Le Soudan n’a pas gagné la Coupe d’Afrique des Nations, contrairement à l’Algérie, mais a bel et bien changé de Président, comme l’Algérie. En avril, comme en Algérie, la rue a obtenu le départ d’un autocrate, Omar Al-Bachir, inculpé par la Cour Pénale Internationale. A Alger, la révolution du sourire a produit un salutaire et inouï changement de régime, face à une gérontocratie cherchant à se perpétuer, et devant l’absence d’espoir d’une jeunesse impatiente. La révolution de Khartoum est née, un peu à la façon de la révolution tunisienne de 2011 cette fois, d’une émeute contre la faim.
«Le conte des deux cités» avait écrit Charles Dickens – on pourrait parler d’un conte (qu’il finisse bien ou mal) des deux pays, entre Algérie et Soudan. Là-bas, malgré le départ de Bouteflika, l’incertitude règne et le général Salah annonce la tenue, avant la fin de l’année, d’une élection présidentielle dont les «révoltés du sourire» ne veulent pas. Au Soudan, un nouveau Premier ministre a été désigné pour mener la période de transition, trois ans et trois mois, et le calendrier, de même que les modalités constitutionnelles de la nouvelle ère, ont été fixés. En Algérie, la répression a été modérée contre le mouvement du Hirak. Au Soudan, plus d’une centaine de morts ont été dénombrés après la dispersion du sit-in devant le quartier général des forces armées en juin. En Algérie, des visages bien connus de l’ «ancien monde» ont été emprisonnés – jusqu’au frère de Bouteflika. Au Soudan, la «lustration» n’a pas commencé – et les mêmes militaires qui ont réprimé en juin co-gouvernent en septembre.
On pourrait multiplier longtemps le jeu des sept différences. Mais il se passe cette chose, peu courante et remarquable, que le Soudan a pris la voie d’une transition démocratique – avec ses ambiguïtés, ses compromis, ses défis hallucinants, ses personnages troubles jouant au bonneteau avec les constitutions. C’est en soi inusité dans l’Histoire en général : combien de «junte» tombent-elles toutes seules, comme un fruit mûr, au prix du sang d’un peuple oublié et soudain indomptable ? Mais peu de monde aurait parié que, de tous les endroits du globe, c’est à Khartoum qu’aurait lieu un «printemps» démocratique. Le Soudan figure sur les planisphères géopolitiques contemporains en raison de ses liens troubles avec l’islamisme, du génocide au Darfour, de sa partition entre le sud et le nord qui n’a fait que dupliquer, par scissiparité, les atrocités méridionales dans les régions nordistes, et réciproquement. Et voilà qu’au terme de manifestations générales, un peuple qu’on pensait tenu en bride par des services de sécurité kleptocrates et cruels expulse un dictateur, jugé actuellement pour corruption. Surtout, dans ce pays où les conflits religieux et ethniques paraissent insolubles, et où la charia était appliquée depuis 1989, personne n’aurait osé espérer que, presque naturellement, les Forces de la Liberté et du changement, l’émanation politique de la rue, obtiennent l’absence de mention de l’islam dans la Constitution comme fondement légal, et institue un Etat de droit, avec une égalité entre tous les citoyens. «Tout le pouvoir aux civils» disait les manifestants : même si dans l’architecture compliquée de la transition, les militaires restent présents, mais minoritaires, nous n’en sommes plus loin.
Une lecture binaire, et trop assertorique, de la situation serait de mauvais aloi. Le Soudan, devant une juxtaposition de crises latentes (financière, sociale, sécuritaire) n’est pas sorti d’affaire. La jeunesse algérienne et les manifestants peuvent obtenir, demain, l’Etat de droit qu’ils réclament et que l’Algérie mérite. Mais le Soudan, comme l’Algérie, montrent que le cynisme, le «réalisme» des diplomates, ou les grands discours sur la fin du rêve démocratique sont toujours démentis, quand une révolution éclate.