Un lundi soir normal à la télévision française. Le duel Chirac-Mitterrand rejoué en prime-time, le premier ayant les honneurs d’un documentaire diffusé sur France 3, le second raconté et remarquablement décortiqué sur Arte par la caméra de William Karel. Au lendemain d’une élection à fort taux d’abstention, alors que les deux grandes chaînes (TF1, France 2) avaient fait dimanche le choix de ne pas étendre leur couverture des régionales préférant diffuser respectivement le Diner de Cons et la série Meurtres au paradis, les vieilles habitudes ont repris le dessus. On a offert de la politique, beaucoup de politique au téléspectateur… De la politique jusqu’à plus soif. Une maladie française ! Que dit l’abstention ? Nous ne croyons absolument plus en nos élus. Pourtant, les médias s’entêtent à nous raconter leurs manœuvres dans les moindres détails. Résultat : on petit-déjeune l’oreille collée au transistor. Sur Europe 1, France Inter, RTL et même Radio Classique, qu’entend-t-on ? Des invités politiques ! En ouverture des journaux télévisés de 13h et de 20h, quelles stars ? Des politiciens. Toute la journée, sur les chaînes d’info en continu, que voit-on ? Des duplex en direct de l’Elysée et de Matignon, des paroles volées à la sortie de Solférino et de la rue de Vaugirard, le FN omniprésent… Cela sans évoquer les soirées passées devant C Dans l’air, Des Paroles et des Actes et feu Mots Croisés pas plus que les débats sans queue, ni tête, ni fin se tenant à tout moment de la journée sur les réseaux sociaux, Facebook en tête. Résultat, le citoyen lambda sature. Il est assailli d’idées contraires, de concepts obscurs, de vestes tournées et retournées, de sigles. On exige de lui qu’il choisisse son favori deux ans avant la prochaine élection présidentielle, qu’il envisage l’hypothèse Macron, qu’il arbitre la guerre familiale chez les Le Pen, qu’il donne son avis sur un éventuel remaniement, Taubira, Bayrou, Merkel, Erdogan, Poutine, Obama, Trump… Overdose.
Le petit écran a largement contribué à transformer la politique en spectacle. Un spectacle sans fin, sans début, sans logique, ni vision. Rien que de la posture et des déclarations de circonstance. Bienvenue dans l’air du breaking news qui ne casse pas trois pattes à un canard, de l’alerte push abusivement envoyée sur tous les smartphones de France et qui saute à la gueule, sauvagement, en faisant croire aux français qu’ils sont devenus de fins analystes de la chose politique. Heureusement, la presse écrite prend globalement de la hauteur. On y lit quotidiennement plus et mieux sur quelques pages qu’en une semaine entière passée les yeux rivés sur les débats stériles et braillards menés sur BFM et Itélé. Reste qu’il est impossible d’envisager la presse écrite sans politique. Sans cette dernière, la première perd de son charme et quasiment tout son sel. Libération et le Figaro sont véritablement (essentiellement pourrait-on dire) eux-mêmes lorsqu’ils racontent les vicissitudes de la chose publique du haut de leurs collines partisanes. De même pour les grands hebdos et la fameuse triade Le Point / L’Express / L’Obs qui – soit dit en passant – valent mieux que leurs Unes et paraissent si tristes, si secs lorsqu’ils en sont réduits à publier leurs traditionnels marronniers, classement des hôpitaux, guides des vins et autres palmarès des grandes écoles… Voici la chose simple comme un adage : si vous ne traitez pas de politique, personne ne parle de vous ! Le dernier gros coup des Inrockuptibles ? Cette une avec un Alain Juppé rigolard et plutôt bavard. Un numéro destiné à marquer les esprits doublé d’un joli coup médiatique (disons cela plutôt que « buzz », mot devenu grossier, vulgaire, bas de gamme et pour tout dire : morandinesque). Cette une fut partout reprise, le candidat Juppé lui doit aujourd’hui rien de moins que son « retour de hype » qui le place en position idéale pour défier Nicolas Sarkozy.
Même raisonnement du coté de Marianne qui a érigé l’adage en système. Magazine d’opposition féroce lors du quinquennat Sarkozy, l’hebdo semble aujourd’hui orphelin sans sa tête de turc au château élyséen. Désormais SCF (sans cible fixe), il dézingue tout ce qui bouge dans ses éditos, tire un coup sur Hollande, un coup sur Valls, tance Macron, enterre la gauche, moque les bobos, dénonce la malbouffe, les puissants, la perte des valeurs… Plutôt que de migrer purement et simplement vers la culture et les idées – cela aurait été une possibilité -, le magazine crée par Jean-François Kahn continue de faire de la chronique de la vie politique son principal argument de vente. Plutôt que de modifier en profondeur son ADN, il se réforme à l’abri des regards. Marianne a ainsi dernièrement reboosté son site Internet en débauchant Delphine Légouté, transfuge prometteur du Lab d’Europe 1 au tropisme largement politique. Le résultat est net, voyez par vous même : mardi 15 décembre, sa homepage, richement fournie, était par exemple exclusivement consacrée à l’analyse des régionales. Mais alors que la version papier du magazine cible un lectorat qui faiblit, son site web se fixe un objectif opposé : raconter la politique aux jeunes, cette cible large, hyper connectée qui va du post-ado fraîchement auréolé de son titre de bachelier au trentenaire citadins CSP+. Autrement dit, un tout nouveau public qui ne se reconnaît pas dans les médias traditionnels et auquel il faut impérativement parler différemment si on espère le fidéliser. Autre symbole de ce changement de ton dans le traitement médiatique de la chose politique, Yann Barthès et son Petit Journal diffusé sur Canal Plus. Un format si efficace qu’il est arrivé a en éclipser son maître, celui qui l’a vu naître en son sein: le Grand Journal. Volant de ses propres ailes depuis 2011, l’émission n’a cessé de prendre de l’importance dans le paysage audiovisuel français jusqu’à éclipser les Guignols de l’Info (pour l’heure réfugiés sur l’antenne cryptée de la chaîne à péage). En France, le format paraît révolutionnaire. Il s’inspire pourtant fortement de la ligne du Daily Show de John Stewart, émission mélangeant politique et humour, diffusée de 1999 à 2015 sur le network américain Comedy Central. Petit Journal comme Daily Show tirent leur épingle du jeu du fait de leur partis pris : leurs équipes de journalistes sont ouvertement progressistes, féministes et antiracistes, leurs émissions alternent l’humour et le sérieux, moquent l’actualité et ceux qui la font. A l’instar des Labs (Europe 1) et des Scans (Le Figaro) qui exhument les petites phrases passées inaperçues, #fails et autres bourdes des responsables politiques, Le Petit Journal traque le faux-pas. Il titille, agace. Souvent il est caricatural, tatillon, fier de ses effets. Mais il a aussi quelques véritables mérites. Le premier d’entre eux : il fact-check, autrement dit procède à la vérification de la parole à l’aune des faits. Le résultat bouleverse les états-majors des partis et terrorise jusque dans les couloirs de l’Assemblée. Voilà enfin que mes élus ne sont plus tout puissants et qu’ils sont soumis au verdict d’une opinion véritablement informée. Voilà les mensonges débusqués et l’exigence de vérité remise au centre du jeu politique. Un travail considérable. Pourtant, les moyens de ces équipes, sur Internet comme à la télé, ne sont pas astronomiques. Les caractéristiques de leurs effectifs respectifs constituent certainement leurs principales forces. Ils sont jeunes, légers, plein d’enthousiasme.
Pointe alors une intuition : à l’heure où l’on se demande comment réformer notre vie politique et par quels moyens redonner du sens à l’engagement partisan, la solution vient peut-être des médias, ceux qui évoluent, pas ceux qui restent à quai. En effectuant plus efficacement leur mission d’information, ils contraignent les partis à changer ou mourir, forcent les politiciens à assainir leurs pratiques et à moderniser leurs discours. Pas besoin d’être Mediapart pour arriver à ce résultat !
Le juppéisme? Le raffarinisme? Le villepinisme? Quel renouveau! Et quel présage pour qui sait où se loge l’avenir…
Je ne connais que deux hommes politiques qui, non seulement, aient eu le cran d’affronter le hamassiste Ramadan à une curieuse époque où les médias français lui déroulaient le tapis rouge, mais qui, dans le feu de l’action, soient parvenus à refroidir les ardeurs du charmeur. Le premier, personne ne l’aura oublié, c’est, bien sûr, Nicolas Sarkozy. Le second, un certain Manuel Valls qui, par son attitude adroite, en avait surpris plus d’un à gauche.
P.-S. : On peut considérer que cette modalité d’action n’évite le ridicule qu’à l’expresse condition qu’elle révèle un intellectuel. Chacun jugera.
Le Maire fustige la mauvaise exception française du retour des perdants en politique. Aurait-il, lui aussi, oublié la consternante situation de perdition dans laquelle Sarkozy avait dû accélérer son comeback?
Attention! Si M. Bertrand a poliment demandé à M. Sarkozy de bien vouloir fermer sa gueule, n’allons pas en conclure que le nettoyeur de Marine Le Pen serait en réalité un entriste jospinien chez les Républicains. L’ancien Secrétaire général de l’UMP a, tout comme son successeur au poste, un profil d’Iznogoud. Ça ne saute pas aux yeux de ceux qui oublient qu’un personnage de BD, aussi typé qu’il soit, peut revêtir une personnalité universelle. En cela, Xavier Bertrand n’a rien d’un Kouchner, pénalisé pour ses prises de position rebelles en faveur d’une participation de la France à la coalition anti-Saddam, retournable en 2007 car se sachant cramé à gauche. S’il faut comparer notre nouvel ami à l’un des nôtres, rangeons-le plutôt dans la catégorie des Mélenchon. Et là encore, le bonhomme n’a jamais été pris en flagrant délit de torpillage kosciusko-montebourge avec le chef de son parti. Pas, en tout cas, au point de se radier l’ire en pleine phase de reconstruction à l’intention de leur montrer à tous qu’on ne traite pas comme quantité négligeable celui qui a l’étoffe des héros. Non. Bertrand est un Iznogoud d’un autre style. Pour le saisir, rappelons-nous ce qu’il était avant qu’il ne soit devenu ce qu’il est aujourd’hui, autrement dit, un être en devenir. Lorsque Nicolas Sarkozy le place à la tête de l’UMP, il est son petiot préféré. Son homme de confiance. La bedaine de poupon. Jeune et vieux à la fois. Rassurant et inoffensif. Son négatif en somme, et donc, son contre-poids psychologique pour une France dont il craint qu’elle ne se rappelle beaucoup trop tôt qu’il l’avait convaincue d’adopter un roi-métèque. Sauf que Bertrand fait un régime. En hollandien, il se présidentialise. Il a vite capté le petit manège de son mentor. Sarko la joue Chichi, Xav la jouera Nico. Pas question de se camisoler dans l’uniforme du majordome à vie. Xavier Bertrand est donc le Bertrankozy de Sarkochirac. Que Valls s’en méfie!