En janvier 2015, nous étions tous flics. Vous souvenez-vous de cette devise qui fleurissait sur certaines pancartes brandies après les attentats : « Prénom : Charlie. Religion : Juif. Métier : Policier » ? Si l’on en croit les enquêtes d’opinion, ça n’a d’ailleurs pas changé : ce qui a changé, c’est qu’à la haine islamiste envers ceux qui protègent la paix républicaine, se conjugue désormais une haine d’un autre ordre, ancienne mais jusque-là endormie, réveillée par la protestation contre la « Loi Travail ».
Tout le monde, disent-ils, déteste la police. Je réponds à ces crétins que moi, je ne serais pas sur terre si un policier français n’avait pas prévenu mon arrière-grand-mère, en juillet 1942, qu’une rafle se préparait à Paris. Voilà ce que je sais, voilà ce que j’ai appris.
Non, je ne déteste pas la police. D’autres que ce brave policier, me direz-vous, ont collaboré, et en plus grand nombre. Certes. Peut-être que cet homme à qui je dois d’exister en fit déporter d’autres : je ne le saurai jamais. Mais pensez-vous qu’il n’y eut pas de salauds ailleurs ? Des ouvriers, des voyous, des professeurs, des médecins, des chefs d’entreprise, des chômeurs, des comptables, des musiciens, des philosophes plus pressés de finir une thèse en Sorbonne que de s’engager, des concierges, des savants, des latinistes, des acteurs, des paysans ? Parce que ces derniers pouvaient parfois s’identifier à la morale de la terre promue par Pétain, direz-vous qu’on doit les haïr ? Prétendrez-vous, imbéciles, confondre dans une même haine le fermier pétainiste et celui qui risqua sa vie pour cacher un maquisard ou un enfant juif ? Haïssez-vous la gent littéraire à cause de Brasillach et Drieu la Rochelle ?
Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui le flic me protège et protège ceux que j’aime. Vous protège aussi, traîtres. Qu’il est là pour ça, qu’il est l’Etat, qu’il est le gardien du contrat qui nous lie tous et qui, pour le meilleur et pour le pire, vous lie aussi à moi. Et qu’il est pourtant fragile, ce flic que vous attaquez. Que peut donc sa matraque face à la bombe d’un terroriste ?
Les images de la voiture de policiers incendiée, de ces deux agents agressés sans vergogne, acculés, risquant leurs vies (et pourquoi, en période d’intense lutte, alors que d’autres, sans autre loi que leur infinie prosternation et surtout sans pitié, nous livrent combat et en veulent à nos vies ? on se le demande !), ces images ont bouleversé la France.
C’est qu’il s’y joue plus que de la politique, en tout cas au sens où les médias entendent ce terme si mal compris. Ce qui s’y joue n’est pas la protestation contre une série de mesures techniques, avec lesquelles on peut être d’accord ou non, mais qui ne disent rien, soyons-en sûrs, de notre identité profonde.
Ce qui s’y joue est, osons le mot, métaphysique.
On a parfois qualifié les terroristes du 13 novembre de « nihilistes » : encore faudrait-il que ceux qui emploient ce mot en connaissent le sens et l’histoire. Il n’en est rien. Paumés peut-être, nihilistes non. Anciens nihilistes à la rigueur, mais dès lors que l’islam a répondu à leurs questions, on ne saurait plus parler de nihilisme. Ces gens ont une loi et des valeurs, qu’ils y obéissent parfaitement ou imparfaitement.
Il y a en revanche un lien entre leur idéologie meurtrière et le nihilisme contemporain, celui des fascistes ou des anarchistes athées. En un sens le point de départ est le même : nous vivons dans un univers trop vaste pour nous, et cela ne date pas d’hier ; un monde auquel nous nous sentons parfois étrangers, un monde que nous ne connaissons pas et qui nous ignore. Et dès lors que nous en prenons conscience, tout ce que nos pères ont pu construire pour que ce monde tienne, tout ce qui, chez nous, prolonge et manifeste le sens perdu des choses, devient absurde. Voilà de quoi le nihilisme est le nom.
Derrière l’antinomisme de ceux que l’on appelle nihilistes, il y a d’abord un acosmisme, c’est-à-dire une « étrangèreté » par rapport au monde, à ses déterminations concrètes, charnelles : je rejette la loi et ses représentants parce que je rejette le monde.
En vérité, cet acosmisme peut avoir de très diverses conséquences. Les gnostiques de l’Antiquité choisirent parfois la voie du libertinage sexuel et moral parce que pour eux, nier le monde en vue d’atteindre le Dieu suprême, devait passer par la négation des conventions voulues par le Démiurge, l’« artisan » à la fois divin et maléfique de ce monde, de sa loi et de toutes ses conventions. D’autres, tel Marcion, se firent ascètes, refusèrent la procréation et tout plaisir terrestre. Plus d’un millénaire plus tard, mis face à une problématique semblable quoique décuplée par la découverte de l’infinité de l’univers et de l’insignifiance humaine, Pascal fit le pari de Dieu et du christianisme : le nihilisme existe chez lui, mais comme un moment, une étape préalable obligatoirement dépassée par la foi.
En un sens et si l’on me permet ce rapprochement hardi – dont je me repens presque en écrivant ces lignes – c’est aussi le fonctionnement de nos extrémistes religieux. Ils ne sont pas nihilistes mais leur extrémisme est bien une réponse au nihilisme de la société contemporaine et à leur propre perte de repères.
Les « casseurs », eux, en sont restés à l’« étape préalable ». Leur prétendu antifascisme n’est qu’un moyen commode de désigner leur haine pour toute forme d’ordre. Pourtant, ne nous y trompons pas, le fascisme n’est pas l’ordre mais plutôt le comble de l’anarchie, comme le dit bien l’un des personnages de Salò de Pasolini : « Nous, les fascistes, nous sommes les vrais anarchistes ! » Et c’est en torturant quelque paysan complètement soumis à sa liberté de seigneur qu’il l’affirme, joignant le geste à la parole. Rejetez la loi, vous aurez le sang, la femme soumise aux envies du mâle, le vol ou pour mieux le dire, la rapacité sans frein du plus fort. Calliclès le savait, qui refusait les lois de la Cité parce qu’elles contraignaient artificiellement ceux que la nature avait doués d’une plus grande puissance.
La loi nous protège et nous protège de nous-mêmes ; les flics lui donnent de n’être pas qu’un vain mot. Et pour ce qui nous occupe, la loi El Khomri n’est qu’un prétexte. Les « casseurs », ces rejetons privilégiés de l’une des bourgeoisies les plus bêtes et les plus prétentieuses de l’histoire, qu’elle soit d’ailleurs de la droite sarkozyste ou de la gauche bien-pensante, n’en ont que faire. Ils ne savent pas et ne veulent pas savoir comment fonctionne une entreprise. Ils ignorent et s’efforcent d’ignorer ce qui est bon, à court ou à moyen terme, pour l’économie d’un pays – et donc pour ses travailleurs. Ils avouent sans honte qu’ils préfèrent une France misérable, à feu et à sang, où tous se partageraient à égalité l’effondrement collectif, où l’on mourrait de faim mais sans que personne ne puisse y échapper, à une France prospère et libre où certains seraient plus riches que d’autres. Ils préfèrent le néant à la médiocrité. Scier tous les arbres plutôt que d’en voir un qui aurait l’impudence de dépasser les autres. Ils ne se battent pas pour la justice mais pour la fin. La fin du monde, de ce monde qu’ils haïssent.
Le Comité invisible l’avait au moins formulé honnêtement. Faire dérailler les trains. Interdire la musique. Commettre quelque acte monstrueux, à frapper les esprits, à activer, tel le faux messie Sabbataï Tzvi que ces illuminés prenaient explicitement pour modèle, la fin des temps. Outre que certaines de leurs analyses n’étaient pas stupides et qu’ils n’ont jamais revêtu les oripeaux ringards des Mélenchon, Besancenot et Compagnie (d’ailleurs tout aussi méchamment servis par la plume acérée de Julien Coupat, que les bourgeois ridicules que ce dernier, fils d’un cadre de l’industrie pharmaceutique, avait appris à connaître), il est à remarquer que le Comité invisible a toujours eu le mérite de dire avec clarté ce qu’il pensait, de donner à ses délires la forme d’un discours autonome et articulé. Où se révélait la substance nihiliste et acosmique de cette révolte, exercée aujourd’hui par des troufions nettement moins lettrés et sans nul doute moins intelligents, qui se disent « antifas » parce qu’en cette époque de vignettes, il leur en faut bien une aussi.
Ainsi ces marcionistes modernes rendirent hommage à la « liberté » des barbares de novembre. Il en fallait plus, dirent-ils, pour mourir de la sorte que pour vivre comme nous le faisons. Ils n’avaient pas peur de la mort, eux. Erreur ! Quel courage y a-t-il à mourir quand on « sait » qu’on aura le Paradis ? Il y en a à se sacrifier pour une cause juste, quand on ignore ce qui vient après, ou quand on sait qu’il n’y aura rien, quand on n’est même pas certain, tel le héros de Pour qui sonne le glas, que la cause pour laquelle on se bat triomphera.
Julien Coupat avait confondu là la stratégie bancale mais dépourvue de toute hardiesse (« Je meurs car je suis certain de revivre et de goûter pour l’éternité les joies que m’offre Allah ! ») avec sa folle témérité. En tout cas, on voit bien le lien entre tous ces ennemis de l’Etat et de la société : les uns et les autres détestent le monde et la loi, les deux étant irrémédiablement liés. Les uns voudraient la fin de tout, les autres prétendent substituer à notre ordre corrompu un ordre meilleur et divin. Il n’y a d’ailleurs peut-être, bien qu’ils diffèrent considérablement, qu’un pas du nihilisme à l’islamisme apocalyptique : qui sait, le sabbataïste Coupat finira-t-il peut-être djihadiste ? Les djihadistes, eux, ne sont pas Coupat.
Que répondons-nous à tout ça ? Y a-t-il une réponse non-nihiliste à l’inquiétude acosmique ? Il faudrait plus de quelques lignes, plus d’un article et sans doute plus d’un livre pour traiter cette question avec le sérieux qu’elle mérite. Pourtant je me risquerais ici à une tentative. C’est une piste peut-être. Ou une nouvelle question.
Les gnostiques niaient que Dieu fût à la fois juste et bon. Pour Marcion, le Dieu de justice n’était que le Démiurge, le Dieu créateur, le Dieu de Moïse et des Juifs, adversaire du Dieu de bonté annoncé et manifesté par Jésus. Il s’opposait en cela à Paul, qui rejetait, certes, la loi mosaïque, mais parce qu’il l’estimait accomplie dans l’Evangile. Le même Paul justifiait en même temps le respect absolu de l’ordre, et notamment du sabre que la société oppose aux criminels : « car [le pouvoir] est au service de Dieu pour ton bien. Si tu agis mal, crains-le, car ce n’est pas pour rien qu’il porte le sabre, il est au service de la colère de Dieu pour châtier si on agit mal », affirme-t-il dans l’Epître aux Romains.
Il est possible de rejeter ces deux conceptions à la fois et néanmoins de respecter l’ordre. Appelez cette attitude modernité, laïcité, République, ou appelez-la révolte, mais révolte authentique. L’Etat répare le mal du monde, c’est-à-dire aussi le mal, l’insuffisance de Dieu. L’Etat est l’une des formes de la protestation humaine contre l’incurie divine. L’idée de sécurité, fondamentale – et la gauche devrait d’ailleurs mieux se souvenir que la « sécurité sociale » n’en est que le prolongement, qu’on ne peut en toute bonne foi admettre l’une sans admettre l’autre – est la revendication, par les hommes, d’un ordre meilleur que celui de la Création. Aussi, la police est-elle là, non pour brandir le sabre de Dieu, mais pour remédier à Sa faiblesse. Sa nécessité est consubstantielle à la République laïque aussi bien qu’à la religion correctement comprise.
Elle est sacrée et face à ceux qui la nient, je ne peux donc que dire, avec force et conviction : Je suis flic.
Il est scandaleux d’amalgamer les fascistes et les anarchistes. L’anarcho-sionisme nait en réaction à la montée de l’antisémitisme en Europe à la fin du XIXe siècle : grands pogroms russes des années 1880, affaire Dreyfus en France.
Des anarchistes, comme des socialistes, en viennent à penser que la question juive ne peut faire l’économie d’un projet de société juive séparée, mais intégrée à un projet révolutionnaire mondial.
Pour les anarcho-sionistes, il s’agissait de fonder un foyer national sans État.
Il faut rappeler que si les fondateurs de l’anarchisme étaient hostiles à l’état, ils ne l’étaient pas forcément à l’idée de nation : les communautés humaines, tant qu’elles sont à adhésions volontaires, sont pleinement intégrées dans le projet anarchiste. Au cours du XXe siècle, l’attitude des anarchistes vis-à-vis de la nation est cependant devenue de plus en plus critique.
Les anarcho-sionistes n’adhéreront pas tous au sionisme de Theodor Herzl, trop étatique à leur goût.
Les membres connus de cette tendance, pleinement membres de la mouvance anarchiste, sont à la fin du XIXe siècle Henri Dorr, Mécislas Golberg ou Bernard Lazare. Joseph Trumpeldor, qui plus tard est devenu un héros de la droite sioniste (voir Betar), était aussi à l’origine un anarchiste et un disciple de Kropotkine. Il a déclaré, « je suis un anarcho-communiste et un sioniste ». Son programme pour un réseau syndicaliste de communautés socialistes, formulé en 1908-1909, a influencé la création des Kibboutzim.
Mais bien sûr mon commentaire ne sera pas publié….
Je suis « feuj »; je suis « beurre »; je suis « black »… je suis « flic » : tellement has-been cette façon de parler!
nihilistes, acosmisme, Dieu, etc. …
Pourquoi vouloir allez si loin ?
Il me semble (ce n’est que ma perception) qu’il s’agit plus d’une haine anti-CRS qu’une haine anti-flics …
Bien sûr il y aura toujours des crétins pour s’en prendre aux policiers, plus isolés et moins protégés que les bandes de Robocop.
Les CRS sont des bourrins, des brutes aux ordres les plus crétins, incapables de discernement dès lors qu’on leur demande de charger, et ce sont eux qui font monter le sentiment d’insécurité dans une manifestation. Les casseurs, ont peu s’en éloigner, les CRS par contre sont déployés pour fermer une souricière, et tant pis pour ceux qui sont dedans (vécu).
D’autre part, et c’est aussi le sentiment de nombreuses personnes, les forces de l’ordre (police et Crs) pourraient tout à fait intercepter les casseurs en début de manifestation. Ils sont connus/identifiables, mais ON les laisse faire, car on sait très bien que les médias parleront plus des affrontements/dégradations/blessés que du sujet de la manifestation en elle-même, les derniers évènements sont éclairants à ce sujet (mettez qui vous voulez dans le ON).
Cordialement
Cher monsieur, la différence (pour moi) entre un flic qui sauve un juif pendant la guerre et celui qui en dénonce et raffle des milliers, c’est juste que le 1er suit sa conscience et le second obéit aux ordres!!!!! Toutes les dictatures et massacres du monde entier,d’hier ou d’aujourd hui, n’ont pu aboutir à leurs atrocités que parce que les forces de l’ordre toutes confondues, ont Obéit aux ordres!!!! Ceux qui ne le faisaient pas étaient fusillés et appelés :Terroristes. Alors, si aujourd’hui ils déchaînent parfois les haines du peuple, c’est juste parce qu’ils sont les gardiens d’un pouvoir en place qui fabrique depuis trop longtemps des injustices en toute impunité et à la botte des puissants de ce monde :les multinationales!!! Même durant les attentats, je n’ai pas été flic, juste parce qu’ils ont fait leur métier et rien de plus!!!! Par contre, ceux qui se sont interposés et ont perdu leur vie, ceux qui ont ouverts leurs portes aux passants, ceux qui ont caché des juifs (comme ce jeune, sans papier de l’hypercasher), ceux qui sont venus donner leur sang, ceux qui n’ont pas rejetés les musulmans après cela… etc. alors oui, ceux-là je les respecte vraiment car ils n’obéissaient pas à des ordres, ils suivaient leur instinct. Croyez-vous sincèrement que toutes les guerres, les massacres ou génocides du monde entier, d’aujourd’hui, d’hier ou de demain, existeraient si les chefs d’Etat et patrons de grand groupes étaient ceux qui devaient prendre les armes pour faire « se coucher » les peuples??? Je ne le crois pas. Je ne cautionne pas la voiture brulée avec des êtres vivants à l’intérieur mais je ne supporterai jamais non plus tous les passe droit, les violences et autres exercés par les forces de l’ordre ou armées du monde entier juste parce qu’ils se croient légitimes en obéissant aux ordres ou parce qu’ils ont un uniforme. Croyez-moi, je suis non violente et j’ai croisé dans ma vie des anciens qui pendant la 2nde guerre mondiale étaient soit des policiers qui allaient prévenir les familles, soit des militaires qui se vantaient des viols et autres tortures qu’ils employaient lors des guerres, soit des rescapés de camps, soit des anciens maquisards…et je les ai tous soignés de la même façon sans attendre de Félicitations, de soutien,de controverse juste parce que je faisais mon métier mais le mien consiste à sauver, aider ou améliorer des Vies, pas à faire rentrer dans le « rang » ceux qui se rebellent face au pouvoir injuste en place. Je ne vous parlerai pas non plus du nombre de femmes de policier, gendarme ou militaire qui meurent sous les coups (de poing, révolver ou couteaux) de leur conjoint sans que cela ne soit noté brièvement dans les faits divers. Ce sont effectivement des hommes comme tout le monde mais lorsqu’ils basculent du mauvais cotés, leur statut fait d’eux des êtres à part. Voilà, merci.