Malek Chebel, anthropologue des religions et penseur algérien ayant invité maintes fois ses lecteurs et auditeurs à une « réforme » de l’islam, est décédé le 12 novembre 2016 à l’âge de 63 ans. Des organes de presse arabes en langue française, ainsi que la presse française, lui ont rendu hommage en rappelant les grandes lignes de son parcours et de son œuvre. Ses ouvrages L’Islam pour les nuls ou Le Coran pour les nuls sont fréquemment cités. Toutefois, l’œuvre majeure de Malek Chebel est incontestablement son Manifeste pour un islam des Lumières, sous-titré « 27 propositions pour réformer l’islam », paru en 2004. Pour la première fois en français, un auteur musulman énonçait des propositions claires pour « réformer » l’islam, selon ses propres termes. Tour d’horizon :
Islam : approche de l’amour et nécessité de réforme
Malek Chebel a publié une vingtaine d’ouvrages traitant de l’islam, dont plusieurs consacrés à l’amour dans le monde musulman : il y présente l’islam comme une religion sensuelle, en porte-à-faux avec l’approche islamiste rigoriste mieux connue du grand public. Il évoque notamment la place du vin et de l’homosexualité dans l’islam. Parmi ses publications, on trouve un Dictionnaire amoureux de l’islam (Plon, 2004) et une Encyclopédie de l’amour en islam (Payot, 1995). Son autre sujet de prédilection est la réforme de l’islam, auquel Malek Chebel consacre deux ouvrages majeurs : L’islam et la raison : le combat des idées (Perrin, 2005) et Manifeste pour un islam des lumières (Hachette, 2004). En 2004 également, Malek Chebel crée à Paris la Fondation pour un islam des lumières.
Laïc mais pas athée
Le Manifeste pour un Islam des lumières met en avant 27 propositions pour une réforme en profondeur de l’islam. S’inspirant des Lumières, Chebel fait de la raison et de la laïcité les moteurs du progrès culturel, social et politique. Ses deux premières propositions posent les principes de la réforme : une nouvelle interprétation des textes sacrés et la suprématie de la raison sur la foi. Il écarte toutefois l’athéisme, notant que « rien de très important ne se fait en dehors du cadre de la religion ». Les propositions de Malek Chebel ont pour objectif de fournir des clés à la formation d’un islam moderne et éclairé.
Renoncer à la violence, au djihad et aux châtiments corporels
Chebel appelle à mettre fin aux actes de violence perpétrés au nom de l’islam et notamment à renoncer au djihad. Il prône l’abolition de toutes les fatwas appelant à la mort ainsi que le renoncement complet aux châtiments corporels. A ce sujet, il écrit : « Il n’y a rien de plus barbare que de couper la main à un voleur ou la langue à un menteur, de lapider une personne qui a commis une faute ou d’appliquer des punitions humiliantes à qui que ce soit, car une justice digne de ce nom ne peut utiliser les mêmes armes que celui qu’elle punit, même sévèrement. Tous ces châtiments sommaires relèvent, on le sait, de coutumes ancestrales qui préexistent à l’islam et au Coran. » Dans le cadre d’une modernisation du Fiqh, les aspects les plus barbares de la sharia devraient être dénoncés, affirme Chebel.
Intégrité de la personne : contre l’excision, l’esclavage, le trafic d’êtres humains et les crimes d’honneur
Il s’élève contre l’excision, qui doit être détachée de tout contenu religieux, n’ayant aucune base dans le Coran, contre l’esclavage et le trafic d’êtres humains dans des pays musulmans. Il écrit: « (…) L’esclavage existe encore en Mauritanie, dans la plupart des pays du Golfe, au Soudan et, d’une manière plus discrète, au Maroc et dans l’islam asiatique (…) Il faudrait que les ligues qui militent pour l’abolition de l’esclavage se mobilisent plus qu’elles ne le font aujourd’hui et exigent l’abrogation par tous les pays musulmans de ces pratiques indignes. » Il exige en outre des sanctions fermes contre les auteurs des crimes d’honneur, se demandant ce qui vaut aux femmes le « privilège douteux » d’incarner la pureté des familles pieuses. Il insiste sur le rôle clé de l’amélioration du statut de la femme dans le monde arabe.
La gestion de la cité
Une grande partie des propositions de Malek Chebel sont d’ordre social et politique : il appelle à « donner à la justice les moyens de son indépendance », à « rappeler le primat de la politique en matière de gestion de la cité ». Il suggère de lutter contre le phénomène des assassinats politiques par une démocratisation des régimes. D’autre part, il évoque la nécessité de réformes culturelles : la liberté de pensée et le respect d’autrui devraient pouvoir devenir des valeurs musulmanes. Il souligne aussi l’importance du culte de la personnalité dans la culture arabe, encouragé par les médias, et la nécessité d’enrayer le phénomène. Finalement, il appelle à une législation intraitable face à la corruption, décrit comme le pire des maux frappant les sociétés islamiques.
Primauté de l’être humain sur la religion
Les autres propositions de Malek Chebel portent sur les domaines moins strictement religieux de la technologie, la bioéthique, l’écologie et les médias. L’une de ses propositions consiste à « dépénaliser le jeu et les divertissements » : « La psychologie moderne ayant montré que les activités ludiques sont un facteur d’équilibre et d’épanouissement pour les individus qui s’y adonnent, il n’est que trop normal que les musulmans s’y intéressent aussi (…) Une fois levé l’anathème qui pèse sur le secteur du jeu et du divertissement, la terre musulmane montrera son potentiel naturel (…) »
L’ouvrage s’achève sur le rappel de la suprématie des êtres humains sur la religion et sur l’affirmation que la jeunesse, la société civile – par le biais notamment de réformateurs – et l’éducation sont les trois leviers du changement dans le monde arabe et musulman.