Aéroport Charles De Gaulle, année de la terre assoupie de chaleur et, au disque du vent concassé de coups secs, me voilà dans les entrailles d’un oiseau métallique. A l’azur : le continent premier.

On ne se rend pas en Afrique comme on va n’importe où, n’importe comment. On ne va pas en Afrique comme on va nulle part. On va en Afrique comme on va vers un lieu sacré pour se saisir de l’insaisissable. Et on revient toujours de ce lieu, vigie de forces inattendues, riche de quelque chose.

D’argile et de pierre, de bois et de sable, les pieds déchirés d’avoir trop gambadé du levant au couchant, l’Afrique, parchemin dans le midi du soleil, coulées de laves incandescentes frappant le sol sans égard, l’Afrique, masques ballets de nuit bariolée d’encre bleu sombre, l’Afrique, terre qui nous précède, est commencement de tout commencement.

Et dans la rosée de cette terre ombilicale d’où nous sommes tous partis, quand les rafales de cette chimère qu’est le temps poussent le reste des rêves de la veille comme des feuilles mortes dans les poubelles de l’histoire, quand l’espoir est dilué dans l’abime, l’homme, le front peuplé de soucis, accablé par l’insoutenable de l’être, cherchant éperdument aux hasards des sentiers, le chemin vers la montée, ne laisse pas tomber les bras, ne passe pas la main, il escalade vaillamment les murs du désespoir. Est-ce la mémoire du jour à naître qui le tient si vertical? Est-ce la certitude, au creux du néant, du surgissement, au bout du tunnel, des promesses d’autrefois, cette fois-ci fleurissantes, cette-fois-ci verdoyantes de pétales de bougainvilliers? Est-ce la puissance de l’espérance?

Rires aux éclats jouissifs qui s’élèvent et éclatent comme ils éclatent, c’est l’Afrique, l’imaginaire déridant malicieusement le réel et inventant l’improbable au quotidien. Lagos tourbillon hypnotique, l’excès à l’état pur, Ouagadougou transformant le rien en harmonie, Kigali la perle revenue de l’enfer, au visage désormais plus lumineux à chaque levé de l’astre solaire, Cotonou au cadran de l’horloge démocratique, le guidon sur la palabre, roulement de forces en métamorphoses, Tombouctou intemporel les yeux navrés en deuil, refusant malgré tout d’être confédérée aux fous de Dieu, c’est l’Afrique d’ébène et d’ivoire, de cuivre et d’or, la mémoire visage grimé de kaolin, combinaison de puissances contradictoires, l’énergie claire-obscure, le souffle exhalant en addition les saisons en soustraction, l’espoir et la lassitude au corps à corps. Comment dire tant de choses? Comment signifier, raconter tant d’éclats, tant de couleurs, d’ondes et de vibrations?

A l’envers et au contraire, de face et de profil, il n’est d’Afrique que l’esprit en exploration, il n’est d’Afrique que de flagrances mystérieuses, il n’est d’Afrique que d’effluves traversant l’horizon, la mesure à contretemps. Et qui, au contact de ce foyer verdeur de vigueur, n’est jamais revenu secoué de vertige, l’écorce fendue de part en part, le regard vivifié par ce qui est ? Ce qui est force de vie et ce qui est douleur, ce qui est légèreté et ce qui est lourd à porter, ce qui est grandeur et ce qui aberration, ce qui est vivacité retentissante et ce qui est désarroi, ce qui s’avance coupé-décalé, hors format, masqué, ce qui échappe au discours de l’ordinaire. Ce qui est.

Le cours de l’existence est un long voyage et, la grâce d’un cheminement, n’est-ce pas, transcendant le regard commun, de s’élancer, l’œil et l’oreille élevés pour voir et entendre et découvrir l’autre dans sa condition, sans artifices?

Au flanc du firmament, me voilà emporté sur les ailes du vent vers cette étendue majeure qui m’a vu naître au monde. Que grondent les moteurs, tels les tambours du Burundi en éruption, et qu’ils me portent vers le commencement du commencement. Que l’Afrique, ce champ de présence et d’absence, d’oubli et de mémoire, qui est bien autre chose que ce qu’il pense et prétend être et ce que les autres pensent et affirment qu’il serait, m’ouvre, à cœur découvert, à bâtons rompus, au-delà du familier, les masques tombés, son visage, force d’appel, qui n’est jamais le même dans son expression.