Après un récit autobiographique et deux recueils de nouvelles, Georges-Olivier Châteaureynaud revient au roman avec Aucun été n’est éternel. Aymon a dix-huit ans, il étouffe chez lui entre ses vieux parents, son père Eudes qui agonise et sa mère-poule Rochelle. Nous sommes en 1965, époque où l’on prend et fait la route après avoir découvert la beat-generation, où l’on écoute Bob Dylan et Bert Jansch, où l’on explore les possibilités du haschich, de l’héroïne et du LSD. Aymon part avec la lymphatique Cécile qu’il connaît à peine, et tous deux se retrouvent à Athènes au cœur d’une petite bande composée de dealers, d’un guitariste talentueux, de junkies de toutes sortes et de figures singulières – Anji l’anorexique qui alterne les fixes et les cuites ; Crevard, sorte de zombie maladif qui a usé sa santé sur les chemins de Katmandou ; Naze le néo-nazi qui arbore sur sa main droite une croix gammée tatouée. De pensionnaire d’auberges de jeunesse en invité toléré dans des fêtes somptueuses, Aymon se laisse emporter dans un tourbillon où il ne maîtrise rien. Il suit le mouvement, d’Athènes à Tanger, puis à Londres.
Aymon semble traverser cet été 65 en presque somnambule, sa seule véritable décision ayant été de quitter l’appartement familial alors que son père allait rendre l’âme. Parfois, dans son périple, Aymon a des sursauts de conscience. Il pose alors sur le monde insouciant qui l’entoure un regard affolé, imaginant les corps jeunes de ses congénères comme des mécaniques organiques vouées à la mort prompte ou lente. Les anti-héros de Châteaureynaud sont en général des inquiets qui tentent de dépasser leurs angoisses, mais qui tous, toujours, portent sur leur existence, et la nôtre par ricochet, un regard philosophique et existentiel. Aymon, le bac tout juste en poche, se jette dans l’aventure beatnik comme on se jette dans le grand bain pour la première fois, en fermant les yeux, angoissé et confiant. On verra bien… C’est un adolescent qui quitte Paris, et un jeune homme qui y revient. Car il revient. Il a échappé à l’overdose quand d’autres y ont succombé, il a appris de ses bad trips et de son chemin estival, il a découvert la peau douce des filles.
Aucun été n’est éternel nous emporte dans une parenthèse plus ou moins enchantée. L’insouciance de la jeunesse y côtoie le calcul commercial – les dealers à l’affut tirent de substantiels bénéfices des ventes effectuées auprès des beatniks, ils ont même leurs rabatteurs – ; les traîne-savates, ou plutôt traîne-tongs, traîne-espadrilles, partagent apparemment avec de riches héritiers des moments de complicité, mais à l’heure d’aller se coucher, il y a ceux qui regagnent leurs chambres de villas, et ceux qui dorment sur des transats ou dans des abris de jardin ; la modernité du mode de vie transgressif d’une certaine jeunesse – les baby-boomers à leur aube – s’inscrit aussi dans la continuité de l’Histoire récente. Le personnage de Naze, avec son tatouage, en est l’exemple le plus évident.
Georges-Olivier Châteaureynaud nous offre, avec Aucun été n’est éternel, un roman teinté à la fois de réalisme romantique et de nostalgie lucide. Un roman qui n’esquive rien des dérives et des périls de la drogue, dans lequel les accords de guitare et les paroles de chansons évoquent à la fois l’insouciance et le danger, un roman générationnel qui saura parler au plus grand nombre. Aucun été n’est éternel, et les vacances ne sont pas la vie. Mais… la vie passe aussi par des sursauts de rébellion intime et partagée, d’envie de prendre le large et d’aller voir ailleurs. Au XIXème siècle, déjà, on «faisait» l’Italie, l’Espagne, la Grèce et l’Orient. La génération d’Aymon a suivi la voie de Flaubert, ouverte avant lui par les Anglais de la villa Diodatti – Byron, les Shelley, sortes de pré-hippies adeptes de l’amour libre et du laudanum. Aujourd’hui, après le bac, bon nombre de jeunes filles et de jeunes gens prennent une année sabbatique avant de se lancer dans des études supérieures. Ils partent faire le tour de l’Europe, s’en vont découvrir les USA, l’Australie, la Nouvelle Zélande… Car la jeunesse, elle, est éternelle.