Le problème, si Donald Trump venait à être élu, ce serait, bien entendu, son insondable vulgarité (l’Amérique a vu bien des choses, mais pas encore un président évoquant la taille de son pénis lors d’un débat télévisé).

Ce serait sa haine pathologique des femmes (ne recommanda-t-il pas, naguère, dans une conversation avec l’architecte Philip Johnson rapportée par New York Magazine, de « les traiter comme de la merde » ? et ne les considère-t-il aujourd’hui, quand elles ont le visage d’une journaliste qui le bouscule, comme des créatures répugnantes qui « ont du sang qui sort de leur je ne sais où» ?

Ce serait le racisme déchaîné, sans tabou, qui inspire à cet homme – qui eut longtemps, à en croire sa première épouse, citée par Vanity Fair, un recueil de discours de Hitler en guise de livre de chevet – ses sorties contre les Noirs (forcément «paresseux»), les Hispaniques (généralement «violeurs») ou les musulmans (nécessairement «informés», donc coupables, des tueries d’Orlando ou de San Bernardino).

Ce serait l’antisémitisme à peine mieux contrôlé qui ressort de tel propos de table (The Washington Post, 20 juillet 2015) sur le fait qu’il ne veut voir gérer son argent que par des «petits mecs à kipa » ; de tel tweet insistant (24 avril 2013) sur les origines juives du journaliste Jon Stewart; ou de telle apostrophe, en décembre 2015, à la Republican Jewish Coalition: « vous n’allez pas vouloir me soutenir, car je ne veux pas de votre argent! »

Et je ne parle même pas de l’inculture politique crasse qui lui fait ignorer, dans un débat interne à son parti, le nombre d’articles dans la Constitution américaine ou le sens, à quelques jours du vote, du mot Brexit…

Car le pire du pire, le problème le plus sérieux et le handicap le plus préoccupant pour un homme qui aspire à devenir le chef de la première puissance mondiale, c’est encore le catalogue d’idées simples, voire simplistes, qui semblent lui tenir lieu de vision géopolitique.

Ainsi de l’idée, lancée début mars et probablement inspirée de la gestion de ses faillites privées, d’une renégociation de la dette publique du pays: l’idée n’était pas seulement idiote (le gouvernement américain, ayant le monopole de l’émission de la devise de réserve mondiale, n’a rien à renégocier!); elle aurait été, si son auteur avait été au pouvoir, proprement dévastatrice (hausse immédiate des taux d’intérêt; chute instantanée du dollar; rupture du pacte de confiance entre les Etats-Unis se conduisant comme une sorte d’Argentine riche ou de Grèce américaine et le reste de la planète).

Ainsi de sa proposition, formulée lors de son discours d’investiture à la Convention de Cleveland, de réviser, s’il était élu, les règles d’automaticité de l’engagement de l’Otan aux côtés d’un membre de la coalition menacée: dans le monde selon Trump, la Russie pourrait mettre à exécution la menace, qu’elle a plusieurs fois formulée, de réexaminer la légalité du processus qui a conduit à l’indépendance des pays Baltes; elle pourrait rectifier sa frontière avec tel voisin ou voler au secours d’une minorité russophone «prise en otage» chez tel autre ; elle pourrait envahir la Pologne ou, naturellement, l’Ukraine; elle pourrait chercher querelle au Japon ou à n’importe lequel de nos alliés de la région Asie-Pacifique; la riposte américaine ne serait plus ni automatique ni certaine.

Et puis, naturellement, Poutine, dont il ne perd pas une occasion de louer les qualités: est-il bien convenable, pour un futur candidat à la Maison-Blanche, d’avoir dit à Larry King, dans le cadre de la promotion de son best-seller «Think Big and Kick Ass» (littéralement: «Pensez grand et bottez le cul »), que le numéro un de la puissance adverse est un « grand leader » qui a fait du « grand boulot » pour « reconstruire » la Russie ? fallait-il, en septembre 2013, parler de « chef-d’œuvre » à propos de la tribune publiée par celui-ci dans la presse américaine et où il démolissait la politique américaine en Syrie ? et était-il bien nécessaire, en septembre 2015, au sortir de deux ans de quasi-guerre froide, de dire à Fox News que c’est le président russe qui, en matière de leadership, mérite «un triple A» ?

La vérité est que les liens personnels de Donald Trump et de la Russie sont très étroits et très anciens.

Ils datent de l’époque – début des années 2000 – où, blacklisté par les banques américaines, il se tournait vers des investisseurs russes pour financer ses projets à Toronto, Soho ou Panama.

Et des enquêtes commencent à sortir qui décrivent toute une galaxie d’influences et d’intérêts qui s’est formée à ce moment-là et où gravitent, autour du désormais candidat et pour son bénéfice, des administrateurs de Gazprom, d’anciens lobbyistes du dictateur ukrainien Ianoukovitch ou des vedettes du crime organisé.

Certains, comme Franklin Foer dans Slate, vont jusqu’à voir en Trump le «pantin de Poutine ».

D’autres, comme l’ancien conseiller de Bill Clinton George Stephanopoulos, s’interrogent sur de possibles liens organiques entre sa campagne et le régime russe.

Et The New York Times du week-end dernier est allé jusqu’à se demander s’il fallait voir la main des services russes dans la fuite qui a rendu publics, à deux jours de la Convention de Philadelphie qui allait investir Hillary Clinton, 19252 courriels échangés par des hauts responsables du Parti démocrate.

Ces questions sont terrifiantes.

Ce n’est plus affaire de simplisme, mais d’infidélité à ce qui fait lien, en profondeur, entre tous les Américains.

Et il n’est visiblement plus exclu que le parti d’Eisenhower et de Reagan se soit laissé abuser par un démagogue véreux dont le style, la vie et le credo vaudraient trahison, non seulement des idéaux, mais des intérêts du pays.

Vertige américain.

11 Commentaires

  1. Question au Premier secrétaire sur l’interdiction du voile à l’université : Rangeriez-vous la Citoyenne Badinter dans la catégorie de ceux qui tutoient le FN?

    • «Vous qui faites le malin… comment faites-vous pour arracher le sabre des mains de Tariq Ramadan sans que, fatalement, il atterrisse entre les dents de Nadine Morano?
      — Qu’est-ce que vous sous-entendez? Le sabre ne serait plus entre nos propres mains?»

    • Le principe de laïcité n’induit pas l’athéisation forcée de la société. Faut-il en conclure qu’une république laïque devra se limiter à proscrire tout ce qui ébranle l’assise de l’État de droit, à l’exception des lettres de feu que les avatars du Dieu dont elle assure la liberté des cultes ont essayé, bon gré, mal gré, de transcrire en lettres de sang? Toranique ou pas, la peine de mort par lapidation est abolie en Droits-de-l’hommie, et vous ne trouverez pas une foule de rabbins pour s’en offusquer. Coranique ou pas, la prescription du port du voile est un symbole liberticide ostentatoire au sein d’un monde traversé par le prosélytisme islamique, un monde altermondialisable… à vos souhaits!

    • Je ne vois pas bien comment nous pourrons empêcher le distorsionniste des droits de l’homme de réclamer la suppression des plages mixtes à ceux qui l’auront incité à continuer de feindre la tolérance pour un dialogue multiculturel entre le puritanisme le plus strangulatoire et tout ce qui incarne à ses yeux un crime d’obscénité. Les symptômes de notre soumission augmentent de jour en jour. Peut-être faut-il attendre que la beach terror s’échoue sur nos rivages pour que les particules élémentaires du bouclier des Justes se mettent à scintiller autour des salariés de la peur qui, au nom d’un faux universel, se sont ligués contre elles.

    • — Regardez les plages israéliennes… Un parfait exemple de mixage culturel! Où l’on peut voir tout l’arc-en-ciel social faire trempette dans la Mer nourricière.
      — Le spectre de la lumière veut que chaque bande de couleur aille se fondre dans la suivante. Au bout de votre analogie, il n’est pas censé y avoir de clôture métallique entre ici, une bande de sable réservée aux gays, et là, une plage islam friendly.
      — Et en même temps, ça marche.
      — Ça marche pour un État qui hésite entre la binationalité et la démocratie. La France n’est pas une démocratie en bas âge. Elle a la chance de ne plus avoir ni à fouler ni à refouler les champs de bataille qui portent encore les valeureux stigmates de l’évolution funèbre et triomphale de l’État de droit. Il est tout de même curieux, venant d’une République éprouvant tant de mal à profiter des conseils avisés d’un pays qui, qu’elle le veuille ou non, demeure son principal allié au Proche-Orient, que celle-ci tarde tant à réprimer sa furieuse propension à flancher dans un domaine où nulle pression ne devrait être en capacité de la faire régresser.

    • Mise au point 1 : Pour qu’un peuple ait la possibilité d’exercer sa souveraineté, la preuve de son existence doit être établie comme préalable à la reconnaissance de son état/État.
      Mise au point 2 : Pour qu’un citoyen puisse jouir de la double nationalité, il doit prouver son appartenance à une communauté nationale d’avec laquelle il ne souhaite pas divorcer au moment même où il convole en noces avec sa deuxième patrie.

    • Dernière ânerie en date, le burkini serait l’équivalent de la combinaison de plongée. Lorsqu’on atteint un tel degré de mauvaise foi, il faut commencer de s’interroger sur les raisons qui nous amènent à accréditer des thèses qui font obstacle à la raison. Un fond de débat devenu à ce point explosif qu’on tente par tous les moyens de le désamorcer, au risque de tourner en dérision le principe d’égalité femme-homme.

    • Tandis que les idiots utiles de l’extrémisme modéré nous gratifient d’une contre-leçon de tolérance, je m’interroge sur ce qu’il adviendra de leur modèle de vivre-ensemble photoshopé quand le rapport entre la poignée de burkinis et la marée de bikinis se sera inversé car, au fond, la tolérance est une qualité et non une quantité, et donc, dans l’absolu, il n’y a aucune raison pour qu’une marée de burkinis cherche à imposer ses vues à une poignée de bikinis… Pas vrai?

  2. Il y a une légende urbaine selon laquelle la mort d’Andy Kaufman aurait été son ultime canular. Peut-être faudrait-il examiner plus sérieusement cette piste… Pour être plus sérieux, le gougnafier inorienté des anti-Washington est l’allié objectif des islamophobisateurs. Avec lui, impossible de lutter efficacement, autrement dit, interventionnistiquement contre le méta-empire qui ne dit pas son nom — «Ah bon?» — sans passer pour le pire des néocolons. Alors quoi? se contenter d’une réformette de l’islam? Se contenter? pas exactement. Acter notre incapacité à obtenir plus que ce pas-assez. C’est tout? Eh oui c’est tout. Trop tard, mon ami… Beaucoup trop tard! Ah bon. Mais, populisme pour populisme, ne craignez-vous pas que le plus con n’opte toujours pour le plus con?

  3. Monsieur Trump sort rien moins que reluisant de votre calame. En faire l’éloge serait une supercherie, et l’on vous voit mal vous prêter à ce genre d’amusette. Sans contester le choix des électeurs américains – il est certes affaire collatérale pour nous étrangers (mais néanmoins alliés de très longue date) – qui permit à ce clown à la sinistre figure de décrocher le pompon de la candidature républicaine, comment ne pas trouver sidérante une opération empreinte d’un populisme fort aventureux pour les États-Unis d’Amérique qui restent, jusqu’à plus ample informé, en maints domaines, le plus puissant pays du monde ? On imagine mal pareil gougnafier honorer et servir avec mesure, ne fût-ce que les intérêts bien compris de son pays dans les relations (multilatérales ou bilatérales) avec les autres nations du monde. Qu’il accorde à Vladimir Poutine sa préférence en matière de chef d’État est un signalé symptôme qui en cas d’accès à la Maison Blanche, aurait tôt fait d’entraîner – vu les gros et piètres clichés ainsi que les vues courtes du candidat Trump devenu Président… face au métier et à la roublardise du président russe – un très probable affaiblissement de la diplomatie états-unienne. À l’intérieur, le tableau par vous dressé et que confirment diverses sources américaines (républicaines incluses) laisse augurer du candidat, s’il ne parvenait à maîtriser ses accès hystériques apparemment non feints, une administration pour le moins heurtée des États-Unis et de ses habitants.

    Les populismes qui se manifestent en nombre d’endroits du globe, n’ont sauf erreur, aucun besoin du renfort d’un avatar (modifié !) de maccarthysme, dont les chasses furieuses troqueraient l’anticommunisme d’antan contre des harcèlements dont vous désignez sans ambiguïté, Monsieur, les cibles potentielles.

  4. « [C’est affaire] d’infidélité à ce qui fait lien, en profondeur, entre tous les Américains. »
    Ce calamiteux personnage ne tombe pas du ciel (n’émerge pas des enfers !), il est porté par une vague populaire. nous assistons à l’effilochement de ce qui fait le fondement de la notion, et de sa réalité concrète, de l’État-nation.
    Ici comme là bas, c’est tout ce qui fait lien entre citoyens : l’intérêt commun, le vivre ensemble, le respect des singularités, l’enrichissement par la différence, le désir de l’autre, la capacité à reconnaître et se reconnaître dans des institutions et celle de savoir-vouloir-pouvoir entreprendre les réformes de celles-ci, qui s’effondre.
    On a déjà beaucoup gloser sur la fin du monde né du/des traité/s de Westphalie ; il y aurait des milliers de pages à ajouter aux milliers déjà écrites. Il y a une tectonique des mondes socio-politiques, des relations internationales, des représentations et des institutions ; un tsunami s’en suivra-t-il ? Il n’en reste pas moins que la montée des peurs et des haines de l’autre, des repliements identitaires, l’émergence de nouveaux communautarismes, signent les temps que nous vivons.