Il n’y a pas de doute : Anne Hidalgo est pleine de bonne volonté. Songez par exemple à la dernière affiche estampillée ville de Paris. Très habile, je dois dire : en gros caractère, vous avez faisons l’amour ; en plus petits caractères, en bas, vous avez sans sida ; et puis, comme toujours, vous découvrez à la fin ce qui est au milieu, ce qui est intermédiaire, bref : «de Paris la ville de» ; ce qui donne : faisons de Paris la ville de l’amour sans Sida. Oh la belle bleue, comme on dit dans les feux d’artifices.

Y a pas de doute, on s’occupe de vous, à Paris. En tous cas, on le communique.

C’est un peu le même sentiment qu’on éprouve, quand on regarde M. Emmanuel Macron, président de la République, en train de disposer ses objets sur sa table, son smartphone, ses livres, afin de préparer son image. Le général de Gaulle, Stendhal et André Gide : oh la belle bleue, oh le beau rouge – mais tout de même, Gide était rentré d’URSS. Rouge un peu, mais juste ce qu’il faut.

Tous ces gens, c’est extraordinaire, sont plein de bonne volonté. Ils veulent que «ça marche, la France» – et pour cause, puisqu’elle est en marche. Regardez les efforts de Paris, ville monde, pour offrir une plage aux gens, pour sauver le climat, pour ressusciter l’économie, l’initiative, l’entreprise, tout cela. Des gens se plaignent et sont négatifs pour être négatifs – comme ces députés qui n’iront pas à Versailles – et pourtant, comme c’est charmant, nous irons à Versailles, compter les petits moutons.

Nous pouvons nous dire, en somme, qu’avec ces gens-là, comme Anne Hidalgo ou Emmanuel Macron, nous sommes garantis de sollicitude. Vélos, loisirs, que sais-je, rooftops. Oui, la France, hier menacée de devenir un musée, est en train de devenir un rooftop. Hier, cela s’appelait la Nüba – pour n’oser pas dire nouba. Mais à présent, pour inscrire plus avant cette boîte, fierté de la mairie de Paris qui a son hyperlieu hyperbranché, cela s’appelle Communion, 36 quai d’Austerlitz. Berlin est concurrencé, Londres est distancé, Barcelone est ridiculisé, grâce à notre sœur Anne. Oui, mes frères, nous communions tous dans la bonne volonté d’Anne Hidalgo, héritière des maires du palais comme l’Emmanuel l’est des rois oints de droit divin. Oh la belle jaune.

Précisément, j’habite en face de Communion, ex-Nüba, hyperrrooftop. J’ai commencé par le découvrir un beau soir où j’en vis briller les néons rougeoyants, tandis que les petits insectes, au loin, qui s’y déplaçaient, comme les sapins sur une vaste montagne. Exquis. Puis vint le bruit. Boum. Boum. Boum. Et reboum. Ça ne s’est plus jamais arrêté.

Cadeau de la ville à sa conscience de soi branchouille, à ses masses dansantes, à ses élus numériques le jour, électros la nuit. J’habite dans une HLM, avec des Arabes, des petits français, et deux juifs. Des gens qui tous les jours, se saluent très poliment, parce que les HLM sont les derniers refuges de la politesse, comme chacun sait. Ailleurs, on se dit bonjour comme un tigre qui fait la roue, si j’ose la concaténation des métaphores.

Il se trouve que, depuis trois ans que le hyperrooftop est en action, grâce à la bonne volonté de Mme Hidalgo, nous avons les nerfs broyés, soir après soir, nuit après nuit, par le bruit atroce dudit Rooftop. Mais nous vivons en HLM, alors nous avons de la chance, car Mme Hidalgo s’occupe de nous. Comme elle s’occupe de tous les parisiens, pour les aider à faire la fête, du business et l’amour.

Le soir vient, et voilà, pendant que le Paris vivant communie à sa identité fervente qui se décline dans l’ostinato d’un beating tout ce qu’il y a de mécanique, moi, je m’enfuis littéralement de chez moi. Mes nombreux enfants, eux, vaquent à leurs occupations, devoirs percés, sommeil bombardé, rythmés par la Communion. Ben oui, dit ma sœur Anne, il n’y a rien de plus chic qu’une boîte en plein air. Pourquoi fuis-je, savez-vous pourquoi ? Pour travailler, parce que le soir, les crétins de mon espèce, qui prétendent écrire des livres et qui travaillent le jour, ont décidé de travailler la nuit. Mais Mme Hidalgo, qui a tellement de bonne volonté qu’elle a inventé le concept d’une boîte en plein air sur le toit, le fameux hyperrooftop, ne l’entendait pas de ce ton-là. Les voisins et moi avons déposé une quarantaine de mains courantes contre la persécution sonore de la Communion bienveillante de Paris, 36 quai d’Austerlitz. «Vous pouvez toujours rêver. Ils ont le bas long», leur ont confié les «flics». En tous cas, ils sont injoignables.

Eh oui, très chère maire, ou mairesse, comme vous voulez. Communion, que vous le vouliez ou non, c’est vous.

Je voudrais faire de ma misérable petite histoire personnelle l’occasion d’un constat.

Les rois étaient des tyrans, sans aucun doute. Mais sans aucun doute aussi, le fardeau du politique et du social était le leur. Ils jouissaient, mais ils souffraient aussi de leur pouvoir. Pendant ce temps, Racine pouvait écrire ses tragédies ; Champaigne pouvait peindre le Grand Arnault ; Mozart avait le droit d’écrire son Figaro d’une main, même si Joseph, qui fut tout encore une fois trop bon, faillit le lui prendre de l’autre. Cette fois, grâce à la bonne volonté de ma sœur Anne, que nous le voulions ou non, nous sommes requis de participer. Nous sommes tous les courtisans de Versailles, et on nous occupe, qu’on le veuille ou non. A moi, tous les soirs, Communion hurle : «Espèce de con prétentieux! Lâche ton stylo et viens danser!»

Les temps qui viennent vont s’assombrir encore. Ce que je veux dire, c’est que la zone qui nous sera laissée, dans ces loisirs obligatoires, dans cette digitalitude exigée, dans cette performance impérative qui nous cerne et nous enchaîne, va devenir de plus en plus petite, de plus en plus parasitée par leur bruit, comme ma pauvre maison l’est par le beating, boum boum qui nous poursuit jusque dans nos lits, de la Communion, qui élève Paris au rang des villes monde, réjouissez-vous, non de non! On peut compter sur les nouvelles technologies. Nos tyrans d’hier étaient des petits joueurs ; nos tyrans d’aujourd’hui sont les gentils organisateurs de la tyrannie exercée par chacun sur chacun, car il faut que tout le monde jouisse, soit un artiste, et soit branché, c’est-à-dire, en définitive, soit un insecte humain, comme on l’apprend mieux qu’ailleurs sur le Rooftop de la cité de la mode.

Qu’hier, être un homme de lettres signifiât que sais-je, avoir du temps libre pour écrire de grands choses ; qu’hier, faire silence signifiât, que sais-je, avoir le loisir de laisser venir une pensée inconnue ; qu’hier, ne rien faire fût la seule irréfutable et universelle faculté de tous les hommes, fort bien. Oubliez tout cela, et venez faire la fête.

Merci, ma sœur Anne, pour les trois ans d’enfer que ta vocation de Sainte Vierge de l’âge moderne m’a offerts. Ce fut l’occasion, conformément à ta vocation mariale (avez-vous encore assez de cervelle pour vous souvenir, entre deux boum boum, qu’Anne était la sœur de Marie?) de me réjouir de mourir, tout de même, un jour, pour quitter un monde qui se met à faire tellement boum boum qu’il n’y aura bientôt plus un seul endroit où se cacher.

 

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