On nous avait annoncé cinq régions, parfois six, tombant dans l’escarcelle du Front national. Eh bien, le peuple français s’est ressaisi. Il a repris le chemin des bureaux de vote. Et le résultat est que ce parti xénophobe, raciste, hostile à ce qui fait le génie et la grandeur de la France, a été mis en échec partout où il semblait l’emporter. D’aucuns s’étonneront de ce drôle de pays qui n’est jamais si grand qu’au bord du précipice. Ils s’inquiéteront – et ils auront raison – qu’il faille cet état d’extrême péril, presque de patrie en danger, pour que nos concitoyens retrouvent les justes réflexes et le chemin de la raison. Et l’on pourra regretter que nous ne soyons pas l’un de ces peuples normaux, ordinaires, prosaïques, qui savent être eux-mêmes en régime et vitesse de croisière et n’ont pas besoin pour cela de sentir le vent du boulet. Mais le fait est là. Et l’on ne va pas bouder son bonheur d’avoir vu se décomposer – ou, ce qui revient au même, renouer avec les accents de haine et de rage canaille qui sont, probablement, leur vraie voix – ces gredins qui s’y croyaient. Victoire de la République. Triomphe de la résistance citoyenne. La France a voté en masse. Et elle s’est rassemblée pour dire qu’elle ne voulait pas voir le gang des Le Pen faire main basse sur nos régions. C’est la première leçon de dimanche et elle est réconfortante.
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Que s’est-il passé ? Et qu’est-ce qui fait, concrètement, que le pays s’est repris? Ce n’est évidemment pas tel ou tel « résultat » venant répondre, en huit jours, au «malaise» des Français. Ni je ne sais quelle promesse apportant une « réponse » aux «bonnes questions » posées par les électeurs frontistes. Non. C’est un sursaut moral qui s’est produit. Un acte de légitime défense du corps social et politique. Et s’est imposée cette idée simple, très simple et répétée, pendant l’entre-deux tours, par tout ce qui reste d’autorités morales et politiques dans l’Hexagone : le Front national peut opérer tous les ravalements de façade qu’il voudra, il n’a jamais été, et il n’est toujours pas, un parti comme les autres… Depuis le temps que l’on nous dit que la « stigmatisation» ne «marche » pas et renforce ceux qu’elle prétend affaiblir! C’était faux il y a vingt ans – et on ne le répétera jamais assez : c’est quand gauche et droite morales étaient fortes, quand des associations telles que SOS Racisme (eh oui!) traçaient de nettes et claires lignes de démarcation que le Front national était contenu; et c’est quand les lignes se sont brouillées, quand les digues se sont effondrées, quand les sentinelles antiracistes se sont laissé intimider ou ont baissé les bras, qu’il a, au contraire, pris ses aises. Eh bien, c’est la même chose aujourd’hui: nous devons cette divine surprise à l’envers, non à la complaisance des grands partis qui auraient, comme on nous le serine jusqu’à la nausée, « entendu le message » que leur adressaient les électeurs « en colère », mais au fait qu’un nombre suffisant d’électeurs a, lui, fini par entendre qu’il y a dans cette colère même, dans les mots qu’elle s’est choisis et dans les porte-parole qu’elle s’est donnés quelque chose qui met en danger la République, tourne le dos à la démocratie et trahit les valeurs de la patrie. C’est le deuxième enseignement.
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Après, que se passera-t-il demain? Et comment empêcher que la vague, qui vient de refluer, ne se lève à nouveau, ne reprenne son élan et ne déferle de plus belle lors de la prochaine présidentielle ? Il y faudra de meilleurs « chiffres du chômage », sans doute. Plus de « croissance », c’est certain. Il y faudra des « efforts » et des « gestes » en direction de ce tiers des jeunes de moins de 30 ans, et de cette quasi-moitié des ouvriers et employés, qui auraient fait entendre leur « exaspération » et leur « angoisse » – admettons. Mais rien de cela ne remplacera l’apparition de femmes et d’hommes prenant de la hauteur et rendant à la parole publique son crédit perdu. Aucune stratégie ne fonctionnera si elle continue d’être portée par des médiocres courant les plateaux de télévision pour, dans une comédie politique aussi déshonorante que vaine, promettre, main sur le cœur, que le fameux «message » a été reçu « 5 sur 5 ». Et la clé, qu’on le veuille ou non, sera de dire très haut, non seulement aux cadres, mais aux électeurs du Front national qu’il n’y a pas de réponse à la question qu’ils sont tentés de poser. Il y a eu d’autres périodes, dans l’histoire politique de la France, où des pans entiers de l’électorat se sont ainsi mis hors jeu et où l’on n’est pas allé, pour autant, mendier leur retour dans le giron commun. Je ne sache pas que les Clemenceau, Jaurès et autres Poincaré du début du XXe siècle aient négocié les voix de la quasi-moitié du pays qui s’était mise, avec l’affaire Dreyfus, au ban de la République. Ni que le général de Gaulle ait eu le moindre état d’âme pour faire savoir aux partisans de l’Algérie française qu’il ne les avait, tout compte fait, pas compris. Ni que Pierre Mendès France ait eu tant de scrupules que cela pour dire aux communistes qu’il ne voulait pas de leurs voix. D’une certaine façon, nous en sommes là. Et il faudra, pour aller à la reconquête de ces autres territoires perdus de la République que sont les territoires Front national, un courage politique dont on voit, pour l’heure, peu d’exemples.
Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.
Ce qui urge, c’est la sauvegarde d’une république démocratique, pluraliste par définition. Renouer avec le négationnisme, le ferions-nous sous la semonce d’un questionnaire tronqué plaçant Hollande hors du second tour dans tous les cas de figure, serait un mauvais calcul qui fausserait les valeurs que nous prétendrions défendre. La traque des sarkonazis achèverait de nous finir. Et puis, en démocratie, l’impuissance n’est pas nécessairement un caractère propre à l’opposition. Dans la perspective d’une non-reconduction, la Gauche serait donc bien avisée de renforcer, pendant qu’elle le peut, quelques pouvoirs du Parlement à même de priver la future majorité présidentielle de toute possibilité de rompre le dialogue avec la représentation nationale. Un acquis sociétal qui, dans le meilleur des cas, lui apprendra à respecter une opposition que nous aimerions tenir ainsi en respect le plus longtemps possible.
Si Cambadélis donne raison à NKM pour les trois régions où le FN était en tête au premier tour, je lui donne raison. C’est bien le front républicain qui a offert la victoire à MM Estrosi, Richert et Bertrand. Mais, rassurez-moi, nous n’avons pas eu le temps d’oublier que c’est dans toutes les régions victimes de triangulaire que le Parti socialiste enjoignait l’Union de la droite à fusionner les listes, le soir où fut bissé le 21 avril. Et là, pour le coup, c’est la ligne Sarkozy qui marque un point en ceci qu’elle permet non seulement à la droite républicaine de préserver son statut de première force d’opposition, mais à la France entière, ce qui est autrement plus crucial, son modèle pluraliste de type républicain là où la fusion républicaine aurait propulsé la Révolution nationale II au rang de seule force d’alternance opposable à la majorité mondialiste. Une stratégie débilement lepéniste que notre meilleur adversaire, j’entends par là le meilleur d’entre nos adversaires, traduction : celui que tous ses adversaires redoutent, nous aura épargnée. Pour autant, le président des Républicains doit entendre la voix de la raison première. C’est bien le front républicain qui a offert la victoire à MM Estrosi, Richert et Bertrand. Si le talent politique est, en ce qui le concerne, aussi indéniablement redoutable qu’il se révèle redouté, sans le concours d’une Kosciusko-Morizet, il pourrait vite se limiter à ce que Brassens appelait une sale manie.