Outre-quiévrain, elle est une critique littéraire reconnue, une intervieweuse bienveillante accueillant les auditeurs de la RTBF de sa voix chaude et de son phrasé délicat. A trente-cinq ans, Myriam Leroy, aperçue jadis sur Canal+, est déjà plus qu’une promesse. Pour résumer : l’une des plus fines plumes du royaume de Belgique, dont on attendait avec impatience le premier roman pour enfin exprimer tout le bien que l’on pense d’elle. Voilà qui est fait ! En cette rentrée littéraire d’hiver, Leroy signe Ariane, un livre qui happe et se lit d’une traite. L’histoire d’une amitié adolescente toxique, nourrie de codes secrets, de référence à la décennie 1990, de minauderies, de salaceries, d’erreurs de jeunesse et de drames. Tout au long de leur (courte) relation, la vénéneuse Ariane et la narratrice entretiendront un rapport qui leur donnera de la force avant de les anéantir. A la vie à la mort… Comme dans les westerns, il n’y aura de place que pour l’une d’entre elles. Mais à la différence des vastes paysages du grand ouest américain, le décor est ici morose, commun, plat comme le pays. Il raconte la banlieue de Bruxelles, le Brabant wallon. Plus particulièrement la ville de Nivelles, «un gros bourg moche, d’une laideur totalement anti-cinématographique». Dès l’incipit, l’histoire interpelle en ce qu’elle oscille entre le dramatique et le banal. La première page donne le ton :

«Quand j’ai eu douze ans, mes parents m’ont inscrite dans une école de riches. J’y suis restée deux années. C’est là que j’ai rencontré Ariane. Il ne me reste rien d’elle, ou presque. Trois lettres froissées, aucune image. Aucun résultat ne s’affiche lorsqu’on tape son nom sur Google. Ariane a vécu vingt ans et elle n’apparaît nulle part. Quand j’ai voulu en parler, l’autre jour, rien ne m’est venu. J’avais souhaité sa mort et je l’avais accueillie avec soulagement. Elle ne m’avait pas bouleversée, pas torturée, elle ne revient pas me hanter. C’est fini. C’est tout.»

Leroy a raison. Il est intéressant de venir à la littérature en y racontant ses émois adolescents, tenter de mettre un peu d’ordre dans cette gadoue informe de sentiments mêlés, trop puissants, sur fond de branle-bas de combat hormonal. Tous les auteurs devraient passer par là. Sonder leur enfance, l’expurger par les mots, raconter qui ils étaient, celui ou celle qu’ils auraient voulu être… En résulte un livre jugé par certaines critiques comme «nerveux», peut-être à tort. Plus que de la nervosité, il y a plutôt, dans Ariane, quelque chose de l’ordre de l’urgence adolescente. Une urgence renforcée par le contexte social. La narratrice est pauvre, se trouve initialement moche, sa mère est dépressive, tandis que tout semble réussir à son amie frondeuse, sexy-en-diable et enfant gâtée des beaux quartiers. En refermant ce livre, cent questions affleurent. On s’interroge sur l’enfant que l’on était. On se demande si tout ce que Myriam Leroy raconte est vrai. Et lorsque celle-ci avoue finalement avoir parfois «baratiné» pour enjoliver la réalité, la rendre plus forte, plus claire, plus dramatique en somme, on se questionne. Faut-il vraiment la croire ? Pas sûr… On trouvera dans cette interrogation constante du lecteur la trace d’une grande modernité. Et quelque chose de dévastateur. Aussi dévastateur que ce qui attend Ariane…