La scène est désormais familière… Puisqu’il n’est plus invité par les médias – et ne se fait d’ailleurs pas prier pour le rappeler – Alain Soral pérore des heures face caméra, livrant directement le fruit de sa pensée nauséabonde aux internautes. Une tactique mûrement réfléchie, que l’idéologue déploie depuis déjà une décennie. Cette appétence soralienne pour le format vidéo est le fruit d’une longue évolution. Dans les années 1980 et 1990, le polémiste donne initialement la primeur à l’écrit. Il se rêve alors en essayiste influent et respecté. Son goût pour la mode, développé dans plusieurs écrits et quelques apparitions télé, lui fait accéder à une petite notoriété dont le jeune mondain se sert comme d’un marchepied. Son objectif : la gloire littéraire ! C’est pourtant un destin à peine moyen de journaliste-pigiste qui l’attend… En 1991, une étincelle. Croyant fermement en la possibilité de réaliser son premier gros coup éditorial, l’auteur imite le Journal d’un raté de Limonov et publie, chez Plume, Le Jour et la Nuit, ou la Vie d’un vaurien. Un flop. Rejeté par le monde des lettres, Alain Soral va doucement migrer vers la politique. C’est en intégrant des groupes satellites du Parti Communiste et en frayant sans complexe avec le réseau rouge-brun de Jean-Edern Hallier, qu’il va se forger ses premières expériences militantes. Qui fréquente-t-il alors ? Des artistes, des militants, des agitateurs. En un mot : le microcosme croisé au hasard des nuits parisiennes, du temps de leur splendeur. Dans leur enquête, Le Système Soral : Enquête sur un facho business (Calmann-Lévy, 2015), les journalistes Robin D’Angelo et Mathieu Molard interrogent l’écrivain Simon Liberati. Ce dernier affirme s’être encarté au PCF avec Soral dans les années 1990, plus par nostalgie que par adhésion à une doctrine : «On était une bande de farfelus qui aimaient l’idée d’être au PC, raconte-t-il. C’était très dévalué à l’époque parce qu’il y avait eu la chute du mur. On trouvait ça dommage que le parti disparaisse comme l’Eglise catholique avait disparu.» Tandis que ses néo-camarades s’encanaillent gentiment, Soral entame, lui, son grand dévoilement. Lorsqu’il s’agit de dater l’apparition de son obsession pour les juifs et le pouvoir, ses biographes remontent à cette période. Le peuple élu qui obnubile tant l’auteur n’est pourtant pas sa seule cible, loin s’en faut. Dans deux livres publiés chez Blanche, son éditeur historique, Soral se met à développer le socle viriliste d’une pensée clairement réactionnaire. Une révolution copernicienne se produit alors, un virage à 180 degrés menant le franco-suisse de la littérature vers le combat d’idées. Sociologie du dragueur (1996), puis Vers la féminisation ? Démontage d’un complot antidémocratique (1999) permettent à Soral de développer sa misogynie crasse et les premières traces d’une pensée antiféministe virulente, totalement passée sous le radar à l’époque. Comme un clin d’œil à celui qu’il était, l’idéologue, disposant aujourd’hui des moyens de rééditer ses livres, a fait réimprimer ses œuvres de jeunesse. Des livres qui subissent régulièrement transformations et réécritures. C’est ainsi que Vers la féminisation ? s’accompagne désormais d’un nouveau sous-titre évocateur : Pour comprendre l’arrivée des femmes au pouvoir. Une revanche à retardement pour ce loser des belles lettres qui ne cessera de durcir son propos pour parvenir à se faire écouter…

 

PC, FN, Egalité & Réconciliation : petit résumé des tentatives politiques soraliennes

Dans un article intitulé Un poseur, un imposteur publié sur le site du Parti Communiste, l’intellectuelle Danielle Bleitrach raconte comment Alain Soral a construit de toute pièce la légende de son militantisme rouge. «Étrangement, écrit-elle, personne aujourd’hui au PCF ne se souvient du passage d’Alain Soral. Ce dernier donne bien le nom de l’entité à laquelle il appartenait, “la cellule Paul Langevin”, mais cette appellation est tellement courante qu’il est impossible à ce jour de retrouver des militants affirmant avoir rencontré Soral». Dérivant inextricablement vers les égouts idéologiques que sont le populisme, le nationalisme et l’antisémitisme, Soral va logiquement se rapprocher du FN. Dans l’ombre d’abord, il commencera par rédiger des notes, dispenser des conseils stratégiques, se rêver en spin doctor d’un parti où Marine Le Pen prépare un parricide doublé d’une pseudo dédiabolisation. Mais l’aventure tourne court… Qualifié de «pervers narcissique» par l’actuelle dirigeante du Front National, Soral aura réussi le tour de force de se fâcher avec toutes les tendances de l’attelage frontiste, effrayant les nouveaux venus, insultant la vieille garde. Esseulé, mis à la porte du dernier parti qui aurait pu accompagner sa soif de conquête politique, Soral fait alors l’amer constat de son propre échec. Des déboires qu’il impute sans surprise, au «lobby», comprendre «le lobby juif» coupable, selon lui, d’écarter «les goys» du pouvoir. Ce sont ces échecs successifs qui conduiront l’auteur de Comprendre l’Empire (Blanche, 2011) à créer sa propre structure. Son nom : Egalité & Réconciliation, une association reposant dès son origine sur deux piliers : un volet propagandiste d’une part, une plateforme commerciale de l’autre. Derrière Soral et E&R : Philippe Péninque et Jildaz Mahé O’Chinal. Deux figures troubles de la droite nationaliste des années 90.

A Assas, accompagné de l’argentier caché du FN Frédéric Chatillon, le petit groupe formait alors le noyau dur du GUD. Surnom : les «Waffen Assas». Rodé à l’action violente, coutumier des manœuvres financières destinées au financement d’aventures personnelles autant que politiques, le trio n’a jamais vraiment abandonné ses idéaux de jeunesse. Avec Soral, ces hommes ont trouvé un leader entretenant puissamment leur imaginaire fasciste. Une figure capable d’incarner un combat radical et de capter un auditoire. Ses armes : le coup de poing parfois, la fuite souvent, l’homophobie, la misogynie, le racisme, le révisionnisme, l’antisémitisme et l’islamophobie. Une recette qui marche ! Selon Robin d’Angelo et Mathieu Molard, en dépit de son caractère essentiellement virtuel, Egalité & Réconciliation revendiquait, en 2014, «12 000 adhérents, à jour de cotisation». «Un chiffre sans doute gonflé, estiment les deux journalistes». D’anciens cadres interrogés évoquent tout de même une fourchette allant de 5000 à 10000 adhérents, ce que confirment les audiences des directs vidéos réservés aux membres. Des chiffres qui feraient d’E&R la structure politique la plus importante située à la droite du FN.

 

La création d’une machine de guerre : le premier site politique français!

La petite entreprise sorélienne ne connaît pas la crise. Selon les estimations de Molard et d’Angelo, grâce à l’hypothèse basse de 5000 adhérents payant leur cotisation de 20 euros à Egalité & Réconciliation, l’association aurait récolté 100 000 pour la seule année 2014. Tout cela, sans compter les ventes de produits dérivés, de livres, de DVDs, de vêtements – la mécanique capitaliste fonctionne ici à plein, tout est bon pour engranger du profit – ainsi que les abonnements pour visionner le contenu vidéo «exclusif» produit par Soral et ses amis. On touche ici à la tactique profonde de l’association. Depuis son ouverture en avril 2007, Egalité & Réconciliation a développé une stratégie rudement efficace pour fidéliser un public massif. Ses moyens d’action privilégiés : Internet et le format vidéo. Cette évolution répond à une certaine logique. En quête d’une audience accrue, Soral et son média alternatif ont fait le même calcul que les médias traditionnels : capitaliser sur le pouvoir des images pour capter un public délaissant le papier au profit des écrans. Autre objectif : rajeunir sa cible. Puisqu’Internet est devenu le terrain de recrutement préférentiel de toutes les pensées fortes, droite radicale, islamistes conquérants et complotistes de tous poils s’en donnent à cœur joie. Dieudonné avec sa Dieudosphere.com et Soral avec www.egaliteetreconciliation.fr ne se sont pas fait prier pour s’engouffrer dans la brèche. Leurs sites enregistrent aujourd’hui des scores d’audience hallucinants.

Comment l’idéologue utilise-t-il son image virtuelle ? Le mode opératoire est toujours le même : assis sur un canapé, parfois entouré de livres, Alain Soral répond aux questions d’un intervieweur et à celles des internautes. Certaines vidéos sont diffusées en direct, certaines autres sont enregistrées, montées, agrémentées d’images d’archives et de musiques dramatisant le propos. Selon l’actualité, l’idole rouge-brune s’autorise à ponctuer son allocution d’allusions politiques, de considérations sociologiques, de saillies prétendument humoristiques et de phrases calibrées pour susciter le buzz. A en croire les commentaires et l’amoncellement de pouces bleus validant le propos, l’auditoire se régale !

Coupons de suite le sifflet à ceux qui estiment que l’on en fait trop avec Soral. Les chiffres viennent bien valider son essor. Selon le sociologue Antoine Bevort, enseignant au CNAM : «Égalité et réconciliation est le premier site politique français, et obtient 8,1 millions de visites mensuelles». Pour mesurer l’ampleur de la performance, il suffit de comparer les 8,1 millions de visites mensuelles de l’entreprise soralienne aux 1,2 million de visites sur le site du Sénat ou aux 340 000 visites sur le site de l’Elysée. De quoi frissonner… D’ailleurs, l’engouement ne se limite pas au seul site d’Egalité et Réconciliation. Puisque l’association fait feu de tout bois, on la retrouve sur Youtube (où ses vidéos atteignent régulièrement les 300 000 vues), Facebook (où E&R compte plus de 170 000 abonnés). Mais le meilleur indicateur des audiences soraliennes reste certainement les statistiques livrées par Dailymotion. En jouant la transparence, la plateforme vidéo dévoile qu’avec 842 vidéos uploadées, l’association nationale-socialiste a engrangé 39,3 millions de vues.