C’est devenu un topos journalistique : la «vague Mélenchon» pourrait, qui sait, le hisser jusqu’au second tour. Et, le succès appelant le succès, c’est une surenchère de louanges pour les talents exceptionnels du candidat-phénomène, décrété «vieux sage» et nouveau converti à une certaine modération. Il n’est guère étonnant que de nombreux journalistes, prêts à voter pour lui, soient saisis d’enthousiasme. Il est également compréhensible que ceux du bord opposés – point les derniers dans l’éloge – se ravissent du transfert d’intentions de vote de Hamon vers Mélenchon : dans la perspective des législatives, le fantomatique Parti de Gauche serait pour les Républicains un adversaire autrement moins redoutable qu’un Parti Socialiste revigoré.

Le chômage et la transition énergétique

Il est cependant dommage que, de la petite chanson mélenchonienne, électeurs aussi bien que commentateurs ne paraissent retenir que l’air, et point les paroles. Celles-ci sont pourtant souvent stupéfiantes. Ainsi, le dernier tract de la France Insoumise assure-t-il qu’ «en redonnant sa souveraineté au peuple français, nous serons capables de créer 3,5 millions d’emplois» – comme par hasard les effectifs approximatifs du chômage, d’un trait de plume éradiqué. Parmi les postes de travail créés, la transition énergétique devrait en fournir pas moins de 900 000. Le secteur de l’énergie, au sens le plus large du terme, ne représente pourtant aujourd’hui que 600 000 emplois, et les prévisions les plus optimistes concernant la transition énergétique (celles du rapport de l’ADEME et de l’OFCE) mentionnent 330 000 emplois supplémentaires à l’horizon de 2030, et 825 000 pour 2050. Il sera urgent d’attendre…

 

L’Europe

C’est dans la vision du monde que les errements sont les plus significatifs. Passons sur la plaisante localisation en « Asie centrale » de l’Ukraine et de la Géorgie (article «L’Europe de la guerre passe par l’OTAN», blog de Jean-Luc Mélenchon, 28 mars 2017), elle vaut bien les erreurs factuelles que notre candidat se pique de reprocher à ses adversaires. On ne s’attardera pas davantage sur la détermination à rompre avec une Union Européenne à qui – en commun avec les Etats-Unis – la plupart de nos maux sont attribués : ceci au moins a été amplement discuté. Mais le Frexit ne serait pour Mélenchon qu’un premier pas. Il induirait une réorientation radicale des alliances et même de la destinée de notre pays. D’un côté, des références à l’Europe invariablement négatives. Elle paraît se confondre avec une Allemagne-repoussoir, où est dénoncée «la superbe du gouvernement de grande coalition de la droite et du PS en Allemagne» (déclaration de candidature, 10 février 2016). Les autres nations européennes n’ont droit à considération qu’en tant que victimes de l’ordre berlino-bruxellois. Celles d’Europe orientale seraient de simples otages des Etats-Unis.
 

La Russie de Poutine, la Syrie, l’Afrique francophone

De l’autre, une France qui prendrait le grand large. Dans trois directions. D’abord, quoique Mélenchon se défende d’une proximité avec Poutine, son programme reprend fidèlement les axes de la diplomatie russe. L’OTAN est dénoncée comme structure d’agression : «L’Otan, construite par et pour les États-Unis pendant la guerre froide, n’a plus lieu d’être. […] Cette organisation ne sert plus qu’à embrigader les pays européens derrière les États-Unis.» (livre-programme L’Avenir en commun, section «Reconstruire une défense nationale indépendante et populaire») ; «l’OTAN et les USA poussent l’Europe à dégrader ses relations avec la Russie» (blog cité, 28 mars). Il convient plus spécifiquement de s’opposer au bouclier anti-missiles installé en Pologne. Et pas question de construire une défense européenne : «telle que formulée aujourd’hui, c’est la guerre, et contre la seule Russie» (allocution du 31 mars 2017, «Une géopolitique et une défense au service de la paix»). Dans ces conditions, comment s’opposer à la volonté poutinienne de redessiner les frontières européennes ? Au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe supérieur à celui de l’intangibilité des frontières, la reconfiguration est acceptée par avance, à condition d’être entérinée par une conférence de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Aucune mention n’est faite des victimes désignées : Ukraine, Géorgie, voire pays baltes et Moldavie. Quant au Kosovo, arrachée à une Serbie pro-russe, son droit à l’existence n’est pas reconnu. Il est à remarquer que François Fillon se trouve sur cette révision des frontières globalement d’accord avec Mélenchon (interview sur France-Inter, 6 avril). S’agissant du conflit syrien, sont nommément accusées d’entretenir cette « guerre de mercenaires » (L’Avenir…, «Construire la paix en Syrie») l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie, sans un mot sur les responsabilités de la coalition chiite (gouvernement de Damas, Iran, Hezbollah libanais), coordonnée avec la Russie.

La France a-t-elle encore quelque chose à faire de l’Europe ? La réponse est claire : «Notre ancrage est en Méditerranée et avec les peuples francophones du continent africain, là où va se façonner l’avenir» (déclaration), des peuples avec qui se sont tissés «des liens d’amour et d’humanité» (allocution). L’option est précisée dans la «Phase 2» de la synthèse des contributions des Insoumis : «De nouvelles alliances, notamment avec les pays méditerranéens, sont proposées pour construire une nouvelle politique étrangère de la France.» Voulant échapper aux soupçons de néo-Françafrique, le même texte précise qu’il convient de «promouvoir les relations entre populations française et africaines, en initiant une rupture diplomatique claire avec les régimes dictatoriaux et leurs oligarchies.» Fort bien, mais ceux-ci régnant sur la plupart des pays africains, et bon nombre de méditerranéens, comment concrétiser cette alliance ? Et, plus fondamentalement, pourquoi l’Afrique francophone renforcerait-elle un lien déjà pesant avec son ancienne métropole coloniale, même décrétée «nation universaliste» (déclaration) – notion qui fut centrale dans le discours de la gauche colonialiste ?
 

La nouvelle alliance altermondialiste avec les BRICS

L’ambiguïté est plus grande encore pour la troisième direction de la reconfiguration mélenchonienne : élaborer une «nouvelle alliance altermondialiste avec les BRICS» (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – L’Avenir…, «Construire des coopérations altermondialistes et internationalistes»), bizarrement vus comme un bloc cohérent, voire une «alliance» (allocution du 31 mars), alors qu’il s’agit au départ d’une appellation journalistique, qui ne se concrétisa que très ponctuellement et partiellement, au travers de quelques conférences internationales. Le projet de banque internationale concurrente du FMI, lancé en 2015, destiné principalement à faire pression sur l’Occident (ce qui bien sûr séduit Mélenchon), cache mal les profondes divergences (on songe en particulier à la Chine et à l’Inde, aux relations frontalières très tendues) entre des pays que peu de choses relient. Le sentiment d’irréalité s’accroît encore quand cette alliance reçoit pour contenu «l’indépendance de chacun» (L’Avenir…) et la renonciation à l’idée d’empire (allocution). Avec la Russie ? Avec la Chine ? On en rit, puis on en frémit. Il est également permis de sourire de la seule concrétisation mentionnée : «Soutenir le projet chinois d’une monnaie commune mondiale pour libérer l’économie mondiale de la domination du dollar.» En effet, pour l’instant, la pragmatique Chine est surtout le principal soutien extérieur du dollar, et le projet alternatif reste des plus nébuleux.
 

L’indépendance militaire

On s’interrogera par ailleurs sur la cohérence entre ces vastes projets d’alliances (où l’Europe non russe n’est pas incluse) et la préconisation d’un retour aux sources gaulliennes du souverainisme : «refuser la participation de la France à toute alliance militaire permanente» (L’Avenir…, «Instaurer l’indépendance de la France dans le monde») ; «La France peut et doit se défendre elle-même pour pouvoir agir librement» (L’Avenir…, «Reconstruire une défense…») ; «restauration pleine et entière de l’indépendance militaire » (idem) – ce qui, soit dit en passant, imposerait une énorme augmentation des budgets militaires. Les nouvelles alliances : de simples métaphores ? D’aimables couvertures aux trois «non» sans perspective crédible – à l’Euro, à l’Europe, à l’OTAN – qui constituent le vrai cœur du programme mélenchonien ?
 

Le terrorisme et la négation du phénomène islamiste

On a gardé le meilleur, ou le pire, pour la fin : la négation de toute autonomie du phénomène terroriste. Le chapitre du livre-programme «Une politique antiterroriste rationnelle» contient comme première mesure : «Refuser la logique du choc des civilisations et de la guerre intérieure». Qui, hors l’extrême-droite, dirait le contraire ? Mais cela doit-il aller jusqu’à refuser l’évidence : le caractère islamiste du terrorisme ? Le mot ne figure nulle part. Ce n’est pas un oubli, ou une pudeur. Mélenchon affirme : «La religion est un prétexte et certainement pas la raison d’agir» (allocution). Ce sont des Etats assoiffés de pétrole et de gaz qui se trouvent derrière le terrorisme : l’idée lui est si centrale qu’il l’a ressassée lors des deux débats télévisés. La guerre d’Afghanistan, en 2001, aurait pour origine un projet de pipeline, et non la chute des Twin Towers – vieille antienne. De la même façon, le conflit syrien serait lié à une querelle sur le transit des matières premières, et pourrait donc être résolu en tenant compte des intérêts économiques des pays concernés (allocution). Cet économicisme explique que Mélenchon, dans son programme et plus encore lors des débats, ait mis l’accent sur la lutte contre le financement du terrorisme, considérant même que l’ «impôt révolutionnaire» un moment payé par les Ciments Lafarge à Daech en serait un rouage essentiel : il conviendrait de «réquisitionner les entreprises qui collaborent avec les agresseurs» (L’Avenir…). Croit-il que les bombes humaines, ou même leurs dirigeants, soient motivés par l’argent, ce terme qui revient de manière obsessionnelle dans le discours mélenchonien ?

La négation du phénomène islamiste s’accompagne aussi d’un double renversement de responsabilité. Les manigances occidentales, et surtout américaines, seraient la source initiale du terrorisme. Et seuls des «hypocrites» singulariseraient l’islam, y compris dans ses versions extrémistes, alors que toutes les religions devraient être frappées du même opprobre. C’est pourquoi, par souci d’équité laïque, le candidat réserve dans ses interventions orales tous ses coups au seul christianisme.
 

Le vocabulaire, le style et les références de Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon a le vocabulaire, le style, la cohérence apparente et un jeu de références qui séduisent. Mais le fond de son discours est d’abord une version abâtardie du marxisme, ramené à un anticapitalisme moralisateur, lui-même rabattu sur la dénonciation quasi-exclusive de la finance – classique atavisme de la gauche française dont on repère sans peine les fondements catholiques, au risque de faire s’étrangler de rage notre candidat. Secondairement, c’est un nationalisme de gauche, dans la grande tradition du XIXe siècle (Hugo est cité à chaque discours), la France étant dotée d’une manière de vocation rédemptrice pour l’humanité entière, en faisant l’impasse sur les aspirations divergentes de cette dernière, et sur la faiblesse des moyens de notre pays. Dans le passé, cette vocation se confondit souvent avec la «mission civilisatrice» du projet colonial. Tertio, de manière de plus en plus insistante, Mélenchon chausse les bottes de De Gaulle. Le problème est que, de celui-ci, il reprend les éléments les plus discutables : absence d’une quelconque vision européenne, hostilité de principe à l’encontre des Etats-Unis, complaisance envers la Russie, mépris des petites nations (en particulier celles de l’Est européen, abandonnées au bon vouloir de Moscou), le monde étant vu comme le champ clos d’affrontements entre de puissants empires étatiques. Bref, la pensée sur l’international de notre porteur d’espoir pour le XXIe siècle paraît s’être arrêtée quelque part vers le milieu du XXe.

2 Commentaires

  1. Bonjour cet article a été éditer samedi alors qu’il est interdit des faire la promotion d’un candidat aux élections présidentielles le 22 et 23 avrils 2017.

    Le code électoral prévoit une interdictions spécifiques le jour et la veille du scrutin.

    Il est interdit, à partir de la veille du scrutin à zéro heure, de diffuser ou de faire diffuser « par tout moyen de communication au public par voie électronique » tout message ayant le caractère de propagande électorale.

    Merci de le faire retirer