C’est un maître-livre. Un vrai travail, impressionnant, de recherche, mené et abouti par Hugo Micheron, scientifique à la chaire Moyen-Orient Méditerranée de l’École Normale supérieure et enseignant à Sciences-Po Paris. L’auteur, qui publie «Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons» (Gallimard) a mené des entretiens au long cours avec 80 détenus, et s’est démené sur le terrain, d’Argenteuil à la Syrie. Et c’est un livre définitif, éclairant, prospectif.
1° – Définitif ? Le livre – sans visées polémiques, mais à sa manière, claire, intelligente et mesurée – tord le cou à deux légendes urbaines. D’abord, celle qui voudrait que le djihadisme soit le fruit de la misère sociale. Micheron déconstruit implacablement le discours de ceux qui voudraient rationaliser la haine en en faisant une conséquence nécessaire de l’exclusion. Et il le fait comme le fait tout bon chercheur de sciences sociales, avec ce que l’on appelle une expérience naturelle : deux territoires semblables, aux mêmes caractéristiques socio-économiques, mais qui donnent deux catégories d’individus et deux sortes de résultats. Micheron prend l’exemple de Trappes et de Chanteloup-les-Vignes, deux villes voisines des Yvelines : alors que la première a fourni 85 djihadistes à Daech, la seconde n’a vu aucun de ses habitants rejoindre les rangs de l’État islamique. Pourquoi ? Car à Trappes, des entrepreneurs du djihad avaient mis en place une logique d’enclave : du prosélytisme, du maillage social, du militantisme. La misère, l’exclusion, les racines sociologiques n’expliquent rien : elles peuvent bien entendu favoriser la radicalisation, mais elles ne sont que quelques-uns des ingrédients du cocktail djihadiste, et pas forcément les plus importants. Deuxième idée reçue, qui, par conséquent, ne ressort pas indemne de la lecture du livre de Micheron : celle, défendue par certains essayistes, d’un Daech comme une «nouvelle guerre d’Espagne», une cause alternative, un idéal puissant, offert à une jeunesse livrée au nihilisme et à l’anomie, et qui irait à Alep comme les volontaires des Brigades Internationales allaient à Teruel. Micheron montre bien toute l’indécente naïveté de ce discours : les jeunes radicalisés n’ont pas choisi par hasard la cause djihadiste. Car les islamistes ont un plan ; des puissances étrangères ont fomenté ce prosélytisme ; les radicalisés ne sont pas devenus djihadistes comme ils auraient pu devenir marxistes – car depuis trente ans, un dessein, une stratégie a été mise en place pour qu’ils rejoignent telle ou telle nébuleuse djihadiste. Il n’y a pas de « loup solitaire », ni de jeunesses en quête d’idéal chevaleresque.
2° – Éclairant ? Il faudrait pouvoir citer les nombreux moments de bravoure de cet essai, parfois thriller, parfois vrai ouvrage de philosophie politique. Il répond, presqu’en passant, à de nombreuses questions. Quelle fut la place des femmes dans Daech sur le territoire du califat ? Eh bien, dit Micheron, paradoxalement, puisqu’elles étaient loin du front, elles furent moins soumises au reflux de moral et aux contrecoups face aux horreurs et à la tutelle totalitaire que leurs maris ou frères, et donc, furent, machiavéliquement, en charge d’être l’aiguillon vers le massacre et l’embrigadement. Comment gérer les djihadistes en prison ? Micheron déconstruit aussi la vieille thèse de Michel Foucault, d’une prison isolat, une prison comme une île dans la société – on pourrait enfermer les radicalisés, qui vivraient, en cellules, coupés du monde. Eh bien non, dit-il, la prison est un laboratoire, un réceptacle pour les djihadistes, qui la considèrent comme un moment fructueux dans leur parcours. Il faut lire les passages très subtils, presque romanesques, où Micheron décrit la façon, comme dans le film de Jacques Audiard «Un prophète», où les vieux parrains corses qui tiennent les cours carcérales cèdent la place aux nouveaux chefs islamistes ; et où les gardiens de prisons sont quasiment humiliés par les détenus islamistes qui ont repris leurs études, parfois très poussées, et toisent les matons du haut de leur nouveau savoir. Pourquoi, enfin, la France fut la plus touchée à partir de 2012 ? Eh bien d’abord car elle fut exempte d’attentats de 1995 à 2012, ensuite car elle a un poids symbolique fort, enfin car elle fournissait le plus grand nombre de djihadistes à Daech.
3° – Prospectif ? Micheron ne se contente pas d’une rétrospective sur nos années terribles. Il tente d’esquisser ce qui nous guette. Micheron, qui fut l’élève de Gilles Kepel, reprend les thèses, terriblement intelligentes de son maître, qui fut le premier à analyser, décrire, et saisir deux objets de manière précise : la structuration complexe de l’islam français d’une part, et les trois âges du djihadisme mondial (d’abord en Afghanistan : un territoire et une guérilla locale, puis, avec Ben Laden, l’âge du réseau sans territoire, menant des attentats très spectaculaires en mondovision, et enfin, avec Daech, un territoire plus des attentats spectaculaires, mais menés dans le ventre mou de l’Occident, en Europe, pour faire venir davantage de combattants). Micheron nous explique que les djihadistes sont bien conscients des limites du modèle de Daech, et de son hubris, à avoir voulu grossir trop vite et trop grand. Micheron explique que les djihadistes vont probablement mener un combat qui ne sera plus proto-militaire, à coups d’attentats, mais politique, pour convaincre, séduire, rassembler. En ce sens, le chercheur fait œuvre utile pour le débat public. Peut-être que son travail – mesuré, subtil, d’une lucidité somptueuse – sera récupéré pour l’extrême droite ; mais il doit surtout nourrir l’ardeur de tous les républicains qui ne se résolvent pas à l’abîme, et tous les citoyens qui veulent savoir, comprendre, pour mieux combattre.
Nous ne voulons pas de la protection du comte de Toulouse dès lors qu’elle se couronne d’une gifle publique.
La relation sadomasochiste des Juifs de France avec la fille aînée de l’Église, c’était avant que les enfants du peuple déicide ne fussent élevés au rang de citoyens.
Dans la foulée, nous rappelons à monsieur Zemmour que, si Vichy livra les Juifs étrangers à Hitler, sa collaboration avec la politique génocidaire du Troisième Reich ne fut pas animée par le souci de sauver les Français de confession juive quand, à l’inverse, Pétain sépara les Juifs en deux catégories pour avoir la possibilité de se débarrasser de la majorité d’entre eux, celle que composaient les survivants des pogroms russes, mais aussi les Juifs d’Algérie, qu’il prendrait soin de déchoir de leur nationalité, et qui, sans le débarquement allié de novembre quarante-deux, n’auraient pas fait long feu.
Aux petits futés pouvant se montrer très insistants lorsqu’il s’agit de nous faire ouvrir les yeux sur la porosité, qui expliquerait pour partie la remontada de l’antisémitisme en Europe, avec la perte de tout espoir quant à l’avènement réaliste d’un État palestinien.
Encore un petit effort, et la réSolution finale du conflit israélo-arabe vous percutera en ricochets, sous la forme des deux seuls traitements efficaces contre le problème juif d’Oumma que sont 1) le suicide collectif des Juifs à l’intérieur de leur foyer historique, ou 2) le renoncement de la Ligue islamique mondiale à parachever le projet hitlérien.
Reste ensuite à établir le bon diagnostic.
Puis à prendre son bâton de maréchal dans l’objectif de convaincre les personnes concernées par ce fléau aux résonances mondiales, de consentir à suivre un traitement adapté.