Je vois le FN assez proche d’une victoire électorale pour qu’il soit justifié à mes yeux de penser à la formation d’un «front uni». Suis-je alarmiste ? Le fait est que les candidats, résignés à la présence de MLP au second tour, disputent entre eux à qui gagnera le droit de concourir avec elle. Mais qui saura mettre au pilori, sur la place publique, la vraie nature de Marine et sa meute ?
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À peine avais-je collé hier soir sur mon blog de Mediapart le récent «Appel des psychanalystes contre Marine Le Pen», que m’était signalé le texte d’une personne que je n’ai pas l’avantage de connaître, Mme Diane Scott, autre membre du Club. Placé sur son blog à elle, son texte commente, ou plutôt prend à partie, à la fois l’Appel des 32 psychanalystes et ma tribune parue dimanche dernier dans la Matinale du journal Le Monde, sous le titre «Les ruses du Diable».
Mme Scott écrit : «La lutte contre le FN est l’alibi moral du maintien de choix électoraux qui seraient identiques sans cette soi-disant contrainte créée par l’extrême-droite.» J’admets volontiers que cette proposition est souvent exacte. Néanmoins, faut-il pour autant récuser l’ébauche de tout front uni, certes circonstanciel et destiné à rester éphémère, contre une menace mortelle et immédiate ? Ne vaudrait-il pas mieux, à un mois des élections, suspendre les ressentiments et les revendications qui opposent entre eux, disons, les antifascistes, ou les non fascistes, d’aujourd’hui ? Dois-je rappeler qu’il y avait aux débuts de la France libre des maurrassiens comme des gens de gauche (et peut-être davantage des premiers que des seconds, n’est-ce pas ?) Plus tard, en 1943, Aragon pouvait lancer son fameux «Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas».
L’auteure me renvoie sur un ton comminatoire à mon «sommeil de classe» Doit-on en conclure qu’elle prône une réédition en 2017 de la stratégie classe contre classe, qui fut celle de l’Internationale communiste dans les années 1920, et qui inspira à Aragon, toujours lui, un autre de ses vers célèbres, ne sentant pas, lui, la rose ni le réséda : «Feu sur les ours savants de la social-démocratie» ?
Il me suffira de rappeler que l’accentuation de la menace fasciste amena le PCF à une position toute différente en 1934. Fondé la même année, le Comité de Vigilance antifasciste des Intellectuels invitait les «Travailleurs unis» à passer outre aux divergences : «nous venons déclarer à tous les travailleurs, nos camarades, notre résolution de lutter avec eux pour sauver contre une dictature fasciste ce que le peuple a conquis de droits et de libertés publiques.» L’issue du revirement communiste fut en 1936 le Front Populaire. [NB : ma citation du Comité de Vigilance est empruntée au site lesmaterialistes.com]
« Une fausse peur »
J’entends bien que Diane Scott se moque et de moi et des gens comme moi, qui voudrions mobiliser aux prochaines échéances électorales contre le FN. À ses yeux, nous sommes de toute évidence alarmistes et pétochards. Elle n’est pas seule à le penser. On est bien forcé de s’interroger sur soi-même quand on lit les propos de notre cher Claude Lanzmann, trésor national, dans Paris-Match, le 5 mars dernier : «C’est une fausse peur que se font les Français. Cela ne peut pas se produire dans un pays institutionnalisé comme le nôtre.»
Sur ce point, I beg to differ. Je me risque à contredire «un voyant dans le siècle». Que les sondages en soient maintenant à créditer Marine Le Pen de 40 % au second tour me paraît une donnée en elle-même alarmante. En face d’elle, un Fillon perdra une bonne partie de la gauche, qui se réfugiera dans l’abstention, et Macron (ou Mélenchon, ou Hamon, pour ceux qui le croient possible) verra une bonne partie de la droite passer au FN, tandis que bien des gens de gauche refuseront leur vote à l’héritier de Hollande. Je ne vois pas pour l’instant de barrage à Le Pen, ou il est poreux. Alors, oui, il se pourrait que le ventre ait cessé d’être fécond, qu’il ait été stérilisé par le «pays institutionnalisé» (qu’est-ce que ça veut dire, ça, exactement ?) Mais si l’on n’était pas loin de la perte des eaux ? La France ne s’ennuie pas, elle me semble grosse d’un malheur.
Bref, j’envie la sérénité de Lanzmann quand je pense à ce que serait l’appareil d’État aux mains du FN. Je ne parle pas de son programme, ni de ses promesses, ni des faux-semblants qu’il a multipliés, ni des jeux entre Marion et Florian, frais prénoms de pastorale. Je parle d’une sale clique irrévocablement xénophobe, antirépublicaine et antidémocratique, prête à mettre la main sur les commandes des ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense.
Plutôt vaincue
Peut-être ai-je trop d’imagination. Ou pas assez, mais trop de mauvaises lectures sur les conséquences de la venue au pouvoir, par la voie des urnes, de partis autoritaires. Est-ce le fait d’être juif ? Lanzmann, lui, est tranquille comme Baptiste. Il se peut que, tout simplement, je me trompe d’époque. «C’est fini, tout ça, mon vieux, et non seulement le pire n’est pas toujours sûr, mais il est tout bonnement devenu impossible, comme l’a montré le récent triomphe d’Hillary — Bon, d’accord, dis-je, si vous êtes bien sûr que la bête est désormais domestiquée, est devenue un animal d’appartement comme le léopard dans « Bringing up Baby », alors que chacun roupille de son « sommeil de classe ».»
Diane Scott, qui se présente comme «psychanalyste en formation», ce qui veut sans doute dire qu’elle est en analyse, termine sa diatribe sur une profession de foi : «Pour ma part, je préfère être vaincue que dupe.»
Autrement dit : Je serai fidèle à mes convictions fût-ce au prix de la défaite. La posture est noble.
Noble au point que ce qui ici s’avoue en clair n’est pas autre chose que ce que Lacan nommait, à propos de nul autre que le vicomte de Chateaubriand, le «narcissisme suprême de la Cause perdue».
Paris, le 16 mars 2017
Oh comme vous avez raison, les partis qui se contemplent au bord du malheur et le déni de ce vampire qu’ils ne voient pas dans le miroir!
Beau texte. Sincère. Un bémol cependant – ce passage : « (…) entre Marion et Florian, frais prénoms de pastorale » : une inclinaison christianophobe était-elle nécessaire – était-elle justifiée ?
Je tombe des nues. En quoi mon propos serait-il ce que vous dîtes ? Je ne pige pas votre truc.
« Le coup le plus rusé que le diable ait jamais réussi, ça a été de faire croire à tout le monde qu’il n’existait pas », dans « Usual Suspects » de Bryan Singer.
Bien d’accord, mais également faire croire qu’il va vous aider à vous en sortir, à vous sauver.
La stratégie de dédiabolisation du Front National joue avec ces deux partitions pour hisser sa crédibilité et rendre désirable son programme.
Pour preuve :
« Aujourd’hui le danger vient de la gauche et de l’islam radical et cela est une réalité…. »,
n’est-il pas ce qu’on entend souvent et couramment dans la rue et ailleurs, et où pour gauche ici faut-il comprendre l’islam tout court ?
C’est l’argument béton de ceux qui soutiennent le FN et qui voient dans le parti de MLP le seul rempart crédible contre l’islamisme.
Le jeu se complique si on y rajoute tout le reste, mais commençons d’abord par dire que la gauche par calcul électoral n’assume plus aujourd’hui en priorité et avec force le combat idéologique et culturel qui fut celui des Lumières contre l’obscurantisme religieux, contre cet islamisme toléré sinon porté par une part importante de la population musulmane en France et en Europe et qui s’exprime à 60% pour le retour aux racines de l’islam, montant jusqu’à 75% pour qu’il y ait une seule interprétation du Coran.
C’est donc sans surprise que cette population pense que les règles religieuses sont plus importantes pour elle que les lois de la République.
Quid alors de l’autonomie de la femme, de la liberté sexuelle, de la liberté religieuse, de la liberté d’opinion, de la laïcité, des droits fondamentaux contre le racisme et l’antisémitisme ?
Laisserions-nous flotter sans réponse ce qu’Alain Finkielkraut dénonce depuis des années (à lire et relire « La défaite de la pensée ») ?
Laisserions-nous par couardise la place au diable pour nous sauver ?
Le FN est-il vraiment ce rempart crédible contre l’islamisme ?
Voici des questions que Marine Le Pen, rusée (avec une seule esse, svp !) par la pratique familiale (sic), a bien roulé dans ses fourneaux partant de loin, de l’international.
Je limite le discours, laissant à une autre lecture les références déjà largement faites pour la Russie de Poutine et la position assumée par MLP sur l’Ukraine, ses amitiés avec les partis national-populistes en Europe, sa détestation haineuse de cette Europe des peuples, de l’euro-mondialisme responsable à son dire de la destruction de la souveraineté nationale et de l’identité de la France.
Pour nous sauver de l’islamisme Marine Le Pen prône l’alliance de la France avec l’Iran et le régime des ayatollahs. Selon elle le boycott de l’Iran devrait cesser et les entreprises françaises se jeter sans tarder sur le marché du pétrole et du gaz, la deuxième plus grande réserve au monde.
N’est-elle pas belle la ruse et cette porte d’entrée aux « infera » ?
Marine Le Pen ne se pose même pas un seconde le problème que l’Iran n’ait pas besoin de l’énergie nucléaire pour ses besoins, que l’enrichissement de l’uranium et du plutonium des Iraniens n’a rien à voir avec des objectifs civils, que la République Islamique d’Iran, autre qu’être une théocratie tyrannique pour sa population est le grand pourvoyeur du terrorisme international islamiste, que son armement mire à anéantir Israël et le monde occidental, imposant par la suite sa vision de l’islamisme radical.
Mais le FN de Marine Le Pen ne se proclame-t-il pas le rempart de notre civilisation, un défenseur d’Israël ?
Le ballet des faux-semblants est ouvert.
Sauvegarde nationale et catastrophe économique contre sauvegarde économique (pas mieux, j’en ai bien peur) et catastrophe nationale (Emmanuel, le messie romantique ne semblant pas faire la différence entre un prolétaire et un immigré). La peste ou le choléra ?
La génération « moi-d’abord » et ses crétins d’héritiers se sont démenés pour faire barrage au retour du Père (François), qui paraît dorénavant bien mal barré… mais reste pour moi le meilleur pis-aller, eu égard au choix qui nous est imposé. Il n’y a pas de quoi rire
Les derniers doigts mouillés donnent Le Pen à 27 % d’intentions de vote au premier tour devant Macron, outrageusement devancé à 25 et, très loin derrière, Fillon : 19, rossé comme le gendarme au Vrai Guignolet. Dois-je en conclure que le coup de barre à droite du François bien français est responsable du fait que le Front national soit crédité, seulement quinze ans après la gifle, de 40 % des suffrages en finale des présidentielles? En 2012, on accusait déjà Sarkozy de braconner sur les terres national-révolutionnaires. Certes, sa stratégie serait un échec au sens où elle ne suffirait pas à assurer sa réélection. Elle aurait pour le moins l’avantage de nous épargner un autre 21 avril. Aujourd’hui, les électeurs libéraux et européistes de la droite conservatrice devraient avoir le choix entre ici, un candidat libéral et européiste et, là-bas, une candidate antisystème et europhobe. Le front anti-Valls sera confronté au même dilemme durant l’entre-deux-tours. Mais passons, si vous l’acceptez, à un malentendu beaucoup plus profond qu’il nous faut impérativement lever avant même de songer à nous lancer dans l’érection d’un rempart antifasciste et non fasciste contre le fascisme. Je pense à la présence, dans les rangs antifas et non fas, d’un nombre croissant d’islamofascistes qui, comme vous ne l’ignorez pas, ne peuvent pas être fas dès l’instant qu’ils sont les descendants d’un ou plusieurs sous-groupes humains, voire trop humains, qui auraient fait l’objet d’un crime contre l’humanité ayant pour nom la colonisation. La croix gammée a beau trôner des deux côtés de l’étau dans lequel la démocratie est actuellement écrabouillée, les panarabistes ne s’en affolent pas plus qu’ils ne semblent pressés de demander aux historiens de réécrire, dans toutes les langues de l’islam, les pages honteuses où ils se virent sombrer non sans opérer a priori l’une de ces permutations de la dernière heure destinées aux fidèles de Redemption Shop. Le Pen est en effet aux portes du pouvoir. Elle l’est car un front islamofascite ne constituera jamais un front antifasciste efficace. Est-ce à dire que notre front uni serait suspecté d’avoir scellé un pacte secret avec Fatah ou Daech? Difficile de répondre par oui ou par non. Je dirais plutôt non. Mais les demandes de libération en faveur de Marouane Barghouti ont de quoi nous soulever le cœur de même que les appels à des négociations avec Abou Bakr al-Baghdadi nous obligent à anticiper ce que nous serions amenés à céder en échange de la paix.