Drôle d’époque. D’un côté l’on voudrait interdire la circoncision et cette idée semble avoir fait son chemin en Europe et même dans certains milieux aux Etats-Unis. De l’autre la nouvelle est récemment tombée qu’un groupe de médecins anglo-saxons, dans une revue académique respectée, le Journal of Medical Ethics, avait suggéré que ne pas autoriser des mutilations sexuelles féminines mineures (sic) relevait du « préjugé culturel ».
J’aimerais ici défendre la circoncision et dire en même temps mon sentiment d’horreur face aux mutilations sexuelles. Je sais fort bien quel risque j’encours : celui d’être d’autant plus accusé de « préjugé culturel » que je ne suis pas seulement occidental mais aussi juif – et circoncis. Aussi, au-delà du caractère d’actualité de mon propos, j’aimerais l’illustrer en tenant une approche pour ainsi dire « décomplexée » : on est toujours quelqu’un, quelqu’un de particulier, quelqu’un de situé, c’est-à-dire aussi de limité, on a toujours un point de vue, une perspective singulière, et cette perspective est toujours à la fois potentiellement ouverture et fermeture. Eh bien ! Je le revendique, oui : mon point de vue est celui d’un Juif, d’un Occidental, il vaut donc ce qu’il vaut, qu’on m’écoute ou qu’on ne m’écoute pas, soit, mais j’ai au moins le droit de parler et je le fais.
La circoncision a d’abord révulsé les Européens – si tant est que ce mot eût alors un sens – qui la découvrirent avec les Juifs. Parmi les auteurs latins, on notera par exemple les mots plutôt durs et moqueurs de Juvénal envers ce signe de l’Alliance abrahamique. Il ne va donc pas de soi d’être circoncis en Occident. Le fait est pourtant qu’on pratique ce rite bizarre depuis deux mille ans sur le sol européen et, peu ou prou, sur le sol américain depuis le XVIIe siècle, voire avant. Ça n’a l’air de rien mais pourtant, de la même manière que la première chose à répondre aux tenants du voile intégral est qu’il insulte nos propres valeurs, particulières quoique virtuellement universelles, qu’il est la négation de ce que l’Occident veut dire ou a fini par vouloir dire, la première chose à répondre en défense de la circoncision est qu’elle est acceptée sur notre sol depuis le triomphe de la chrétienté. Fondatrice en outre de la transmission juive, elle a donc permis à l’un des éléments-clés – bien qu’en même temps marginale – de la culture occidentale d’exister et de se maintenir. Il va sans dire aussi qu’en abolissant ce rite pour les Gentils, Paul n’a jamais nié sa grandeur et n’a surtout jamais cessé de l’utiliser comme symbole. Il suffit d’ailleurs, pour se convaincre de sa place dans l’identité occidentale, de considérer ses nombreux avatars dans la peinture et dans la liturgie chrétiennes.
L’excision, elle, ne correspond à aucune de nos traditions. Oui, c’est mon premier argument contre elle comme contre le niqab : chez nous, on n’excise pas.
Mon second argument est évidemment que ce rejet occidental de l’excision a une portée universelle : chez nous, on n’excise pas mais il n’est pas nécessaire à une femme d’être blanche ou européenne pour vouloir dire non à cette monstruosité. Quand Sembène Ousmane fit Moolaadé, il y montra, de l’intérieur, le noble combat de femmes africaines et musulmanes contre cette pratique.
Au reste l’excision n’est pas seulement la négation de ce que l’Occident signifie ou de ce que la civilisation signifie : elle est, loin d’être son équivalent féminin, l’inverse même de la circoncision.
En quoi donc ? C’est d’abord que la circoncision est une opération pour le coup mineure et en aucun cas une mutilation : rappelons qu’une mutilation ne saurait concerner qu’un membre ou un organe, que le prépuce n’est ni l’un ni l’autre et qu’on peut même naître sans.
En outre, à un niveau métaphysique, la circoncision, et c’est ainsi que les penseurs de l’Eglise eux-mêmes l’ont conçue, est un geste d’ouverture sur l’autre : le mâle est débarrassé par elle de ce qui l’enferme en sa masculinité. Geste paradoxal puisqu’il ne concerne que les garçons et qu’il insiste en un sens sur la virilité du Juif tout en en sacrifiant une part.
Comme le montre le talmudiste et universitaire Daniel Boyarin dans son fascinant livre sur les Pouvoirs de Diaspora, la circoncision a été envisagée depuis l’époque de la Mishna comme un recours contre la violence phallique. Au point que certains versets choisis pour accompagner l’entrée dans l’Alliance fassent mine de s’adresser au bébé circoncis comme à une fille, et ça n’est là qu’un exemple : « Mais je suis passé auprès de toi et je t’ai vue, te débattant dans ton sang et je t’ai dit : Par ton sang, vis ! Et je t’ai dit : Par ton sang, vis ! » (Ezéchiel, 16 : 6). En hébreu, on marque le genre du locuteur, de l’objet, de la forme verbale, etc. Ici, le mot qui désigne le sang et son « propriétaire » est à la forme féminine : c’est à l’incarnation féminine d’Israël que le Dieu d’Ezéchiel s’adresse – et c’est ainsi qu’à une fillette que, citant cet étrange verset, le mohel s’adresse au nourrisson qu’il vient de circoncire.
La circoncision n’est donc pas une castration mais peut-être, et c’est un peu ce qu’en dira Maïmonide, une frustration symbolique. Or qu’est-ce que la civilisation sinon la suppression ou plutôt la sublimation de notre native cruauté, de notre égoïsme, de notre volonté d’écraser l’autre ? La circoncision est un moyen de rappeler au mâle que son pénis attend d’être complété, que le plaisir qu’il en tirera vaut par celui qu’il saura donner, que le masculin ne devrait vraiment se déployer que marqué de l’ordre du féminin. Elle n’a pas son équivalent pour la femme car celle-ci, par sa nature même, est un être d’altérité, de générosité et de partage.
Tout au contraire, on le sait, l’excision vient châtier dans les cultures qui la pratiquent ce qui semble trop masculin chez la femme : sa capacité à jouir, à être maîtresse de sa jouissance, cette force qu’elle possède et qui terrifie tant d’hommes quoiqu’elle ne leur ôte rien d’autre qu’un peu de leur toute-puissance. Loin de permettre le plaisir à deux, l’excision réprime celui de la femme tout en diminuant considérablement celui de l’homme. Alors que la tradition juive, dès le Talmud, insiste sur l’importance de l’orgasme féminin, l’excision, elle, le bâillonne. L’excision est au sexe ce que le voile intégral est au visage, quand notre civilisation, la civilisation tout court, veut l’échange et le partage, voir l’autre et être vu de lui, jouir et faire jouir.
A la fin de la Contrevie, Philip Roth, Juif pourtant agnostique, a merveilleusement résumé le sens de la circoncision, disant d’elle qu’elle est tout ce que la « pastorale » n’est pas, « renforçant » dans ma chair ce dont parle le monde, l’exister même, qui n’est jamais unité sans heurt (« strifeless unity »). La circoncision est sortie de la paix matricielle et de son inhérent égoïsme ; démenti porté aux mensonges idylliques : naître est déjà, de toutes les manières, renoncer à ça.
C’est aussi dire au garçon qu’il ne s’appartiendra vraiment qu’en renonçant à être tout à soi, qu’en acceptant, dans l’immanence de sa chair le sceau de la transcendance, « the heavy hand of human values ». La circoncision, en un mot, brutalise parce qu’il est nécessaire de renoncer à l’illusion que l’homme de la nature serait bon. Elle ouvre ma chair à la présence de l’autre, la restituant aussi, ce faisant, à soi. Sa fin est donc en même temps à l’opposé de celle que se donne l’excision : « châtier » pour faire une place à l’autre dans ma chair n’est pas châtier pour soumettre, n’est pas détruire ou bâillonner. La circoncision est initiation, l’excision est silence.
Tous les « symboles d’appartenance culturelle » ne méritent pas un égal respect. N’est-ce pas là une essentielle et simple vérité ? Notre lunatique époque semble pourtant devoir le réapprendre : quand les uns excluent toute violence, symbolique ou nécessaire, les autres semblent prêts à bannir la moindre hiérarchie et à accepter, pourvu qu’un peu d’exotisme s’y trouve, la violence la plus crasse, la plus sauvage et la plus inutile.
Sembène Ousmane, Moolaadé, mars 2005
« Rappelons qu’une mutilation ne saurait concerner qu’un membre ou un organe, que le prépuce n’est ni l’un ni l’autre ».
Le type d’excision qu’on propose d’autoriser n’ampute qu’un morceau de peau, pas le clitoris.
Lisez des témoignages d’hommes circoncis à l’âge adulte et vous saurez que vous avez été privé de la plus grosse partie de vos sensations sexuelles.
Votre démonstration que la circoncision n’est pas une mutilation me semble assez bancale:
1) Si la mutilation ne saurait être définie que comme l’amputation d’un « membre » ou d’un « organe », alors on pourrait couper le bout du nez ou les lobes d’oreille des enfants sans que cela ne soit considéré comme une mutilation.
2) Le fait que l’on peut naître sans une partie du corps ne prouve pas qu’amputer celle-ci n’est pas une mutilation: on peut naître sans bras et sans jambes, donc amputer les bras et les jambes d’un enfant sain ne serait pas une mutilation?
Ceci dit, le problème n’est pas la circoncision en général, un adulte devrait avoir le droit de faire ce qu’il veut de son corps, qu’il se fasse amputer le pénis entier ne me dérangerait pas si la décision mûrement réfléchie venait de lui, par contre amputer une partie saine et fonctionnelle des organes génitaux d’une personne incapable de consentir car encore trop jeune, est clairement une atteinte aux droits de l’Homme, quelle qu’en soit la raison philosophique, religieuse, hygiéniste ou mercantile du circonciseur.
Arriver à l’âge adulte avec des organes génitaux entiers et intacts devrait être un droit humain inaliénable, et la seule et unique personne ayant le droit de décider de s’en faire amputer une partie (de la taille d’une carte postale à l’âge adulte!) devrait être le propriétaire du pénis, puisque c’est lui qui devra vivre avec le restant de ses jours, et que cette amputation est irréversible!
Et cela devrait également valoir pour les circoncisions « médicales » en cas de phimosis, d’abord parce que 99% des phimosis se résorbent naturellement jusqu’à 18 ans, ensuite parce qu’il y a des hommes adultes ayant un phimosis qui se sentent très bien comme ça et n’ont pas la moindre envie de se le faire enlever.
La plupart des pays africians ont légiféré sur l’interdiction de l’excision, pourtant cette pratique a toujours lieu et des millions de filles y sont toujours exposées. Il faut que les mentalités changent en profondeur.
La Gambie, réputée pour être l’un des pays qui pratique le plus l’excision vient d’annoncer son interdiction. Espérons qu’ils donnent l’exemple !
Selon moi la circoncision est une mutilation qui s’apparente davantage au fait de percer les oreilles des bébés ou des petites filles, c’est-à-dire des alterations physiques douloureuses imposées à des enfants pour le reste de leur vie, donc moralement et éthiquement douteuses, bien que non dangereuses pour la santé, contrairement à l’excision…
J’ignore si, après réflexion, Nicolas Ker me tient toujours pour son ennemi mais, une chose est sûre, il n’a jamais été le mien. Ne me connaissant pas, il ne pouvait pas deviner que, depuis un nombre d’heures qui se compte en années, je ne suis pas le dernier à monter au créneau quand il s’agit de dresser un rempart contre les lyncheurs de ce dont Bernard-Henri Lévy est le nom. Alors, si mon énergie dans la riposte ne t’aura probablement pas surpris, mon Hannibal lecteur, je vais tenter de clarifier ma position pour ce précieux inconnu que j’aurais, par mégarde, embourbé dans un sombre malentendu. Notre époque se caractérise par la résurgence du fascisme polychrome. Face au fascisme, mon attitude n’est pas cyclothymique. Elle dénoterait plutôt une constance de bonze. Et un certain sens de l’unité du genre humain. En d’autres termes, je ne traite pas le nazillon arabe avec la commisération condescendante du colon. Suis-je insensible au naufrage spirituel des responsables de la mort d’un petit réfugié kurde, âgé de trois ans, dont le visage a laissé son empreinte dans le rivage turc? Disons que je réserve mes larmes pour leurs prochaines victimes. Et si je me désole du fait que quatre-vingt-dix pourcents des Allemands de 1933 n’aient pas bénéficié dans leur enfance d’une éducation familiale qui les aurait rendus allergiques au poison national-socialiste, je n’ai qu’une chose en tête sur l’autoroute caillouteuse où me traînent les pseudo-résistances collaborationnistes de MM. Néostaline et Néopétain. Cette chose c’est l’efficacité. Or sans exactitude, pas d’efficacité. Il se peut très bien que le rock ait sauvé un rockeur de ce que Nicolas Ker qualifie de déshérence, rien n’empêche pour autant que, téléporté dans un autre début de millénaire, le même égaré relatif — on n’est jamais absolument perdu —ait retrouvé son chemin avec l’aide d’un Maïmonide ou d’un Voltaire. Concluons-en, si vous voulez, que deux paumés se ressemblent a priori comme deux gouttes d’eau. Eh bien, que vous le vouliez ou non, la solidarité des paumés ne permettra jamais d’établir une équivalence entre leurs points de chute respectifs. Car quand une part d’entre eux aura eu la chance de se rétablir sur ses pieds avant de toucher le sol, une autre se sera lamentablement crashée sur le trompe-l’œil de son Eldorado. Cela aura dépendu de leur conception du saut. Pas impossible que les zones d’atterrissage qu’ils se seront choisies pour l’effectuer aient été de nature sensiblement différente, voire opposée. C’est ça. Ce que nous venons de toucher. Ce qui m’a fait sortir de mes gonds à l’idée qu’on puisse identifier une proximité hypoculturelle entre les victimes du 13 novembre et leurs assassins. Si l’objectif de Nicolas Ker était de rappeler à ses congénères que les unités à la tête de mort du méta-empire vert ne sont pas des monstres mais bel et bien des hommes, je devrais pouvoir le rassurer sur ce point, moi qui m’expose aux railleries des experts en relations internationales chaque fois que je réclame à la Ligue arabe un témoignage de sa prise de distance avec la nouvelle Propagandastaffel antisioniste. On n’attend pas une prise de conscience de la part d’un monstre.
On connaît les conséquences atroces de l’excision sur la santé des femmes. En revanche, la circoncision, si elle peut être considérée comme « barbare » par certains, n’a pas de conséquences néfastes sur la santé !
« A propos des mutilations sexuelles », comment pouvez vous prendre la défense de ce que vous appelez vous même « mutilation » ??
La circoncision existe chez les Musulmans également. Pourquoi ne l’abordez-vous pas dans votre démonstration ?
Pour les mêmes raisons..Les Musulmans pratique la circoncision par mimétisme .
Quelle démonstration laborieuse, il y a de bonnes mutilations et de mauvaises mutilations « chez nous ça se fait pas » ridicule comme tout ce qui touche de près ou de loin à la RDJ.
Ah et j´aime bien « les gentils » un peu moyen âgeux comme concept, non ?