Nous n’avons rien, monsieur le Président, à vous demander. Simplement, puisque vous avez arpenté, le jour de votre victoire, le pavé du Louvre, nous sommes contraints de vous rappeler que le Louvre est égal, ou presque, à la culture de la France. Or, vous nous avez jadis expliqué, du temps que vous étiez en campagne, que la culture française, cela n’existe pas. C’est faux. La culture française, cela existe. Vous avez frôlé les pyramides, dans la cour de ce même Louvre : pyramides, comme Napoléon exilé par le Directoire, qui tint sous leur ombre un discours peut-être apocryphe mais fameux : «Soldats, du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent.» De Napoléon, j’ignore si vous avez le courage et je ne pense pas que vous ayez la grandeur : mais vous avez presque l’âge, et vous avez le culot propre au bonapartisme. Ce choix du Louvre, improvisé, dit-on, à la dernière minute, fut particulièrement judicieux – le Louvre des rois, mais jouxtant les Tuileries : vous consacrez à la fois la monarchie, l’empire (jusqu’à Napoléon III), mais aussi la démocratie, le peuple ; souvenir, en ce lieu, du 10 août, souvenir, en ce lieu qui brûla en son nom, de la Commune de Paris. Votre tribune, où vous parlâtes à la foule amie, était installée à l’endroit même du palais dévasté. Monarque et peuple : excellent raccourci de votre fonction. Et je n’oublie pas, non plus, que c’est là que Giscard, alors ministre des Finances en fonction, apprit lui-même, comme le montre le célèbre documentaire de Raymond Depardon, son élection à la fonction suprême, en mai 1974. Giscard, monarque ; Mitterrand, peuple. Le lieu, aussi, de Louis-Philippe, non pas roi de France mais roi des Français : époque où le pouvoir, déjà, aimait se mélanger à la banque. Etes-vous davantage peuple, ou davantage monarque de Juillet ? On ne parle jamais suffisamment de 1830 : ce moment, inouï, où ce fut le peuple qui ordonna, qui consacra, qui installa son roi. Un roi établi à sa place par l’Assemblée. Il vous faudra méditer ceci : la France de 1789, comme celle de 1830, n’a rien contre les monarques institutionnels et institutionnalisés ; la France de 1789, comme celle de 1830, comme celle de 1848, est gourmande de politique et de droit. Mais méfiez-vous, monsieur le Président, de la France en colère, j’allais dire : de la France-colère. Celle de 1793 ; celle de 1871. Elle n’est pas légaliste, elle est haineuse ; elle prône l’égalité au bout d’une pique et n’aime pas perdre la face. Elle n’est pas le peuple, elle est la foule.
Elle n’est pas la démocratie, elle est l’ochlocratie. Cette France ne vous fera pas le moindre cadeau : déjà, le soir du premier tour, à travers Jean-Luc Mélenchon, elle menaçait de ne pas tenir compte du résultat, prétendument biaisé. France en colère, France non pas tant de la rue, que dans la rue, remplie de véhémence et de menaces, et qui vous privera du moindre quart d’heure d’état de grâce. France qui, dès demain matin, bloquera votre action, empêchera votre pouvoir, freinera vos décisions. France pleine de rancœur, ce qu’on peut évidemment comprendre, mais dont on ne saurait excuser la violence quand elle met le feu aux agents de police ou de gendarmerie. Puissiez-vous être le premier président, depuis de Gaulle, à n’avoir point peur de la rue ; à ne pas vous laisser mener par les diatribes des meneurs, par les huées des sans-culottes qui râlent et grognent et plongent, ricanant, hurlant, le pays dans un chaos satisfait, souhaité, voulu. Nous savons bien que cette France souffre : mais, si vous acceptez son message, souvent légitime, nous vous implorons de ne plus supporter ses méthodes. Cette France de la foule n’est pas la France du peuple : le peuple, qu’elle prétend incarner, est pris en otage par elle. Un peu comme, sous la Commune, l’immense majorité des Parisiens était prise en otage par la folie rouge. L’extrême droite, sans conteste, est le pire des poisons. Et il n’y a aucune symétrie entre l’extrême droite et l’extrême gauche.
Il n’en reste pas moins que cette dernière a trop souvent fait montre de sa toxicité. Soyez ferme.