Des deux auteurs du film « Salafistes », qui fait scandale en ce moment, l’un est mon ami : François Margolin.
Nous nous sommes connus à l’époque, fin des années 90, où je faisais un grand reportage dans le Panchir et lui le premier film vérité sur les talibans au pouvoir à Kaboul.
Puis sur les routes de mes guerres oubliées tandis qu’il tournait le premier et, à ce jour, unique film jamais réalisé sur le phénomène des enfants-soldats.
Il a produit mon documentaire sur la Libye.
Puis celui que je consacre à la guerre des Kurdes contre Daech.
Et la vérité est qu’il y a peu de combats où je me sois engagé depuis deux ou trois décennies sans que nos routes se soient croisées – à commencer par ce jour de 1979 (notre première rencontre, il me semble) où nous nous sommes retrouvés, lui, le survivant d’une famille exterminée dans l’enfer de la Shoah par balles en Lituanie, moi l’auteur du «Testament de Dieu», à venir perturber, chahuter et, finalement, interrompre la conférence, à Paris, d’un des porte-parole (peut-être Faurisson, mais je n’en suis pas certain) de ce que l’on commençait à peine d’appeler le négationnisme.
Tout cela pour dire que je n’ai évidemment aucun doute sur l’intention du film qu’il signe avec Lemine Ould Salem.
Est-ce à dire que j’en aie sur le film fini et sur l’effet qu’il peut avoir sur les spectateurs qui iront le voir dans les deux salles de cinéma parisiennes où il est projeté?
Pas davantage.
Car, à l’inverse de ceux qui en parlent par ouï-dire ou répètent, tels des disques rayés, la doxa qui ne veut ni savoir ni comprendre, j’ai pris la peine de le voir et revoir – et lui trouve trois vertus capitales.
1. Il montre, comme on l’avait rarement fait, la dimension idéologique du djihadisme. La plupart des commentateurs nous présentent ces gens comme des déséquilibrés, pour ne pas dire des faibles d’esprit, radicalisés sur Internet et tombant dans le djihad par l’opération du Saint-Esprit. Ould Salem et Margolin montrent que c’est bien plus compliqué, et structuré, que cela. Ils montrent qu’il y a, au centre de la toile, des idéologues implacables, dotés d’une vision du monde intégrale et engagés dans une guerre totale avec les démocrates d’Europe et du monde arabo-musulman. C’est embêtant. C’est moins simple que de se dire qu’on a affaire à des demeurés, issus de quartiers difficiles, traumatisés par une enfance à problèmes et justiciables de la fameuse culture de l’excuse. Mais c’est, hélas, la vérité.
2. Il souligne – et cela a, également, été peu fait – l’inspiration religieuse qui anime bel et bien ces criminels. Eh oui! Depuis le temps que, paralysé par la légitime crainte de faire l’amalgame entre islamisme et islam, on cède au piège inverse : celui de ce que Jean Birnbaum, dans son «Silence religieux», appelle le «rien-à-voirisme» – rien à voir, rien, l’islamisme n’a «rien à voir avec l’islam»! Ould Salem et Margolin disent l’inverse. Pardon, ils le démontrent. Et, en allant filmer des prêcheurs, des imams, des docteurs ou des sous-docteurs de la foi qui trouvent dans le Coran quelques unes de leurs raisons de tuer, ils exposent bien la complexité de la question. Islam contre islam. Islam assassin contre islam des Lumières. Absolue nécessité, réciproquement, de soutenir les tenants du second dans leur guerre de longue durée contre le premier. Et, pour cela, obligation de connaître, baliser et, à la fin, investir à leurs côtés ce champ de bataille théologico-politique. C’est un impératif. Et c’est à quoi invite le film.
3. Et puis ses auteurs font un troisième travail encore, décisif pour qui veut donc combattre et, pour cela, connaître le djihadisme. Il souligne l’attrait, eh oui, l’attrait, on est bien forcé d’utiliser le mot, que sa parole peut exercer sur les candidats à la terreur de masse. Il faut avoir vu ce Tunisien, patron du site «Le salafiste moderne», faire l’apologie de la charia cool et branchée. Il faut avoir entendu cet autre dépeindre, d’une voix doucereuse, la grande vie au paradis qui attendait les martyrs partis mêler leur propre mort à celle des victimes de l’Hyper Cacher puis du Bataclan. Ou ce troisième décrire la géhenne que sont, tant que l’on n’y a pas mis bon ordre, nos sociétés d’injustice, de corruption et d’inégalité entre les hommes. Ainsi vont les fascismes. Ainsi fonctionnait le nazisme dont le nihilisme exterminateur avait pour contrepartie la forme d’enthousiasme qu’il était aussi capable de susciter dans les foules allemandes et européennes. Ainsi le polpotisme qui n’aurait jamais aveuglé – et ne continuerait, d’ailleurs, pas d’aveugler – tant de directeurs de conscience en Occident s’il n’avait fait fond, lui aussi, sur un ardent, puissant et terrifiant désir de pureté. Eh bien, c’est la même chose avec le troisième fascisme. Il faut, derrière ses grimaces hideuses, voir son visage humain. Il est vital, si on veut le défaire, d’entendre le type de promesse qu’il fait à ses sicaires et que viennent «contextualiser», dans le montage du film, des scènes de barbarie qui en sont l’exact et atroce contrepoint.
Je conçois, encore une fois, que rien de cela ne soit plaisant à regarder en face. Et chacun sait que les sociétés, plutôt que d’entendre le message, choisissent souvent de brûler le messager. C’est, chaque fois, une erreur tragique. En allant au plus près des tueurs, en rapportant leur presque insoutenable parole, en exposant les ressorts qui font que cette parole peut fonctionner et, dans un nombre grandissant de territoires, mettre le feu aux âmes faibles, ces deux grands reporters ont fait œuvre de salubrité et de vérité publiques.
La polémique autour de ce film prouve bien la difficulté dans laquelle nous nous trouvons pour affronter ce mal qui se répand. Si on n’est même pas d’accord sur la façon de traiter l’information autour du djihadisme, alors comment parviendra-t-on à l’endiguer ?
Comme l’a dit Valls, expliquer c’est commencer à excuser. Donc montrer de manière brute comme le fait ce film, permet de faire connaître les faits sans pour autant trouver des excuses ou des circonstances atténuantes.
Les documents mettant en lumière les modes de pensée du salafisme doivent impérativement être pédagogique, et donc mettre en contexte, donner des clés pour comprendre. Autrement ce ne sont que des relais de plus à la propagande islamiste.
Cher Monsieur, ce n’est pas parce que des fous déséquilibrés prétendent trouver dans le Coran des raisons de tuer que de tels propos existent réellement dans le Coran !! Je pense que ce film, au contraire, montre le délire de ces personnes qui croient trouver dans le Coran des justifications, alors qu’ils ne font que plaquer leurs pensées meurtrières sur un texte sacré.
Si Daech déplace le viseur de son petit manège sur le Front national, c’est d’abord dans l’objectif de redorer son blase par contraste avec l’Adversaire pour ensuite légitimer sa guerre contre un ennemi incontestable de l’humain, pas trop humain, qu’il représenterait. Une version ultime de l’humanité dès lors que celle-ci aurait poussé la totalité de l’Autre à s’en retrancher. À l’évidence, identifier l’ennemi de Daech avec une extrême droite raciste et xénophobe offre, en retour, la possibilité de déclarer fasciste — non sans un grossier détournement de la raison déductive — tout ennemi de Daech. Nous voyons là par quelles turpitudes sémiotiques les rhéteurs de l’organisation terroriste utilisent l’idéologie antirépublicaine de la Franchouille afin de remeubler le temps de cerveau disponible de tous ces raccrocheurs/décrocheurs potentiels qu’ils destinent à l’establishment de la République islamique d’Europe. Redoutant qu’un bon nombre des antiCharlie, antipolice et antiHyper Cacher n’aient pas poursuivi leur descente dans l’immonde jusqu’à la cave néogestapiste du Bataclan, ils s’attacheront, le temps d’une campagne, à remettre en place les idées du colon de peuplement, à remettre les points de détail de l’Histoire sur les islamistes-nés. 1. Daech mène une guerre défensive (énième objet de spoliation intellectuelle). 2. Daech croise le fer avec un agresseur terrible. 3. Ceux qui bombardent les défenseurs de l’honneur des musulmans sont étiquetables FN. Dernier renversement en date : Duflot, victime elle aussi d’une cabale (sic), laquelle dans son esprit a conservé la signification de conspiration — la germanisation du nom de Cabale par Mopsik, si elle visait bien à opérer un nettoyage sémantique, n’a pas plus sanctifié qu’elle n’a désaffecté la chose qui l’affectait — et, ce faisant, inscrit l’ex-ministre de la République dans le palais des glaces d’un antisémitisme des plus classiques et, reconnaissons-le, historiquement renaissant. Il faut toujours s’assurer, Madame, que le portrait sur lequel on crache ne soit pas un miroir.