«Voici enfin le programme de…», répète le Journal, jour après jour. Vote-t-on pour une main, ou pour un homme ? Or, qu’est-ce qu’un homme, sinon un animal qui s’est décidé à parler ?
Encore faut-il qu’il parle. Prenons, à titre de cobaye, le supposé président – et jugeons.
«Marine Le Pen, c’est un mensonge sur pattes parce que ce qu’elle propose, c’est de dire : nous, on va sortir de la mondialisation, mais tous les autres, ce sont des imbéciles, ils vont continuer à acheter français. Quand Marine Le Pen va voir des agriculteurs (…) et leur dit moi je vais sortir de l’euro, sortir de la PAC, sortir de l’Europe, c’est super, ça peut en rassurer certains ; mais les agriculteurs, ils vendent à qui ? Selon les filières, ils exportent entre 40, 50, 60% de leur production ! Vous pensez que le camembert, on va continuer à l’exporter ? Vous pensez que les pays à qui on va dire c’est fini, maintenant on a une patte française, vous n’exportez plus vos denrées, vos yaourts, votre viande, on ne veut plus les voir, vous pensez qu’ils vont acheter notre lait? Que le camembert, le fromage au lait cru français, on va continuer à l’exporter ?»
Ainsi parlait Macron (Europe 1, il y a trois jours).
N’allons pas prendre nos airs outrés. Oui, sa langue est affreuse comme celle de presque tous les autres. Oui, nous grinçons des dents devant tant de mépris, car ce n’est pas autre chose que ce baragouin : du mépris. Estimer son interlocuteur, c’est lui parler du mieux qu’on peut. Mais cette bouillie verbale, quelque chose l’ordonne et la commande.
Oui, les éléments de langage («le Camembert, madame Michu, la patte française, ils vendent à qui, c’est super !») sont la pâtée pour chiens que, jour après jour, cette campagne balance dans nos gamelles (politiques et journalistes s’affairent au même, il va sans dire.) Mais cela ne suffit pas encore ; «éléments de langage», «com», ce sont les noms que ça veut prendre, mais ce ne ne sont pas de vrais noms.
En passant, il paraît qu’à la différence des autres, notre cobaye n’a pas vraiment de spin doctor. «Si ce n’est ton frère, c’est donc toi», répondrait le Loup indigné.
Prenons un autre exemple. «Je vous ai compris !»
Soit, il tentait de se sortir par le haut du remous anticolonialiste. Pour rire, complétons «dans sa petite tête» : «D’une pierre deux coups, se dit-il ; j’ai un modèle pour mon paradoxe, (seul contre tous mais à la fin, tous pour un, comme à Londres et à Alger) ; en plus, je reprends De Gaulle à Fillon, maintenant qu’on l’examine.»
Pardon, jeune homme : on imagine très bien le général de Gaulle mis en examen ; il suffit de se rappeler les turpitudes des gaullistes. En revanche, on n’imagine pas le général de Gaulle mis en éléments de langage.
Quand comprendra-t-on, dans cette coterie abandonnée des hommes et des dieux qu’est la classe politique, que chaque sacrifice consenti, discours après discours, phrase après phrase, mot après mot, à la com, est un coup de cisaille supplémentaire dans la corde déjà élimée qui nous tient lieu de corps social ? Quand il sera trop tard, bien sûr. Mais avant, il faut au moins tenter d’en dire le mal. Pourquoi la com est-elle un meurtre ? De quoi, est-elle le meurtre ? De la parole.
Les mots ne servent pas à communiquer, tout le monde le sait.
D’abord, parce qu’on ne communique pas. On communique de l’argent ou des pots-de-vin, je ne le nie pas ; mais on ne communique pas des mots (sauf s’ils sont des mots d’ordre, mais alors ils ne parlent plus.)
Car les mots servent à parler, et l’on parle pour dire quelque chose ; quand un dire a eu lieu, nos esprits sont, un court instant (celui de l’onde de ce dire), libérés de l’hostilité des choses. Elles restent à distance, mais par le dire, elles sont fraternelles.
Le reste, la jactance, ce sont les peaux mortes dont les mots se desquament.
Consacrer la parole à la com, c’est avoir pris acte de ce qu’il n’y a rien à dire.
Voilà le mal : notre supposé président se tait ; il est vivant, pourtant ; une étrange intensité circule dans ses yeux, et il nous pointe du doigt – mais il ne parle pas.
Ultime exemple, le papier de Macron de ce jour : «Pourquoi nous sommes un peuple». Lisez-le, puis revenez.
Une soupe bien pensante, c’est-à-dire, en définitive, muette comme tous les «discours» de cette campagne, sinon qu’on y décèle la présence de deux maladresses de forme, enfantines, presque touchantes, comme ces mots de bons élèves trop gentils qui échoueront au Concours général parce qu’ils ne savent pas qu’il faut être méchant : «Le fondement de la culture française, c’est une ouverture sans pareil» ; puis : «ce que nous avons en commun (élément de langage structurant sa «tribune»), c’est une ambition folle.» «Sans pareil, ambition folle.»
Bien sûr que «sur le fond», il ment, ou du moins, nous lui faisons cette grâce de le croire. Bien sûr que jamais la France n’a été «d’une ouverture sans pareil». C’est même tout le contraire : la France a été la culture la plus arrogante et le plus fermée des cultures du monde, parce qu’elle se croyait et était (plus rarement), grande. On voit planer là les propositions du collège de France «nouvelle formule», nouvelle dans la formule mais invariante dans l’opportun – quoi de plus opportun qu’une «histoire mondiale de la France» ? La vérité est plus âpre : pour sortir de soi, pour s’ouvrir, il faut être ; or à quoi l’on s’acharne là, à coup de gesticulations éthiques, c’est à n’être pas – sinon que la maladresse, l’hyperbole enfantine, traduisent un désir, et c’est celui-là seul qui nous paraît intéressant dans la tribune du Figaro.
Vous voulez être, Monsieur Macron ; un bizarre vouloir-vivre vous anime ; soit. Mais alors, puisque vous voulez tant être, M. Macron, parmi tous ces politiques délavés que la hantise stratégique a réduits au silence de toute parole dans le bruit des éléments de langage, dites quelque chose, M. Macron. Le général de Gaulle mentait tout le temps, mais ses mensonges furent des paroles ; il fut l’artiste de la parole française comme parole d’un mensonge ; après tout, c’était un bonne leçon pour la langue qui se crut la langue naturelle de la vérité. Vous voulez lui ressembler, mais vous ne parlez pas encore. Sans doute Mitterrand fut-il l’agent de la réduction au silence. Son dernier mot, «Je crois aux forces de l’esprit», en dit long – lieu commun de notaire de province. Il était un mort ; mais la séquence est close – la grandeur de la France, si c’est le nom de sa prétention, a fait long feu.
Au lieu de nous agir avec vos «éléments», Monsieur Macron, parlez ; non pas avec un œil à droite et un œil à gauche, et deux derrière vous ; parlez dans les airs, pour dire quelque chose de vrai. Dites quelque chose parce que c’est vrai.
Alors peut-être vos collègues vous imiteront-ils aussi, et nous pourrons croire, non que nous formons un peuple, ce que nous ne sommes plus depuis belle lurette, mais qu’on pourra un jour en réinventer un.
Dommage de réduire le texte de Macron à « une soupe bien pensante » sans vous donner la peine de vous en expliquer davantage. Surtout que cette « soupe » a été vivement vomie par les mouvements politiques de droite et d’extrême droite, si j’en juge par le net.
C’est fou si on lit les journaux de se rendre compte que 50% des articles ne discute que stratégie électorale. Les 50 autres % consistent quant à eux à jeter des anathèmes débilitant et manipulateurs. Sur le fond rien!