La vie est parfois lourde de sens lorsqu’on s’appelle Louis Steiner… Peut-être est-elle plus légère lorsqu’on se fait surnommer « Luigi ». Simplement Luigi. Avec un nom comme ça, d’un coup, d’un seul, surgissent la dolce vita, les réminiscences des soirées d’été Piazza Navona où tout est gai, facile et émouvant. Un gelato à la main, on court les ruelles en effleurant l’épaule d’une ragazza. L’Histoire pesante et la réalité étouffante suspendent alors momentanément leurs basses œuvres. Que se passe-t-il ? Comme c’est étrange ! Prendrait-on enfin le temps de vivre ?

Voici donc Ouvert la nuit, quatrième film du touche-à-tout / chef de bande / gentilhomme Edouard Baer. A l’écran : Luigi, son alter ego charismatique et foutraque. Il a une nuit pour sauver le théâtre parisien dont il est le directeur. Une nuit pour récupérer l’estime d’un metteur en scène pointilleux jusqu’à l’obsession, une nuit pour regagner la confiance de son équipe gréviste et excédée par son légendaire laisser-aller. Le réalisateur explique : « Luigi c’est quelqu’un qui aime l’aventure, aller vers « son risque ». Plus c’est nouveau, dangereux, plus ça l’excite. Pour lui, la nuit c’est vraiment le moment où tout se passe : la séduction, le travail, le théâtre. » Et Baer de poursuivre : « Chez Luigi, le temps y est inversé, il vit la nuit comme on vit le jour. Comme l’écrivain Antoine Blondin, il aime cette abolition des codes sociaux habituels qui s’opère quand la nuit tombe, lorsque les gens « normaux », sans problèmes, rentrent se coucher. »

Au début du film, la situation paraît désespérée : cela fait deux mois que les salaires de la troupe ne sont plus payés. Il faut agir ! Constamment affublé d’un drôle de smoking noir rehaussé d’une chemise rouge, le héros est fermement invité à prendre les choses en main. Commence alors un road-movie comique et poétique dans les rues de Paris. Un film qui ressemble à son réalisateur, figure branchée doublement marquée des sceaux de coolitude ultimes : Canal + et Radio Nova.

Il ne fait pas de doute que le fameux Luigi pourrait être une version fantasmée, grandiose et paroxysmique d’Edouard Baer. Pour s’en convaincre, il suffit de voir ce dernier à l’œuvre chaque matin en animateur de la bande FM. De sept heures à neuf heures, tandis que RTL, Europe 1 et France Inter alourdissent le monde, Baer le rend formidable. Il le fait avec sa langue riche et gourmande, sa voix suave et ses improvisations géniales. « C’est sans doute mon goût. Les personnages haut en couleur, au verbe haut. Une certaine idée de la France, entre Sacha Guitry, Jamel Debouze et les mythos de comptoir. Je n’aime pas trop la pantomime. Luigi a décidé que la vie devait être une comédie, coûte que coûte. Les mots lui permettent de créer le décor. Et pour ça, il a besoin d’un public. Il ne supporte pas la solitude» Et l’acteur, auteur et réalisateur de poursuivre : « Le film est peut être bavard parce que Luigi est bavard ; le verbe c’est son arme, sa façon d’enchanter le réel et d’habiter le vide. Mais il n’est pas cynique, il pense qu’il va vraiment ré-enthousiasmer tous ceux qui l’entourent. Quand Luigi chancelle, le film est plus silencieux… »

L’exubérance de Luigi est évidemment rassurante. Si elle berce parfois d’illusions elle réchauffe surtout le cœur. Inévitablement, on trouve là un certain rapport avec l’idée de Gauche, fil rouge d’autant plus renforcé à l’écran par certaines marottes baeriennes. D’abord, son féminisme assumé. Dans Ouvert la nuit, les femmes sont fortes. Elles tiennent la baraque, ne faiblissent jamais tandis que le protagoniste préfère marivauder. Ensuite, son goût prononcé du collectif. Depuis La Bostella (2000), on le sait, Baer aime le principe de la bande. Il fonctionne à l’affect, met un point d’honneur à avancer groupé dans une époque où tout pousse pourtant au délire égotique solitaire. Autre marqueur de gauche et pas des moindres : le rapport à l’argent. Dans le film, tout ramène Luigi aux questions pécuniaires angoissantes. Pourtant, ce dernier les expédie avec légèreté (voire inconscience), d’un simple revers de la main. Ce qu’il ne veut pas gérer, il l’occulte. En cigale, il dépense sans compter, paraphe des contrats qui mettent en péril l’équilibre précaire de son théâtre et signe des chèques en blanc à un SDF rencontré par hasard dans la rue. Son banquier ? Il le croise très tard dans un bar où l’on joue de la guitare. C’est absurde et délicieux. Bien mené. Souvent jouissif. Et puisque c’est une fable, cela ne porte pas vraiment à conséquence. La magie opère. Luigi séduit. Baer aussi !


Ouvert la nuit
Réalisé par Edouard Baer
Date de sortie : 11 janvier 2017 (1h 37min)
Avec Edouard Baer, Sabrina Ouazani, Audrey Tautou…