C’est par un texte coup de poing que Yann Moix a répondu au Préfet du Pas-de-Calais ce jeudi 1er février dans Marianne. «Monsieur le “Préfet”, J’ai lu votre lettre. Vos récriminations condescendantes à mon endroit sont aussi méprisables que vos menaces téléphoniques à l’égard de mon producteur.» Voilà comment débute la missive adressée à celui qui a tenté de minimiser les violences policières envers les migrants suite à la lettre ouverte de l’écrivain à Emmanuel Macron. Parue dans Libération le lundi 22 janvier cette lettre accusait le président de la République d’avoir instauré un «protocole de la bavure» à Calais, avec une vidéo-preuve à l’appui.
Et à l’auteur de Naissance de poursuivre :
«Je tiens cependant à vous remercier. En effet, je trouve en vous l’avocat le plus inattendu auprès des exilés victimes des gravissimes exactions policières perpétrées à Calais sous votre responsabilité. Car pas une seule fois, dans votre “réponse” à une tribune qui ne vous était pas adressée, vous ne me démentez. Je persiste et je signe.»
Une réponse factuelle au préfet du Pas-de-Calais
Car, en effet, dans la lettre publiée sur le compte Twitter de la préfecture du Pas-de-Calais, Fabien Sudry ne nie pas les violences policières, il se contente de les minimiser et de les justifier en soutenant qu’elles sont nécessaires pour le maintien de l’ordre. Il ne nie pas non plus que les images soient véridiques mais soulève des doutes sur deux points que Yann Moix a tenu à éclaircir.
Selon le préfet, les propos de l’un des trois CRS à avoir témoigné devant la caméra de Yann Moix ne devraient pas être pris en compte puisqu’il ne résiderait pas à Calais. Ce à quoi Yann Moix a répondu :
«Vous voulez faire de l’exemple, monsieur le “Préfet” ? Alors commencez vous-même par être exemplaire. Mais comment pourrait-on prendre au sérieux un “Préfet” qui ne sait même pas qu’un fonctionnaire de police puisse à la fois être domicilié hors de Calais et y intervenir ?»
Le préfet avait également émis des doutes quant à la date des enregistrements de Yann Moix : «Des images que vous représentez comme des preuves de violences policières aujourd’hui semblent [sic !] montrer en réalité des opérations de maintien de l’ordre au temps du bidonville de la Lande, avant octobre 2016», a-t-il écrit. La réponse de Yann Moix est lapidaire :
«Vous prétendez en outre que ces images auraient été filmées en 2016, alors que j’ai toutes les preuves de leur captation en 2017. Pensez-vous qu’en affirmant des contre-vérités vous pourrez justifier l’injustifiable faute de pouvoir le nier ?»
La préfecture de Calais semble chercher des boucs-émissaires
Alors qu’aussi bien le président de la République que le préfet du Pas-de-Calais ont affirmé que «Tout agent qui se rendrait coupable de tels agissements [les violences policières pointées par Yann Moix. NDR] serait immédiatement sanctionné.», Yann Moix dénonce une tactique de recherche de boucs émissaires :
«Faisant preuve à la fois d’imprudence et de déloyauté, vous vous permettez d’ajouter que “tout agent qui se rendrait coupable de tels agissements serait immédiatement sanctionné, avec la plus grande sévérité, sur initiative de [votre] part”.
Imprudence envers vous-même : les associations et autres bénévoles possèdent comme moi quantité d’images qui sont en train d’affluer, constituant d’ores et déjà, à l’instar des miennes, les preuves définitives de ce que j’avance et maintiens.
Déloyauté envers vos hommes : vous annoncez que les policiers qui auront eu le malheur d’être identifiés à partir de mes images serviront d’exemples (c’est-à-dire de boucs émissaires) afin que ne s’abatte point sur les donneurs d’ordres la sanction promise à ceux qui les ont exécutés.»
Une nouvelle «bavure» a causé la perte d’un œil à un migrant de 16 ans
L’auteur dénonce également une terrible exaction policière, commise le lendemain même de la parution de la lettre du Préfet du Pas-de-Calais :
«A vous lire, je regrette, monsieur le “Préfet”, que vous soyez davantage préoccupé par votre prose que par votre tâche. Le contraire eût évité qu’au lendemain même de votre lettre de cachet une nouvelle “bavure” ne fût commise de la part d’un CRS, causant la perte d’un œil à un jeune exilé de 16 ans. J’entends bien que nul n’a jamais donné l’ordre au moindre CRS de crever l’œil d’un enfant ; mais les ordres donnés contiennent à tout moment la perspective d’un œil crevé d’enfant. Preuve hélas en est faite.»
Et Yann Moix poursuit en déplorant que les conséquences des ordres donnés aux CRS ne soient pas anticipées par l’Etat :
«Que vous vous accrochiez à votre place ne vous autorise pas à décrocher de votre poste. Quand plus personne n’arrive à distinguer un ordre et les conséquences de cet ordre, c’est que la situation est grave. Et que la plus grande confusion règne au sommet de l’Etat.»
Yann Moix : «Je vous demande solennellement de m’attaquer en diffamation.»
Yann Moix souligne que ni lui ni les trois CRS ayant témoigné dans son film n’ont été attaqués en diffamation, ce qui aurait pourtant dû être le cas si leurs propos n’étaient pas véridiques :
«Sur les images de mon film, trois CRS, dont un seul, le sans-grade, a voulu rester anonyme, témoignent de cette violence systématisée et de ces pratiques connues de tous – à l’inimaginable exception de votre hiérarchie et de vous-même. Ces agents ont-ils été, depuis, poursuivis ou sanctionnés pour avoir menti ? Non. Pas davantage que moi même. Et pour cause.»
L’auteur finit sa lettre en prenant au mot le préfet. Puisque ce dernier prétend que les preuves n’en sont pas, Yann Moix demande à ce que le gouvernement aille au bout de sa logique et l’attaque en diffamation.
«Mon devoir était de porter à la connaissance du public la situation d’un Etat hors la loi sur son propre territoire. Le vôtre est désormais de saisir la justice en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale, afin que soient condamnées sans délai les insoutenables voies de fait que j’ai signalées à l’autorité publique.
J’ai fait mon devoir. Ferez-vous votre travail ? J’en doute. Car si vous aviez voulu le faire, vous l’auriez fait depuis longtemps. Aussi, la Justice que vous avez l’outrecuidance d’invoquer, je vous donne l’occasion de la saisir enfin. Je vous demande solennellement par la présente de m’attaquer en diffamation.
Je le demande parce que la vérité l’exige. Je le demande parce qu’il faut que la vérité l’emporte, et qu’un jugement condamne au nom de la République et du peuple français les exactions outrageantes que vous laissez commettre abusivement au nom de cette même République et de ce même peuple français. En laissant commettre ces crimes, c’est vous qui les commettez.»
Sa conclusion est tranchante :
«Vous prétendez que les faits me donnent tort. Je vous somme de demander aux tribunaux de vous donner raison.»
Le gouvernement osera-t-il attaquer Yann Moix en diffamation ?
Bravo monsieur Moix. Courage, car parfois il faut du courage pour dénoncer ce qui ne doit pas l’être au vu de certains.