J’imagine facilement combien d’amis fidèles et de camarades sincères je perdrai avec ce post. Tant pis. Précisément parce que les faits rapportés tordent l’estomac et suscitent le dégoût, je souhaite esquisser un timide rappel aux principes qui me tiennent à coeur. Rien de neuf, rien de long mais tout de même une ou deux choses essentielles.
Soyons heureux que la parole des femmes victimes de violences sexuelles ou physiques se libère; que cette parole soit enfin possible et plausible; que ce soit la fin d’un trop long silence symbole d’impunité car cette impunité était un crime au-dessus du crime.
Mais que penser d’une accusation formulée 42 ans après les faits présumés, quand leur poursuite est impossible, quand la collecte de la preuve l’est tout autant, surtout quand le silence conservé au long des années est un choix – respectable – mais un choix tout de même qui ne s’explique pas à priori par une contrainte ou situation qui rendait la dénonciation impossible ? Hervé Temime, conseil de M. Polanski l’a rappelé: c’est tout bonnement l’administration de la justice qui se trouve empêchée.
Si l’on pense que le viol est un crime au-dessus des autres, alors l’accusation portée à son sujet ne peut être formulée sans permettre à celui qui en est l’accusé de s’en défendre et donc au crime d’être jugé et réprimé. Sinon plus rien ne tient. L’accusation de viol paralyse par sa monstruosité. S’agissant de R. Polanski elle fait écho à d’autres mises en cause passées, ce qui, au moins médiatiquement, accentue leur plausibilité et donc leur férocité.
Je ne sais rien de l’affaire Polanski. Et je ne pourrai pour les raisons sus indiquées jamais rien en savoir. Dans ces conditions, l’éthique revient à faire l’effort de suspendre son jugement malgré l’empathie naturelle qui doit nous porter vers celle qui porte une souffrance. Ce que j’essaie d’exprimer ici, c’est qu’émettre une opinion définitive de culpabilité sur quelqu’un qui n’a pas été jugé et n’est pas ou plus en état de l’être est grave. Ce n’est pas en soi porter atteinte à la présomption d’innocence qui est grave; mais à la raison profonde de la formulation de la présomption d’innocence et qui tient en un mot: démocratie.
La présomption d’innocence doit prévaloir sur la dénonciation du crime. Et plus le crime allégué est ignoble ou odieux, et il l’est ici puisqu’on parle d’un viol aggravé, et plus la présomption devra prévaloir. Sinon c’est la possibilité même de juger et donc de sanctionner de manière indiscutable le crime qui se retrouve remise en cause.
En l’occurence, et c’est malheureux, R. Polanski devra être pour toujours tenu pour innocent de ce crime puisqu’il ne pourra jamais en être jugé. Si nous nous battons pour l’égalité entre les femmes et les hommes, si nous nous considérons comme féministes alors nous ne pourrons jamais separer et dissocier l’émancipation de la femme des principes, droits et libertés hérités de la révolution française, sauf à perdre sur les deux tableaux.
Reste à savoir si l’expression d’une opinion complexe sur une affaire brûlante dans un post sur Facebook est possible et même souhaitable?
Je ne supporterais pas que Roman Polanski se compare au capitaine Dreyfus.
Alfred Dreyfus n’a jamais été emmuré, comme allait l’être son surcompatriote avant qu’il ne devînt le DÉMONologue en chef de l’industrie du cinéma mondial, dans l’enceinte de l’une des plus atroces antichambres des camps de la mort qui eussent jamais été délimitées par un antisémitisme d’État et d’Empire, lequel s’illustrerait en tant que système politique le plus inhumain de l’histoire de l’humanité.
La mère d’Alfred Dreyfus ne fut pas déportée vers un camp d’extermination où elle serait contrainte de pénétrer à l’intérieur d’une chambre à gaz depuis laquelle on transporterait son corps jusqu’à un crématorium fonctionnant à plein régime dans la perspective de réduire à néant toute trace de son passage sur terre.
Dans son malheur ô combien historique, celui qui avait été le premier et seul officier juif de son temps avant qu’il ne fût banni par une armée nationale visiblement pas encore tout à fait prête à se laisser infecter par la devise robespierrienne d’une République française libérale, égalitaire et fraternelle, aura eu la possibilité, depuis cette île du Diable où un authentique ministre de Satân l’avait condamné à la perpétuité incompressible, d’écrire, chaque jour de sa captivité, à une épouse dont aucun tueur psychopathe ne s’était introduit dans la maison avant de transpercer son corps de seize coups de couteau alors même que la belle du Seigneur portait leur premier enfant.
Dreyfus n’a jamais fait l’objet d’un acharnement judiciaire dont les symptômes de décadence se répandirent sur une période longue de cinq décennies, au cours desquelles on pourrait voir la même frange du village planétaire qui se montrerait prompte à légitimer les traditions matrimoniales des Samburu quand ces derniers lui confieraient ne pas voir un crime contre nature dans le fait d’engrosser leurs femmes aussitôt que leur métabolisme leur permet d’enfanter, requalifier en crime de pédophilie un crime d’atteinte sexuelle sur mineur pour lequel avait été jugé le réalisateur de Chinatown dans ce que nous aurions tendance à appeler une autre vie si nous prenions en compte l’admirable chemin de rédemption que le martyr-pêcheur parcourut jusqu’à nous.
S’il faut maintenant que Roman Polanski soit la victime collatérale de notre inconceptualisable impuissance à juger le cryptonazi Ramadan pour intelligence avec l’ennemi, je suis certain qu’il comprendra qu’en ces heures où la patrie des Lumières se sent si vulnérable face au risque de sombrer dans les pages les moins blanches du Livre noir de la finalisation de la Solution finale, le droit fondamental de bénéficier du principe juridicomagnétique de la présomption d’innocence lui soit provisoirement confisqué.
Gageons que notre bien cher Frère Tariq ne tirera pas les marrons de ce feu vénéneux pour lâcher l’une de ses Daechiennes sur Caroline Fourest, auquel cas il y a fort à parier que, dans le quart d’heure qui suivrait, l’un des PIR salauds de notre temps trouverait, au pied de son lit, une invinCIBLE ARMAda de crétins des OLP pour croire à toutes les accusations qu’il aurait portées contre une femme qui, à en juger par le caractère bien trempé qu’aucune des victimes de sa détermination sans faille ne lui conteste, lui paraîtrait capable de faire d’une autre femme à peu près tout ce qu’elle voudrait.
Merci! Merci! Merci!
Enfin un peu de raison dans ce débat de folie.
Je ne sais si ce texte vous fera perdre des amis, mais j’ose espèrer qu’il vous en fera gagner.
Cher Patrick Klugman
Je suis d’accord avec vous e avec vos arguments ! Incondicionalmente. Vous avez raison dans vos arguments juridiques, éthiques et esthétiques à propos de l’affaire Polanski. Cet affaire est déjà une imposture presque « millénaire » de la justice américaine et du machisme féminin (et masculin) mondial. Et de L’INTOLÉRANCE, proposition fondamentale (la TOLÉRANCE, il faut lire Rousseau a nouveau) des sociétés civilisés.
Il faut soutenir et défendre Polanski car ce processus est déjà seulement un fantôme du déclin de la civilisation postmoderne. Peut-être la fin de Freud.
Donc, en ce cas, vous gagnez un nouveau ami! Vous n’avez perdus des amis, camarades et lecteurs, vous avez gagnez!
Bien à vous !
Cordialement.
Artur Matos
Écrivain et Philosophe
Stockholm (Suède)