Comme pour beaucoup de gens, et des gens bien plus connaisseurs et bien plus inspirés que moi, David Bowie était, pour la personne que je suis, quelqu’un de capital.

Je ne crois pas qu’il se soit passé un jour depuis mes 10 ans sans que sa voix n’accompagne mes joies, mes tristesses, mes rêves, mes fantasmes, mes amours.

Il était, pour moi, une présence quotidienne, un guide, un phare dans la nuit. De sa voix, de son regard, si uniques, il perçait en moi des tunnels infinis que je ne cesse encore d’explorer. Il me portait. Je craignais sa mort comme on craint celle d’un proche. Il accompagne encore chacun de mes pas.

Il y a encore à peine quelques jours, j’étais avec des amis de mes parents. Des quinquagénaires, vieux punks donc jeunes gens. Vivants car ils survivent sans avoir concédé. Des Vernon Subutex qu’a bercé Bowie, comme il n’en existera plus.

L’un parmi nous n’en a plus pour longtemps. C’est le sida qui va l’emporter. Il en a fauché beaucoup d’autres avant lui.

La voiture pensive traverse la Normandie qui vit naître la plupart de ces braves. Un territoire aujourd’hui vidé de la force vive qu’ils incarnaient en occupant ses bars. « Starman c’était le numéro 433 sur le jukebox » me dit ma mère.

A la radio, dans cette voiture donc, je reconnais ces premières notes de batterie qui annoncent le monument qu’est « Five Years », premier morceau de Ziggy Stardust. Une chanson qui parle de la mort, de la fin du monde. Elle est glaciale de beauté. Tous se sont tus, soudainement, comme pour laisser passer un Ange. La chanson est sacrée, pas un mot avant la dernière note. Perdus dans leurs pensées, leurs yeux se sont remplis de larmes et je comprends. Je vois dans leurs yeux, je vois tout, leurs souvenirs défiler, je vois à quel point cette chanson les avait accompagnés et maintenant les rattrapait, je vois la nostalgie, l’amitié et l’amour qui vaincra ce temps qu’il nous reste.

« We’ve got five years, that’s all we’ve got ! »

Dans notre intimité la plus totale, David Bowie s’invitait pour nous aider à nous dire l’indicible, envisager la jeunesse, la vie et maintenant la mort.

Plus jeune, lorsque j’ai su que j’étais homosexuel, c’est lui aussi qui m’a dit dans « Lady Stardust » que « it’s all right ! » et même que ce serait une vie incroyable que de sortir avec ces « Boys, sweet things, sweet things ».

J’ai pu mettre du noir sur mes yeux avec fierté et désir. J’ai pu marcher dans la rue avec détermination, d’un pas puissant. Il me donnait une confiance que ne pourraient détruire les regards réprobateurs. C’est confronté à eux que mes choix étaient confortés, le choix de la différence, d’être celui que je voulais être. J’étais intouchable, j’avais sa bénédiction et je n’avais qu’à mettre « Kooks » pour l’entendre me dire « We believe in you » ou « Rock and Roll Suicide » pour cette ligne qui a dû en sauver plus d’un « Just turn on with me and you’re not alone »

Je faisais du « You can be heroes, just for one day » ou de « Changes » un dogme pour que chacun puisse se dépasser dans une définition libre de son identité, moi le premier évidemment. Je marchais dans les rues de Londres au rythme des très pluvieux « Candidate » ou « Wild is the Wind ». Sa voix, me transperçant, ouvrait le champ des possibles.

Car c’est là, la plus grande oeuvre de David Bowie : il a ouvert des portes. Des portes pour moi, pour vous, pour tous.

Dans une société corsetée dans le conservatisme, le taylorisme, le souvenir de la guerre, il donne un coup de platform shoes qui vient dire, à tous : Tout est possible ! Vous pouvez devenir quelqu’un, et ce quelqu’un, vous l’aurez choisi ! Il incarne à lui seul la postmodernité, l’invention d’une jeunesse qui se démarque de la génération précédente pour refuser la sainte trinité « Council House, Ford T et langes de bébé » et demander le monde dans son entièreté, dans sa diversité. Et bien au delà du monde, puisqu’il nous emmenait sur Mars et y cueillait toutes les étoiles.

Il nous a donné la lumière pour que nous puissions nous dépasser. Pour devenir de véritables individus, êtres de choix et d’invention. C’est cette leçon que j’ai fait mienne.

D’autres, bien avant moi, ont su suivre ce phare. Et c’est là, la seconde œuvre de David Bowie, c’est d’avoir si bien inspiré, choisi, guidé, accompagné des personnes, des artistes dont le talent et l’originalité ne peuvent que refléter celui de leur maître.

Il nous manque déjà. Dès la minute qui a suivi l’annonce de sa mort un vide s’est creusé. Cela néanmoins : sa musique, et ses continuations qu’il a savamment – souvent de manière volontaire – distillées dans l’oeuvre d’autres, a déjà triomphé de la mort.

C’est dans l’humanité l’unique, dans le transitoire l’éternel, la création pure, ce qui transcende jusqu’aux fins dernières, enfonce les portes ouvertes, fait la profondeur des horizons aux fenêtres et nous mène, chacun ensemble, aux devants de la Beauté et de la Liberté.

4 Commentaires

  1. David Bowie était un révolutionnaire ! Il a aidé beaucoup de personnes en s’exprimant de façon magnifique sur ce qui était alors des tabous. On ne l’oubliera jamais.

  2. Avec son esthétique androgyne et extravagante, Bowie a réussi à remettre en question l’idéal viril de son époque, et c’est aussi pour ça qu’on l’apprécie autant !