Brésil, années 1980, une jeune et belle mannequin se remet d’une tragédie. La vie est douce, la nuit de Recife tiède, il y a des amis, un grand frère, un mari, des enfants. On dirait le bonheur sur Polaroïd. Trente ans plus tard, Clara habite toujours l’Aquarius, cet immeuble des années 40, sur la promenade où la mer est toujours aussi rose. Son mari est mort, un promoteur sympathique mais aux dents longues rachète à la découpe tous les autres appartements. Ce film, «Aquarius», de Kleber Mendonça Filho ne raconte pas grand chose, c’est le portrait de cette femme, à la pose aristocratique, éminemment cultivée, sertie dans ses regrets, la joie affleurant les lèvres. Elle est courageuse et classique, adolescente comme par souvenir, malicieuse et définitive, toujours belle. «Je suis à la fois une enfant et une folle» dit-elle à sa fille. Tout, dans la lumière et les dialogues, dans le visage de son incroyable actrice, Sonia Braga, est subtil et doux, puissant.
Voilà comment les Brésiliens en général, et le plus illustre et doué de leurs réalisateurs en particulier, aiment à faire le portrait des femmes, même lorsque elles ont quitté Recife, et fait périple dans les récifs de la vie.
Voilà dix jours, le Président Bolsonaro du Brésil, qu’on dirait le promoteur vieilli de l’Aquarius, faussement affable et secrètement fou, a insulté Brigitte Macron, qui sans avoir la mélancolie manifeste de l’actrice Sonia Braga, doit partager un peu de son dégoût cristallin, face aux grossiers personnages masculins. Aujourd’hui, le ministre de l’économie a redoublé encore ces attaques piteuses.
L’affaire serait sordide et risible, si elle n’était pas instructive.

1°- La diplomatie virile des populistes – cette manière de conjuguer l’inélégance antique, façon dépêche d’Ems ou soufflet du Dey d’Alger, à la vulgarité des télénovelas – ne produit rien, si ce n’est la vergogne et l’opprobre ; loin de refaire paraître leurs peuples sous un jour fier et neuf sur la scène du monde, ces Falstaff provoquent le mépris et la honte universelles. La misogynie ne fait pas une géopolitique.

2°- Attaquer une femme, et en ces termes ? C’est le signe ultime de la veulerie. L’âge ? «Ne t’informe jamais de l’âge d’une femme» prescrit Ovide, pour savoir aimer, et recommandant les amours mordorés par le «soleil qui ploie les platanes» car les prés «trop fraîchement fauchés blessent nos pieds». Madame de Mortsauf, chez Balzac, dont «l’âme sillonnée» est électrisée : «le printemps, les premières feuilles, le parfum des fleurs, les jolis nuages blancs, l’Indre, le ciel, tout me parlait un langage jusqu’alors incompris». George Sand, dans sa lettre à Flaubert : «la jouissance suprême, et la liberté absolue, celle de se maintenir avec les siens dans notre chemin qui monte». Colette, enfin, parlant d’une grande et belle dame : «D’elle me vient le don de secouer les années, comme un pommier ses fleurs».

3°- Ce qui serait seulement un signe bien connu de bêtise (Gide : «L’âge est bête. C’est l’éclat qui dit tout») est en outre révélateur de la vision du monde de Bolsonaro et de ses sbires. Qu’un ministre de l’économie, pour se faire reluire d’un sous-officier devenu président, redouble les insultes de son chef, est en soi inquiétant pour les équilibres constitutionnels du sommet de l’État brésilien. Mais surtout, comme Clemenceau jadis, Bolsonaro fait la guerre. Guerre à l’intérieur, contre les femmes, par le moyen de réformes rétrogrades et de paroles inconséquentes. Guerre à l’extérieur, désormais, avec des attaques et des insultes qui, plutôt que de pallier les carences ou les impasses de sa diplomatie, en exhibent tout le sordide et la stupidité. Et les femmes, hélas, ne sont que l’une des cibles de ce fascisme à peine dissimulé. «Les plus menacés , écrivait déjà, de façon prémonitoire, le grand romancier brésilien Milton Hatoum au lendemain de la victoire de Bolsonaro dans Libération, ce seront les minorités sexuelles, les Indiens, les Noirs, les femmes. La victoire de Bolsonaro a libéré le racisme, le machisme, l’homophobie.». L’épouse d’un chef d’Etat français aujourd’hui, les femmes hier, la part jugée maudite de la société demain, voilà à qui l’actuel gouvernement brésilien fait la guerre.

Pour se venger de celui qui veut détruire l’Aquarius, Sonia Braga apporte dans le bureau rutilant du jeune spéculateur une colonie de termites. Peu à peu, l’arrogance du bétonneur comme la splendeur de ses boiseries, tout est vermoulu, corrodé, évidé. On ne saurait conseiller d’autres méthodes pour ravager le gouvernement de Bolsonaro, et laisser debout les femmes de Recife, qui secouent les années comme les pommes, et les promoteurs comme des branches mortes.