête à Marrakech dans leur palais La Zahia – le palais des plaisirs — où viennent se retrouver les rock stars Mick Jagger, Paul McCartney, Marianne Faithfull, Brian Jones, Anita Pallenberg et le pourvoyeur N°1 en opium, héroïne, haschich, le dealer de bonne famille, Jean de Breteuil. Après une séance de photos mémorable sur la terrasse de son palais, avec le photographe de Vogue, Patrick Lichfield, Talitha la lionne de l’Atlas s’enivre dans le tourbillon facile des fêtes, des drogues dures et des coucheries de hasard.

A 29 ans, l’ex-Lolita ne supporte pas d’être en passe de devenir une Loli-Trente.

Son corps s’est flétri à force de lui infliger tant de «bad maintenance» comme lui souligne son psychologue, Marcellus Friedmann, en guise d’ordonnance. Et même si elle est lassée de la trilogie «sexe, drogue et rock n’roll», elle ne sait rien faire d’autre ? Coucher, danser, boire, se défoncer ? 

En juillet 1968, elle a mis au monde un garçon, Gabriel Gramophone Galaxy… mais la maternité l’embarrasse et il est difficile de tenir un bébé lorsque l’on a une seringue plantée dans le bras.

Talitha fuit à Londres, laissant son pauvre mari à ses addictions romaines. John Paul Eugène Getty est devenu accro à l’opium et à l’héroïne ; il végète à Rome et passe en coup de vent à son travail, le bureau paternel de la Oil Getty Company. Mais les espions sur place, le surveillent… Le pétrole c’est du sérieux, alors, ils dénoncent ce vaurien de Paul au grand-père qui lui coupe les vivres.

Tandis que la fragile Talitha voyage entre Paris, Genève et Marrakech, elle s’amourache du comte Jean de Breteuil, 21 ans, dealer notoire des rock stars, l’ex de Marianne Faithfull, l’amant de Pamela Courson (Madame Jim Morrison) et elle partage avec lui, sa poudre blanche, ses bouteilles de gin, en échange de son corps fatigué et somnambule. Mais Jean se moque d’elle, préférant la dépouiller de ses dollars et de ses bijoux. Il l’offre à des visiteurs de passage, junkies, voyous et musiciens défroqués.

À Rome, Talitha apprend que son riche mari, John Paul jr., est tombé amoureux de Victoria Holdsworth, ex-mannequin, et qu’il essaye vainement de reprendre sa santé en main. Il veut s’éloigner de sa trop vénéneuse épouse qui cumule les absences et les errances nocturnes : Talitha ne sait plus vraiment le nom de ses amants, ni avec qui elle couche. Et puis, les époux tragiques ne sont plus à un naufrage près : John Paul sniffe l’héroïne tandis que Talitha se l’injecte. À chaque retrouvaille, l’alcool coulant à profusion, le couple est ballotté sur un toboggan de montagnes russes, alternant la Dolce Vita avec Marlon Brando et Maurice Ronet, les fêtes romaines avec Helmut Berger et Monica Vitti et les week-ends paisibles en famille avec Wilhem et Poppet, les parents de Talitha, qui, par pudeur britannique, restent étrangers aux dérives de leur fille.

Pour tenter une ultime réconciliation, Talitha rejoint son époux dans leur luxueux penthouse à Piazza d’Aracoeli, le quartier chic au cœur de la ville antique. Mais John Paul n’est pas là, il se cache, fume ses pipes d’opium à l’abri des regards et des reproches. Le célèbre couple de l’époque n’est plus à l’heure du Peace & Love ; il se délite à distance, chacun miné par les anges destructeurs des paradis artificiels. Car de son côté Talitha est repartie dans sa course folle et, à l’âge de 31 ans, elle pense toujours qu’elle est indestructible. La grande faucheuse de l’héroïne et du Club des 27, commence l’abattage sanglant : le Rolling Stone Brian Jones et bientôt, Jim Morrison, Janis Joplin, Jimi Hendrix et le mannequin Edie Sedgwick… Ils vont tous mourir à la file, sautant dans le trépas, les uns après les autres. 

Le vendredi 13 juillet 1971, Paul Getty Jr. est là, arrivé la veille Via d’Aracoeli, pour tenter une solution, une issue conjugale. La discussion dégénère et à trois heures du matin, exténué, Paul décide d’aller se restaurer à la cuisine avant d’aller rejoindre dans son lit Talitha. Le lendemain vers midi, il se lève et laisse son épouse dormir. Mais Talitha ne se réveillera jamais plus. L’enquête conclura que c’est une dose massive d’héroïne qui a brisé le cœur de la belle endormie. Suicide, accident, meurtre, épuisement ? Qu’importe… Les vies trop courtes ne s’embarrassent pas de questions inutiles. Quand les muses ne s’amusent plus, elles rejoignent les étoiles filantes.