Chers amis,

Ces « élections » présidentielles et autres, au Soudan, dont je vous entretenais hier dans ma première intervention sur ce site de la Règle du Jeu, ont été prolongées de trois jours. C’est dire leur fiabilité et leur valeur démocratiques. Bref, la mascarade continue et même s’amplifie. Pour vous en convaincre un peu plus, je vous aurais donné d’autres informations tout aussi dérisoires et pathétiques sur cette mascarade, ou bien encore ces quatre policiers de la Minuad disparus au Sud-Darfour. Je vous aurais décrit la façon dont la police du dictateur El-Béchir a brisé lundi, dans les quartiers nord de Khartoum, une manifestation pacifique de mes partisans (dix d’entre eux ont été condamnés sur le champ à un an de prison).

Mais une affaire d’une grande urgence me requiert.

La realpolitik est ce qu’elle est, et tous les mauvais coups, les mauvais procès sont permis.

Faute que « le petit Darfour » qui-ne-fait-pas-le-poids-et-doit-cesser-son-combat-sans-espoir et faute que moi-même, dirigeant la résistance, nous soyons pliés à la communauté internationale, USA et France en tête, qui entendent nous obliger à aller négocier à Doha avec les bourreaux de mon peuple un pistolet sur la tempe sans même qu’au préalable les attaques et les bombardements soudanais s’arrêtent au Darfour, une campagne de désinformation et, désormais, de boue a été engagée, contre moi.

Chaque semaine, des menaces d’expulsion de France me sont indirectement signifiées. La rumeur s’est encore amplifiée hier-même.

Alors, sans plus tarder, je mets tout aujourd’hui sur la table devant vous. Car l’épreuve de la vérité, et il n’y en a qu’une et une seule, doit changer de camp. Je m’y soumets de moi-même le premier.

Je n’ai jamais été un jusqu’au-boutiste. Je connais d’expérience, Ô combien, le rapport des forces au Darfour, qui nous est si défavorable. Et je déteste cette guerre inégale qui, s’ajoutant au génocide, décime toujours un peu plus mon peuple. Je ne demande nullement l’indépendance pour les Darfouris. Et j’ai toujours été prêt avec le pouvoir actuel, aussi criminel, aussi intransigeant soit-il, à négocier le statut du Darfour et sa place à égalité au sein d’un Soudan uni et démocratique, où les richesses nationales seraient équitablement partagées entre tous les Etats de la Fédération.

Après les exactions puis le génocide puis la résistance au Darfour, la communauté internationale, passée une première période d’indifférence, témoigna de son engagement et de sa solidarité, Chine et voisins arabes exceptés. Le souvenir du génocide au Rwanda et de la paralysie internationale étaient encore frais. « Plus jamais ça ! » nous assura-t-on de toutes parts, les opinions et les chancelleries occidentales en tête. « Bas les pattes, les meurtriers ! Nous ne laisserons pas faire. » Le pouvoir soudanais finit par accepter une force internationale de 26.000 hommes, la Minuad, au mandat et aux moyens limités et non sans la paralyser de mille façons avec succès. Il avait fallu pour en arriver à ce piètre stade 300.000 morts, deux millions et demi de déplacés dans des camps au Darfour, et des centaines de milliers de réfugiés ailleurs. Rien n’était réglé. Les villages et les campagnes vidés de leurs habitants, le Darfour était mis en coupe réglée par les milices Janjawids au service de Khartoum, qui s’établissaient, avec des Arabes importés de l’étranger, sur les terres dont elles avaient chassé par la terreur les paysans, volaient l’aide internationale, rançonnaient les camps, violaient les femmes qui s’aventuraient à l’extérieur, à la recherche de combustible. Mais la situation, dirent les observateurs et les diplomates, était « globalement stabilisée ». Le conflit était désormais « de basse intensité ». Juste deux cents morts par mois. Fini le génocide, n’est-ce pas ! Depuis, rien, on s’en doute, n’a changé ; on en est toujours là. Avec, il est vrai, les élections en prime !

Dés 2003, l’heure n’en était pas moins aux négociations. Et, avec l’encouragement et le soutien de la communauté internationale, des grands pays occidentaux et de l’ONU, je m’y étais d’emblée résolu, dans l’espoir, sur les tapis verts, d’anticiper un génocide annoncé, puis la tragédie une fois là, de gagner cette protection pour les Darfouris que notre résistance sur le terrain, face à la machine de guerre soudanaise, ne pouvait, en aucune façon, obtenir, et peut-être, un jour, la paix. J’étais le « good guy ».

Je me rendis dès 2003 deux fois à Abéché au Tchad négocier, sans poser aucune condition préalable, avec les envoyés de Khartoum. J’y retournai en 2004. Puis je me rendis à Abuja, capitale du Nigeria, fin 2004 et toute l’année 2005, pour essuyer pas moins de sept rounds avec le soudanais Majzoub Al-Khalifa, Senior Assistant d’El-Béchir, qui, fort de l’écrasante supériorité militaire des forces de Khartoum, ne voulait rien lâcher politiquement. Là, les choses commencèrent à tourner. Le Secrétaire d’Etat adjoint Robert Zoellick (aujourd’hui à la tête de la Banque mondiale) me conseillant en vain de me résoudre à « la réalité des forces en présence sur le terrain », finit par perdre patience non pas contre l’envoyé soudanais mais contre moi, le maillon faible, le grain de sable dans le « processus de paix ». Et, devant le président nigérian Obasanjo abasourdi, il finit par me menacer de me faire traduire devant la Cour pénale internationale naissante, pour « obstruction à la paix » ! Finie la soft diplomacy ; commençait ce jour-là le temps de la diplomatie au forceps. Dans la foulée, Robert Zoellick allait susciter, à grand renfort de promesses politiques et personnelles, une dissidence à l’intérieur-même de notre Résistance, en la personne de Minni Minawi, à qui Khartoum fit bientôt miroiter une milice privée de 5.000 hommes et un poste haut placé dans l’appareil d’Etat soudanais. Il est aujourd’hui conseiller spécial du président El-Béchir… Et, cerise sur le gâteau, comme vous dites en France, il fut présenté au président Bush à la Maison Blanche.  Avec l’élection de Barak Obama, les choses revinrent à plus de droiture. Mais pour un temps seulement. Le temps de la campagne électorale et du vote afro-américain et des dizaines de milliers d’amis et de membres de Support Darfur. Très vite, le Département d’Etat, tout à la perspective de l’indépendance du Sud-Soudan, prévue en 2011, futur Etat entièrement noir, chrétien et animiste, riche en pétrole, et sacrifiant de nouveau la défense du « petit » Darfour ainsi que les principes au profit de la Realpolitik, nomma comme envoyé spécial Scott Gration, qui, emboitant ses pas dans ceux de Robert Zoellick, suscita un double Minawi en les personnes d’Ali Haroun et d’Abdallah Khalil, les réunit à Djamena puis Addis-Abeba, les expédia négocier à Doha, puis entreprit la tournée des camps au Darfour pour appeler publiquement dans des meetings de masse les déplacés à changer de leader « afin d’avoir enfin la paix ». Les Darfouris, par milliers, lui tournèrent le dos. Il vint  à Paris me réitérer ses mises en demeures.

Ici même, je fus invité au quai d’Orsay un jour du printemps dernier par mon ami Kouchner, qui, deux ans plus tôt, avant que d’être ministre, m’avait personnellement accueilli et procuré un hébergement de secours à Paris, et qui avait déclaré, mars 2007, à un meeting d’Urgence Darfour à la Mutualité : « Ce soir, Darfouris, vous allez voir, c’est le début de la victoire. Il faut absolument que cessent les atermoiements, les fausses raisons. » A cette réunion au quai d’Orsay, deux ans plus tard, assistaient, outre Bernard Kouchner devenu entretemps ministre, l’envoyé spécial de la France aux pourparlers de Doha et un envoyé soudanais, Sala Gosh, grand patron des services secrets soudanais. Je ne me rendrai à Doha, leur dis-je, que si, au préalable, les bombardements et les attaques cessent ; plus le désarmement des terribles milices Janjawids. Je fus regardé comme un jusqu’au-boutiste et un empêcheur de paix. Sauf qu’à une conférence de Genève, un an plus tôt, convoqué par les représentants des cinq Grands, l’américain Richardson en tête, plus le représentant de l’Union Africaine, où j’avais présenté exactement la même chose, tous, y compris le Russe et le Chinois, me dirent : « OK. Fair demands. Nous allons tout mettre en œuvre pour qu’elles aboutissent. » Je n’ai eu depuis aucune nouvelle… Le même Sala Gosh, un an plus tard donc après Genève, me fit passer, au sortir de la réunion au quai d’Orsay, un message où il me promettait 35 millions de dollars sur un compte quelque part en Europe, si je me rendais à Doha, ainsi qu’un poste -non précisé- au sein du gouvernement soudanais…

La diplomatie au forceps ayant échoué, puis celle, un cran en dessous, du compte en banque, on en vint alors à la diplomatie de criminalisation.

Devant mon « jusqu’au-boutisme » et le refus, à moins que ne s’interrompent les attaques soudanaises incessantes et que soient désarmées les milices Janjawids, d’aller, dans ces conditions, négocier peu ou prou notre reddition à Doha, voici, murmure-t-on ces derniers mois dans certaines chancelleries, que, des commandants du SLM sur le terrain, au Jebel Marra, poussant à ce que je me rende à Doha, eh bien, je les aurais fait purement et simplement éliminer.

Je vais demain, ici-même, point par point, et nommant chaque homme en question après chaque homme, répondre à ces calomnies et ces accusations.

A demain, chers amis.