Bonsoir,

Nous sommes à présent à la fin d’un étrange entre deux tours.

Etrange, parce que, mis à part ce soir, et il faut saluer l’Ecole de la Cause Freudienne et La Règle du Jeu, le Front Républicain n’était nulle part. Rien depuis quinze jours. Partout, on a finassé, inversé, trituré – et pendant longtemps, le nouveau chic, c’était, si je puis dire, le kif-kif.

Et il a fallu le débat d’avant-hier pour que nous nous rendions compte que l’extrême droite de petite frappe et de vulgarité à la Bertholt Brecht était bien au second tour.

Pourquoi cette étrange défaite ? Comment avons-nous pu laisser à Marine Le Pen le seul soin de démontrer au pays qu’elle n’avait pas changé ? Comment avons-nous pu laisser à la seule Le Pen le monopole de la re-diabolisation ? Et pourquoi, même, sommes-nous surpris de l’avoir découverte si veule, vulgaire, éructante et hallucinante ? Pourquoi ce masque retiré par elle, avant-hier, et pas par nous ? Pourquoi un strip-tease plutôt qu’une investigation collective ?

Je ne sais pas en quelle qualité, exactement, je m’exprime ici devant vous. Mais en réfléchissant à cette intervention, je vois trois points de vue à partir desquels je puis parler.

D’abord, la jeunesse. Elle n’a pas besoin de porte-parole. On ne sait même pas si «la jeunesse», ça existe. Mais le fait est que – en faisant attention de ne pas prendre la partie pour le tout – j’appartiens à une génération, celle née entre le Mur de Berlin par terre et le 11 Septembre en l’air.

Ma première manifestation, j’avais huit ans, c’est le 21 avril.

Et je constate autour de moi, chez mes amis, une forme d’impensé : ni patrie ni patron, dit-on. Notre jeunesse – je ne veux pas voler le Péguysme à Yann Moix – notre jeunesse a peut-être moins de mémoire que les autres générations, et personne ne lui en voudra. Elle ne voit pas que notre République est un miracle, tout simplement parce qu’elle vit dedans, qu’elle la respire sans y penser. Et je dois dire que cette absence de Front Républicain, c’était, de la part de nos aînés, la pire des trahisons. Car il n’est pas absurde de dire que ce travail de pédagogie, de démonstration, et, osons le mot, de politique, personne ne le fait en direction de la jeunesse. Personne ne dit, ou le dit mal, qu’avant de combattre la finance, si le cœur nous en dit, il s’agit d’abord de sauver la France. D’où ce côté invertébré, tragiquement relativiste, puisque la glaise de nos consciences a été laissée intact. La jeunesse c’est aussi ce que nous voulons qu’elle soit.

Ensuite, je suis écrivain. J’écris souvent sur la politique. Et je dois dire, que j’ai longtemps considéré le Front National comme un objet, neutre, d’intérêt romanesque. Son histoire extraordinaire, et mal connue – où tous les seconds couteaux de Le Pen père ont disparu de manière propice, de François Duprat aux époux Stirbois. Quel roman ! Mais, précisément, ce n’est pas de la fiction. Ce n’est pas raconter la vie d’un personnage. Oui, ce relativisme romanesque, je l’ai aussi comme commentateur. J’ai peut-être aimé, comme tous les médias, cette manière de considérer le FN comme un grain de sel dans les élections. Peut-il gagner ? Les duels sportifs où les adversaires sont surprenants et menaçants sont toujours plus passionnants. Eh oui, nous avons été des sortes de maquignons de matchs de boxe, gonflant l’enjeu, et les antagonistes, pour la beauté du sport. En oubliant l’essentiel.

Et puis enfin, j’en terminerai là, j’habite à Hyères, dans le Var. C’est à côté de Toulon. Toulon, de 1995 à 2001 a été la pire expérience municipale frontiste. La plus scandaleuse, dans les deux sens du mot. Le palmarès est dur à établir mais on peut dire ça. Et dimanche dernier, le FN était en tête à Toulon. Il est d’ailleurs en tête, à quatre exceptions près, dans tout le département. Pourquoi ? Je n’ai, là encore, que peu de réponses. Nous avons manqué, certainement, d’hommes politiques locaux aussi courageux que Christian Estrosi, qui a dernièrement, préféré son honneur à ses électeurs. Peut-être, avons-nous trop peu dit que le sud, à la fin des fins, c’est la générosité. De la nature, des gens, des faveurs du ciel. Qu’au delà de son ouverture sur la Méditerranée, il n’est pas de méridionalisme sans cosmopolitisme. Pas de sud sans don de soi. Les Frontistes du sud ont inventé le fameux «On est chez nous». Avec mes amis nous le parodions par un non moins tautologique et absurde, «Ici c’est ici». Mais personne n’a le monopole du sud. Osons le mot : de son identité. On est pas moins provençal que les Frontistes. Nous aussi, et mieux que ceux-là, nous l’aimons et le connaissons. D’ailleurs, l’écrasante majorité des candidats FN sont des parachutés. Ou en tout cas, trahissent le sel et l’esprit de cette terre. Et, à la fin, oui, «on est chez nous». Mais je crois que tout le monde comprend ce que je mets derrière ce on.

Voilà, devant cette énigme du non-Front Républicain, je voulais brièvement creuser mes appartenances pour expliquer notre somnolence.

Voir un peu ce qu’il y avait derrière ce grand sommeil.

Mais je crois que si Emmanuel Macron est élu, comme je le souhaite, comme nous le souhaitons tous, c’est un travail d’élucidation qui ne fait que commencer.

Et on n’aura pas trop de tous les intellectuels, de tous les hommes et de toutes les femmes politiques, des psychanalystes, pour le faire.

Merci beaucoup.