A la ville comme à la scène, Alister promène son spleen, sa barbe d’une semaine, ses cheveux longs et ses cols roulés seventies avec une délicieuse nonchalance. En dépit des apparences, l’homme est pourtant productif. Au tournant des années 2010, après une première carrière d’auteur passée dans l’ex sein des seins cathodiques, comprendre Canal+, Christophe Ernault s’est trouvé un alias rosbif, Alister, et s’est forgé une sympathique carrière de chanteur à la Dutronc. En tout et pour tout, trois albums émaillent la carrière de cet auteur-compositeur-interprète qui ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Car lorsqu’il ne se produit pas sur scène, Herr No dirige la revue Schnock, mook nostalgique à souhait destiné «aux vieux de 27 à 87 ans». Un énorme carton d’édition. Tout cela suffisait amplement pour qu’Ernault soit célébré, comme il se doit, par La Règle du jeu. Jusqu’à la parution d’un livre au titre énigmatique, La femme est une dandy comme les autres, aux éditions Pauvert. Surprise ! Que cache donc cet ouvrage à la couverture rouge et noire dédiée à la mère de l’auteur ? Réponse sans suspense : une fascinante plongée à travers les époques et les arts, entre pénombre et lumière, à la recherche de ces femmes de style et d’esprit imitant et surpassant les manières masculines. Des dandies au féminin, fières et fortes. Des modernes, ni potiches ni poulettes, autrement féministes. Dans l’imaginaire collectif pourtant, le mot «dandy», s’épanouissant parallèlement au concept du «gntleman», est on ne peut plus masculin. L’histoire de cette mouvance d’origine anglo-française apparue vers 1800 montre d’ailleurs, sans équivoque, que ce sont les hommes qui en ont dessiné les contours. Jusqu’à la grande révélation, avec près de deux siècles de retard : il existe bel et bien une «Lady Dandy» insaisissable, aux contours mouvants. C’est bien cette histoire longtemps ignorée que raconte Alister avec justesse et malice. Des salons parisiens aux cocktails new-yorkais, de Sarah Bernhardt à Dorothy Parker en passant par Marlène Dietrich, de l’art de porter le pantalon à celui de faire scandale, du sens de la répartie aux mille et une façons de claquer son argent, son livre casse bien des idées reçues. Mieux, il prouve l’existence d’un territoire insoupçonné où les femmes «qui ont de l’esprit» s’égaient et bousculent les conventions de leur époque. Voici donc Barbara, Greta Garbo ou encore Misia Sert surnommée la «Reine de Paris», maîtresse de Coco Chanel, égérie de tant de peintres et de poètes. Voilà encore George Sand qui chante les louanges de la pipe, Colette qui fera, en 1930, de la réclame pour les cigarettes Lucky Strike, ou encore Sagan au volant de ses rugissants bolides chéris Jaguar, Ferrari, Aston Martin. Soudain, les conventions volent en éclats ! Transgressives et modernes, ces dandies au féminin désarçonnent autant qu’elles font mouche. Point de slogan pourtant leur message est puissant. Le féminisme de ces femmes iconiques est différent, original car inattendu, terriblement inspirant car finalement plus artistique que politique. Que nous dit la lady dandy ? Elle nous parle de la place des femmes dans la société, dans l’Histoire, dans la culture, et de leur accès à l’autonomie, l’émancipation et la liberté.
Pour mesurer cela, il faut lire La femme est une dandy comme les autres, livre qui se picore sans faim. Et puisque nous célébrons en ce moment les cinquante ans de Mai 68, finissons en beauté par une anecdote racontée par Alister himself :
«Scène incongrue quand, en mai 1968, Françoise Sagan débarque dans un meeting étudiant au théâtre de l’Odéon et qu’elle y est accueillie par : “la camarade Sagan est venue en Ferrari pour encourager la révolution ?”, ce à quoi elle répond : “Non, c’est une Maserati !” Dans les dents, le pavé.»