Retour à Calais le jour de Noël.
Tandis qu’en Europe c’est un jour de maisons allumées et de saumons fumés, dans le camp de Calais on distribue des vestes, des imperméables et des pantalons chauds, comme n’importe quel autre jour de l’année.
Les files d’attente lors de ces distributions durent au moins deux heures et sont toujours épuisantes pour les sept mille réfugiés qui ne sont que quelques centaines à repartir avec quelque chose, le plus souvent ils repartent les mains vides.
Deux heures d’angoisse à douter entre de se taire et dénoncer haut et fort celui qui saute la longue queue, essaye de se servir deux fois, ou revient échanger un vêtement trop vite choisi risquant ainsi de faire dégénérer la situation en bagarre générale.
Femme, enfants et personnes âgées font valoir timidement leur priorité, pourtant si difficile à faire accepter dans de telles conditions.
C’est ainsi qu’après quelques minutes de distribution, un vieux monsieur qui me dit être soudanais, fait un pas en avant et tend fébrilement la main pour saisir un imperméable anglais que je viens à peine de sortir d’un carton rempli à ras bord. Il le prend et l’essaie, indécis. Il se regarde de côté en formant un grand C, comme pour prendre du recul. Je comprends qu’il lui plaît, il est effectivement en très bon état. Mais sans doute trop léger pour ce froid. Cela me rappelle que les mots de Dostoïevski dont la beauté doit sauver le monde ne sont que des mots. Finalement, il me fait un signe et, reconnaissant, repart les mains dans les poches résigné à son destin.
La distribution reprend son cours, un jeune homme kurde d’une vingtaine d’année insiste pour avoir quelque chose de noir afin d’être moins visible de la police aux frontières, tapi dans l’obscurité d’un wagon ou d’un camion.
Les minutes passent, puis le vieux monsieur revient. Il me fait signe, il veut me parler.
J’imagine déjà : il a découvert un trou à l’imperméable ou alors réalisé que ses manches étaient trop courtes ou trop longues, ou préfère tout compte fait la chaleur d’une doudoune.
Je lui fais signe de se rapprocher, en prenant le soin de calmer le jeune de 20 ans qui a peur que sa veste noire ne lui échappe.
A ma grande surprise, le vieux monsieur ne me rend pas son imperméable mais en sort de la poche un billet de 100 €.
— Incroyable Monsieur ! Quelle chance ! Mais d’où sort-il?
— De cette poche, Monsieur.
— Formidable, cela vient vraiment de votre poche ?
— Oui Monsieur.
— Alors c’est un signe. C’est votre cadeau de Noël, dis-je joyeusement.
— Mais ce ne sont pas les miens… me dit-il tout aussi gravement.
— Peu importe ! Maintenant, ils le sont.
Il me regarde en silence. Je souris et essaie de lui expliquer que la chance lui a fait un cadeau juste le jour de Noël.
Mais il ne veut rien savoir.
— Ils ne sont pas à moi, répète-t-il.
— Eh bien quelqu’un a dû les oublier dans l’imperméable avant de le donner, suis-je entrain de le rassurer.
Mais la main reste tendue vers moi avec l’argent.
Je comprends qu’afin de le convaincre je dois saisir le billet.
Une fois dans ma main, je déplie et réalise qu’un petit papier a été joint à l’intérieur. Je lis d’une belle écriture anglaise :
« These are for you, unknown man in search of freedom. I hope that this little money and this simple jacket will help you in your quest for liberty« .
Je relève la tête et regarde le vieil homme.
Une larme coule sur mon visage. Presque instantanément, une larme coule du sien.
L’adage rappelle que le bien ne se dit pas. Il se fait.
Rien de tel qu’un geste aussi simple mais en même temps aussi audacieux que celui de mettre un billet de cent euros dans un vieil imperméable pour le rappeler.