Ce 6 janvier 2018, sur le plateau de On n’est pas couché, Yann Moix a vivement interpellé Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement et secrétaire d’État au premier ministre, à propos des conditions de vie déplorables auxquelles sont confrontés les migrants à Calais :
«J’y passe régulièrement des jours et des nuits depuis quelques mois. Et ce que j’y vois de l’honneur de la République, Monsieur Griveaux, ce sont des CRS qui gazent les couvertures de jeunes migrants de 18 à 25 ans, qui gazent l’eau potable de jeunes migrants, qui tabassent des jeunes migrants qui sont soignés gratuitement par l’État parce qu’ils ont été frappés par la police la veille. […] Si l’honneur de la République est de frapper des enfants à coups de matraques ou de gazer l’eau potable, et d’utiliser des termes comme kyste ou enkyster, je n’appartiens pas à la même République que vous.»
Alors que le porte-parole du gouvernement se réfugiait derrière un sempiternel «si les faits sont avérés…» ; la préfecture calaisienne a réfuté les faits pointés par Yann Moix à travers de nombreux tweets.
Violences policières : secret de polichinelle
Les violences des CRS dans la «Jungle de Calais» puis, après son démantèlement, autour des autoroutes où les migrants tentent de se cacher sous des camions pour rejoindre l’Angleterre, sont pourtant dénoncées, depuis plusieurs années, par les associations de défense des Droits de l’Homme et de protection des migrants.
En 2015, l’association Human Rights Watch, publiait un réquisitoire contre la brutalité infligée aux réfugiés avec vidéos et témoignages écrits à l’appui. Peu médiatisées, ces alertes sont restées lettres mortes.
Près de deux ans plus tard, un tournant important dans la défense du droit des migrants a eu lieu. Alors que le démantèlement de la «Jungle de Calais» se préparait, une demande de rapport quant à l’utilisation abusive de gaz poivre par les forces de l’ordre, a été déposée. Suite au rapport détaillé sur les situations de violences à Calais, publié le 26 juillet 2017 par Human Rights Watch, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, avait sobrement demandé de «pouvoir avoir une vision à la fois précise et impartiale des faits».
Kenneth Roth, directeur exécutif de l’association, avait partagé ce même jour un tweet vidéo pour expliciter la situation.
D’autres images de violences policières avaient été diffusées dans les jours précédents par la chaîne «Jungle News», média de proximité pour les populations migrantes, créé à l’initiative d’Arte et d’Hikari Presse.
Trois mois plus tard, en plein démantèlement de la «Jungle», le rapport avait reconnu :
«des manquements plausibles à la doctrine d’emploi et à la déontologie des forces de sécurité intérieure», évoquant des «blessures au visage et sur le reste du corps» et «un usage disproportionné des aérosols lacrymogènes, la destruction d’affaires appartenant aux migrants, ainsi que le non-respect du port du matricule».
Encore ce début janvier, l’association «l’Auberge des migrants», qui intervient depuis 2008 auprès des exilés dans les Hauts-de-France, dévoilait des situations d’abus :
Le 2 janvier 2018, elle dénonçait l’illégalité de l’enlèvement par la police, de trois migrants (dont deux mineurs) qui cherchaient un hébergement d’urgence dans le cadre du plan grand froid.
Le 5 janvier 2018, l’association dénonçait le gazage de la porte de leur entrepôt.
Couvrez ces blessés que je ne saurai voir
Le 8 janvier, deux jours après l’intervention de Yann Moix dans ONPC, Benjamin Griveaux a demandé à ce que les preuves filmées soient remises à la justice.
Des associations impliquées sur le terrain ne se sont pas privées de rappeler que les dites preuves étaient déjà disponibles depuis longtemps pour qui gardait les yeux ouverts. La Cimade, association militant depuis 1939 pour la défense du droit des migrants et des demandeurs d’asile, a appuyé les paroles de Yann Moix.
L’Auberge des migrants, qui apporte une aide quotidienne aux réfugiés de Calais, a partagé un lien vers une liste de vidéos déjà diffusées sur Youtube depuis le 5 décembre 2017.
Et Spéranta Dumitru, maître de conférences à la Faculté de Droit et chaire d’excellence au Centre de Recherche Sens, Ethique et Société de Paris Descartes, a quant à elle diffusé directement des clichés des forces de l’ordre en action. Elle a également rappelé l’implication des Associations sur le terrain et attesté la véracité de leurs propos.
Yann Moix persiste et signe
Ce mardi 9 janvier, le romancier a répondu à France 3.
«Vous vous rendez compte de la gravité que ce serait pour moi dans une émission vue par plus d’1,5 million de téléspectateurs de rapporter des “on dit” ou de mentir. Ce serait gravissime. Tout ce que j’ai dit, je l’ai vu. Et je l’ai filmé. Je n’ai comme argument que ce que j’ai vu. Je ne me serais jamais permis de parler de quelque chose comme ça sans l’avoir vu et vécu.»
Il explique se rendre régulièrement à Calais pour le tournage d’un film pour Arte et rappelle que ce n’est pas la première fois qu’il évoquait ces exactions devant les caméras de ONPC.
«Ce que j’ai dit, je l’avais déjà dit quand Gérard Collomb est venu dans l’émission il y a quelques semaines. J’avais dit exactement la même chose dans une chronique dans Libé mais ça avait fait pschitt. J’avais aussi invité un membre de l’association Utopia 56 il y a 3 mois et on avait parlé de tout ça. Je ne sais pas pourquoi, cette fois, ça a pris cette ampleur.»
Et il conclut
«Mon but, c’est simplement de montrer ce qui se passe à Calais. C’est une sorte de cosmos hors du monde. Un endroit d’une grande complexité. Je n’y suis pas arrivé en jugeant ou en me disant “Il y a des méchants et des gentils”. Je donne la parole à tout le monde. J’ai rencontré des CRS très humains, qui font bien leur travail; des migrants violents, désagréables, inquiétants mais aussi des CRS très “limite” et des migrants extraordinaires. Je vais donner la parole à tout le monde. Je veux montrer tout ce qui se passe là-bas.»
P(er)S(istance) : Pour l’homme de la jungle, le sésame de la citoyenneté demeure la laïcisation de son âme et conscience. Que quelqu’un aille expliquer cela au président de la société France. Et lui souffle au passage que si la République est bien seule à se proclamer laïque, c’est d’elle pourtant, et d’elle seulement, que nous l’avons élu président.