Connaissez-vous Lisa Vignoli, plume élégante officiant au M, le magazine du Monde ? Née en 1987 – comme votre serviteur – la jeune journaliste y écrit sur la vie et l’œuvre des autres. Acteur, chanteurs, réalisateurs, écrivains… Tous y passent ! Vignoli fouille méthodiquement, déchiffre, exhume les souvenirs. A chaque fois, il s’agit de textes enlevés, de belles pièces qui donnent envie d’en lire plus. Fallait-il en rester là ? Depuis un moment, le petit milieu bruissait. On se disait : il faut que cette journaliste écrive un livre ! La barre fatidique des trente ans arrivant, la portraitiste originaire de Marseille s’est enfin décidée à sauter le pas. Tant mieux ! Dans son premier livre, Parlez-moi encore de lui, la primo-romancière ramène à la vie le journaliste et auteur Jean-Michel Gravier. Roi secret d’une époque où tout était plus libre, l’autre «JMG» – pas Le Clézio – a vécu mille carrières en une. Figure mondaine des années 1980 – 1990, tour à tour chroniqueur, confident d’Adjani, homme de radio, entremetteur et fan de Beineix, Gravier était à la fois craint et respecté. Une plume rare et précieuse, marquante car infiniment libre dans un monde qui se rétrécissait sans que l’on ne s’en aperçoive encore. Un monde bientôt en chute libre : le journalisme…

 

Ceux qui ont croisé Gravier se souviennent de lui, de ses marottes, de sa voix tirant vers les aigus, de son balancement incessant entre bienveillance et acidité. En interrogeant Caroline Loeb, Dominique Besnehard, Bruce Toussaint et Isabelle Adjani, Lisa Vignoli a retracé le parcours de cet homme libre. Comme cela se fait aujourd’hui, la romancière a mis en scène ses recherches sur le mode de la biographie subjective. En résulte un livre dans la grande tradition romanesque de la maison Stock, servi par une écriture intime, féminine et précise. Son grand mérite : ne jamais pêcher par excès de narcissisme, ne jamais passer par dessus son sujet d’écriture. La star ? C’est ici Gravier et Vignoli le sert à merveille. Encore un mot du style. Parlez-moi encore de lui est une réussite car il raconte hier comme on raconterait aujourd’hui. Le ton est moderne, les chapitres s’enchainent sans pesanteur. L’hommage véritable à JMG réside justement dans cette modernité «branchée» qu’aurait certainement adorée le «populaire» grenoblois rapatrié d’Algérie. Petit bémol néanmoins : il se peut que la romancière ait parfois trop respecté son héros à force de vouloir le réhabiliter. Pour s’en convaincre, il suffit de cerner ce qu’aurait pu devenir Gravier à l’heure de Twitter. Certainement un «troll» excitant la twittosphère, multipliant les formules assassines en 140 signes, jouissant de ses effets. Pour ce «critique» dans l’âme, quelques pages sonnent ainsi un peu trop courtoises et polies. Mais on pardonne aisément à Vignoli, son objectif est supérieur. Il s’agit d’extirper Gravier de lui-même, peut-être même de le sauver…

 

Plongée dans les abysses. Au fil des pages, se dessine peu à peu le portrait d’un JMG empêtré dans sa dualité. Si léger en apparence, ce dernier se révèle terriblement angoissé par la perspective de ne léguer aucune œuvre à la postérité. La télé et la radio ne suffisaient pas à cet amateur de lumière. Il voulait le summum : la gloire littéraire. Dès lors, comment écrire, à qui confier ses manuscrits, comment faire passer le message de sa déchéance physique ? Voilà un exercice périlleux dans lequel Gravier s’est certainement abimé, perdant par la même occasion ses ultimes illusions sur le monde de la nuit et ses amitiés factices. Dualité donc et toujours cet univers balançant entre insouciance et gravité, années fric et bohème chic, dans lequel l’auteure nous replonge. Parlez-moi encore de lui, c’est un peu les années 1980 comme si on les vivait à nouveau. On (re)découvre ainsi l’apparition soudaine du SIDA avec effroi. Gravier en souffrira. Il en périra. Ces pages sont fortes. Dans sa gigantesque chronique du Figaro Magazine, parlant du livre de Vignoli, Frédéric Beigbeder s’autorise un jeu de mots qu’il qualifie lui-même de «minable» : «Gravier c’était Truman sans capote». Tout est peut-être là… Puisque les années 1980 constituent désormais un lointain souvenir, nous conclurons autrement. En saluant par exemple le travail de recherche de Vignoli. Lorsque Gravier encensait ou flinguait la dernière starlette parisienne à la mode dans Le Matin de Paris, la romancière n’était pas encore née…