I picked up the phone… J’ai décroché le téléphone et j’ai composé ton numéro. Tu étais à l’autre bout du fil. Je me suis présenté : «Je suis un ami de Bernard, je fais partie du comité de rédaction de la Revue La Règle du Jeu ; je suis originaire d’Afrique ; je compte venir en Israël et j’aurais souhaité, si ton emploi du temps le permets évidement, te rencontrer.»

Ta réponse fut simple et chaleureuse. «Tu es le bienvenu. C’est avec plaisir que je te rencontrerai. Juste préviens-moi deux ou trois semaines avant ton arrivée pour que je puisse m’organiser.» Zut. J’étais déjà en route ; mon billet d’avion était déjà réservé et payé : je débarquais la semaine suivante. Je me souviens encore de ta voix : «Dommage. Vraiment dommage. Je ne suis pas actuellement à Tel-Aviv mais du côté du désert penché sur mon prochain ouvrage. Dommage. Vraiment.»

Je t’ai dit que je comptais sans doute revenir. Tu m’as dit que ce n’était alors que partie remise et que tu serais heureux de m’accueillir. On s’est dit à bientôt. A très bientôt.

Comme prévu, j’ai fais le voyage. Le voyage rêvé. Attendu. Je suis venu. J’ai vu Tel-Aviv ; j’ai vu Jérusalem ; j’ai vu Israël. Vu Israël de mes propres yeux. J’ai connu Israël et je suis reparti sans envie de repartir le mood positif, le cœur chantant, décidé à revenir à la première occasion.

And yesterday, la nouvelle de ton départ de l’autre côté du rideau de la scène.

I picked up the phone… C’est une histoire qui aurait pu commencer par un coup de fil. Commencer et durer. J’avais le sentiment illusoire en tournant les pages des tes ouvrages que tu étais là pour toujours. L’hiver n’était pas pour bientôt. En tout cas pas pour maintenant. Exclusivement pour plus tard. Beaucoup plus tard. Et maintenant c’est trop tard.

I picked up the phone… Le téléphone est une invention magique. Le téléphone rapproche les hommes. Le téléphone réduit les distances. Le téléphone réduit les silences. Le téléphone apporte des bonnes nouvelles. Le téléphone décroché, un numéro composé et, à l’autre bout du monde, une voix. Une voix, une autre voix. Le fil. Un fil tel le vent qui transporte par dessus toutes les frontières des mots. Des mots inoubliables. Des mots qui font vivre. Des mots contre l’inexistence.

I picked up the phone… Le téléphone, lifeline, la ligne de vie. Nous vivons nos vies sans prendre parfois assez de temps pour nous parler d’un monde à l’autre. Nous parler. Nous dire des choses. Et un jour, une voix n’est plus à l’autre bout du fil. Le silence. Le souffle épuisé. Le souffle perdu. Tout à coup plus un mot. Tout à coup rien. Le trou. La perte. La perte totale. Irrémédiable. Irrémissible. Le jour ne commencera plus. Le ciel est sombre. On suffoque devant le vide. Qui peut articuler le vide ?

I picked up the phone… Mais le téléphone, mais le câble n’était pas assez large de temps et d’épaisseur pour transporter tout ce que nous aurions pu et dû nous dire. Tes mots, tes signes, tes histoires, tes livres. Beaucoup de choses dites et écrites sur les hommes. Beaucoup de choses dites et dessinées avec élégance et grâce. Que des choses à te demander. Israël. Le Talmud. La Shoah. La sauvegarde de la mémoire de la Shoah. L’obscurité qui n’est point, hélas, complètement, à jamais, tombée derrière nous. La littérature. Les mots qui conviennent et ne conviennent pas. La fantaisie des mots. L’hébreu, ce paradis des poètes. La fraternité. Les sombres vociférations de notre époque. Le monde tel qu’il se présente. Comment les hommes vivent, aiment, se démènent, se débrouillent, se tiennent debout. Avec leurs ambitions et leurs folies. Avec leurs soucis et leurs joies. Avec leurs musiques de chambre. Avant le dernier sommeil. Le bonheur tranquille avant la révérence. La gratitude. Que des choses… Ce n’est que partie remise.

I picked up the phone… The phone… Ca ne sera pas un fake call. La force de l’esprit est plus forte que les distances qui éloignent.