Il faut absolument voir « Sauver Auschwitz ? ». Oui, il est indispensable de regarder ce documentaire exceptionnel et de comprendre pourquoi son titre est ponctué d’un point d’interrogation. Le jeune réalisateur, Jonathan Hayoun, a réussi un coup de maître pour sa première œuvre : tout à la fois montrer ce qu’il est advenu de l’endroit où furent assassinés un million de Juifs par les nazis, depuis que l’Armée rouge soviétique, arrivée sur les lieux par hasard, libéra les derniers survivants il y a 70 ans ; et en même temps questionner le devenir de ce qui constitue aujourd’hui le symbole de la Shoah.  

Il a fallu des décennies et de multiples combats pour que le plus grand complexe concentrationnaire du IIIème Reich ne soit plus instrumentalisé par le pouvoir dans la Pologne satellisée par l’URSS. Nourri de nombreuses images d’archives, souvent inédites, le film rappelle comment fut occultée la centralité de la fonction d’Auschwitz, exterminer les Juifs, au profit d’un récit voulant le présenter comme l’exemple de la souffrance des Polonais. Dans un pays encore imprégné d’antisémitisme et inféodé à l’antisémite Staline, le régime n’allait certainement pas mettre en évidence la réalité. Puis ce furent des catholiques qui tentèrent de s’approprier la symbolique d’Auschwitz avec l’installation de sœurs carmélites à l’intérieur même du camp, sous une immense croix. Le film montre l’indécente mobilisation d’un mélange d’intégristes religieux et de nationalistes polonais décidés à maintenir la christianisation des lieux, en dépit des appels –bien tardifs – du Vatican. Les carmélites ne consentirent à s’en aller qu’après que le pape Jean-Paul II eut adressé une lettre personnelle à chacune d’entre elles.

Le documentaire de Jonathan Hayoun a l’audace, une fois effectué avec clarté l’historique, depuis 1944, du camp emblématique de la Solution finale d’aborder la redoutable question de ce qu’il en est  aujourd’hui et de ce qu’il en sera demain. Par un nouveau coup fourré de l’Histoire, maintenant qu’est définitivement établie l’atroce réalité de ce que furent non pas le mais les trois camps d’Auschwitz – le camp d’extermination de Birkenau, le camp de concentration et de mort et le camp-usine esclavagiste au service de l’industrie hitlérienne –, une sorte de banalisation des lieux s’est fait jour. Les habitants de la commune d’Oswiecim (nom polonais d’Auschwitz), dont les maisons sont construites juste aux abords de l’enceinte du camp, rouspètent à cause du dérangement occasionné par les visiteurs. Quant à ces visiteurs (2 millions en 2016) justement, le film nous en montre d’ahurissantes images : mangeant des pizzas, faisant des selfies sourire aux lèvres, rigolant, faisant de petites mises en scène de groupe. Tout le monde se promène à l’intérieur du camp de concentration, jetant un œil aux baraques, mais quasiment personne ne va un kilomètre plus loin, là où arrivaient les trains qui donnaient directement sur la rampe de sélection où les SS triaient les Juifs entre ceux qui allaient immédiatement être assassinés dans les chambres à gaz et ceux qui seraient utilisés le temps d’une brève survie.

On a envie de dire à ces touristes qui visitent le camp – parce qu’il est sans doute inscrit dans leur circuit –, en paraphrasant la fameuse réplique qui revient comme un leitmotiv dans « Hiroshima mon amour », le film d’Alain Resnais : « Tu n’as rien vu à Auschwitz ». Mais au fond que devrait-on « voir » à Auschwitz ? Qu’est-il besoin de « voir » ? On a envie de dire « de toute façon, tu ne verras jamais ce qu’il s’est passé dans les chambres à gaz ». Le crime des crimes ne se « voit » pas. On a envie de dire « ne cherche pas vainement à voir, lis ». La connaissance de l’abomination des abominations se transmet par les livres, dans les livres d’histoire, dans les récits des survivants, dans la littérature. On a envie de dire « si tu veux voir, regarde Shoah, de Lanzmann, regarde La Petite Prairie aux bouleaux, de Marceline Loridan ». Et puis, a-t-on envie de dire, « regarde « Sauver Auschwitz ? » ».


« Sauver Auschwitz ? », de Jonathan Hayoun, sur Arte, mardi 24 février 2017, à 22h45.  

On lira avec le plus grand intérêt les interviews accordées par le réalisateur à Alexandra Profizi pour La Règle du jeu et à Aline LeBail-Kremer pour L’Arche.

2 Commentaires

  1. Enfin un documentaire sur le sujet qui vient combler
    Le nombre plus qu’insuffisant de reportages diffusés sur ces crimes
    Commis pendant la guerre.

    Merci !

  2. Cette expression « le crime des crimes » en parlant de la Shoah a fait son temps. La France reconnait déjà au moins 3 génocides (arménien, juif-tsigane et rwandais) et probablement d’autres à l’avenir. Il arrêter cette mystique du « génocide élu » car quand car quand on entre dans le religieux ça devient être une affaire privée ce qui n’est pas le cas du devoir de mémoire.