J’aurais aimé approuver l’article de mon ami David Isaac Haziza publié sur La Règle du jeu pour dénoncer le procès fait à Georges Bensoussan. J’en approuve d’ailleurs de larges passages, ceux dans lesquels, avec son talent d’écriture habituel, il réaffirme son ancrage dans des valeurs que nous partageons, le refus du racisme et de l’antisémitisme, n’hésitant pas à s’en prendre sans mâcher ses mots au racisme qui sévit dans certains milieux juifs. Il n’a pas tort, mon ami, quand il écrit qu’« un peu d’inexactitude, parfois, vaut mieux que de noyer le poisson dans un océan de petits faits ou de chiffres ». Je ne suis pas non plus loin de penser comme lui quant à la critique de la judiciarisation du débat politique. Je préfère toutefois cette judiciarisation à ce qui est en passe d’advenir et que je suis tenté d’appeler la jihadisation des conflits, dont l’attentat terroriste contre la mosquée de Québec, commis par un jeune canadien suprémaciste blanc, risque d’être le coup d’envoi, comme une sorte de réponse symétrique au terrorisme islamiste.
J’aurais aimé approuver l’article de mon ami David Isaac Haziza, mais je ne le peux pas. Je me serais certes bien passé du grave conflit qui a surgi entre, d’un côté, mes amis Mohamed Sifaoui, Dominique Sopo et la LICRA, de l’autre Georges Bensoussan. Mais je me serais surtout volontiers passé des propos du rédacteur en chef de la Revue d’histoire de la Shoah pour lequel, comme tant d’autres, j’avais la plus grande estime. Car voilà : ce qu’il a dit au micro de France Culture, en octobre 2015, est inacceptable. Ce n’est pas tant sa métaphore sur l’antisémitisme qui serait tété avec le lait de sa mère « dans les familles arabes de France » qui est scandaleuse. Encore que… Dire « les » familles arabes au lieu de « la plupart » ou même « une majorité de familles arabes » pose problème, un gros problème. Mais ce qui m’a en fait profondément et douloureusement choqué, c’est ce terrible passage : « Aujourd’hui, nous sommes en présence d’un autre peuple au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés. » Comment un homme qui connaît tous les registres sémantiques du discours antisémite peut-il utiliser cette épouvantable formule, « un autre peuple au sein de la nation française » ? Oh certes, il n’a pas dit que cet « autre peuple » c’est les Arabes, mais il a utilisé là cette bonne vieille combine rhétorique chère à l’extrême droite lorsqu’elle veut s’épargner un procès, à savoir ce vieux truc du « suivez mon regard » devant un public qui comprend parfaitement qu’on parle des Juifs. Ici c’étaient donc les Arabes.
« Georges Bensoussan n’est pas raciste », dit le titre de l’article de David Isaac Haziza. Je veux bien le croire. Mais cette phrase qui assène que tout un peuple exerce une menace sur la France, cette phrase, elle, a un caractère incontestablement raciste. C’est une formulation qui désigne et stigmatise ce fameux peuple dans sa globalité en lui attribuant une identité menaçante.
Au nom de quoi le parquet aurait-il dû s’interdire de déclencher des poursuites ? Car, rappelons-le, c’est bien le parquet qui a décidé d’engager la procédure judiciaire. On me rétorquera que les magistrats ont eu leur attention attirée sur l’interview par des gens mal intentionnés. Si on veut dire par là que le MRAP – association passée depuis longtemps dans le camp d’un bien étrange antiracisme reprenant à son compte la notion perverse d’ « islamophobie » qui vise en fait à rendre acceptable l’expression de l’intégrisme obscurantiste de certains courants musulmans – et le très islamiste Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) ont joyeusement profité de l’aubaine, c’est certain. Mais force est de constater que Georges Bensoussan a donné aux fers de lance de l’islam politique une occasion inespérée de poser aux victimes, qui plus est aux victimes d’un Juif, et de surcroît l’un des premiers à avoir démontré l’emprise croissante sur nombre de jeunes issus de l’immigration de préjugés antisémites.
Mais ce n’est pas parce que des islamistes sont trop contents de pouvoir s’en prendre au grand historien que nous devons ignorer la coupable généralisation abusive de ses propos et prendre sans nuance sa défense. Je déplore que trop de mes amis, avec lesquels je combats pied à pied l’antisémitisme, aient fermé les yeux sur la dimension hélas incontestablement anti-arabe de ce qu’a dit Georges Bensoussan et qu’ils s’en prennent désormais à la LICRA et SOS Racisme. Ces associations, dont l’engagement contre l’antisémitisme et le racisme n’est plus à démontrer, n’avaient d’autre choix que de se porter partie civile, même si les plus que douteux CCIF et MRAP s’y trouvaient aussi. Et Mohamed Sifaoui, connu pour ses combats contre l’islamisme et l’antisémitisme, n’a pas à se repentir, bien au contraire, d’être intervenu au procès du 25 janvier comme témoin cité par la LICRA contre Georges Bensoussan.
Ce dernier aurait pu, au lendemain de l’émission de France Culture, rectifier le tir publiquement, comme semblent le lui avoir demandé en vain plusieurs personnes de son entourage que ses formulations avaient inquiétées. Il aurait pu se reprendre en affirmant qu’une partie, voire une large partie de la population arabe est imprégnée d’antisémitisme, ce que peut constater quiconque la côtoie, que ce soit de l’autre côté de la Méditerranée ou en Europe. Il aurait pu aussi évoquer ce racisme à l’égard des Noirs, qu’en arabe on traite avec mépris d’« abid », c’est-à-dire « esclaves », à l’égard aussi des Kabyles et des Kurdes, ces racismes qui infestent largement le monde arabe, ce que sait n’importe quel migrant sub-saharien qui a traversé l’Egypte ou la Libye, n’importe quel kurde de Syrie ou d’Irak, n’importe quel Algérien attaché à son identité kabyle.
Il aurait été ô combien préférable que Georges Bensoussan parle d’une culture trop largement répandue dans le monde arabe. Ça lui aurait évité des propos indignes fermant la porte sur l’avenir, un avenir dont on est en droit d’espérer qu’il finira par reléguer aux oubliettes de l’histoire cette culture antisémite, raciste, sexiste, ultra-patriarcale et de plus en plus bigote. Ça lui aurait aussi évité de blesser les hommes et femmes arabes qui sont engagés, souvent au péril de leur vie, contre cette culture à laquelle ils ont échappé. Et pourtant ils avaient têté le lait de leur mère.
Pour ma part, j’espère seulement que le juge jouera pleinement son rôle de juge, et admettra d’autres considérations que celles introduites par les parties avant d’arriver à une conclusion. Comme par exemple le fait qu’il s’agissait d’un débat contradictoire à la radio, et que dans ce cas on ne peut attendre de personne qu’il pèse vraiment tous ses mots. Que Georges Bensoussan est certes responsable de sa parole, mais qu’il ne peut être tenu responsable de toutes les interprétations malveillantes que d’autres veulent en faire. En d’autres mots, que le juge se rend compte que devant un tribunal révolutionnaire Georges Bensoussan serait facilement condamné pour incitation à la haine raciale. Mais qu’il décide ensuite que devant le tribunal d’un état de droit comme la RF il ne le mérite aucunement. Et qu’il condamne chacune des parties civiles à €10.000 de dommages pour procédure abusive, harcèlement et atteinte à la réputation de Georges Bensoussan.
On oublie trop souvent que les juifs originaires du Maghreb ont été pendant longtemps une minorité opprimée par la majorité musulmane, sauf bien sûr durant la période de la colonisation française, Il est alors paradoxal de faire à Bensoussan ou à Zemmour ou d’autres un procès en racisme ou islamophobie. C’est en quelque sorte le monde à l’envers, un peu comme si les planteurs du Sud des Etats-Unis reprochaient aux noirs américains d’être « racistes » à leur égard! Il est probable que l’opinion de Bensoussan sur l’antisémitisme maghrebin ne viennent pas uniquement de la lecture des oeuvres de Smain Laacher, mais aussi de son expérience personnelle,